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Entretien – Laure Rautureau et Franck Chauveau, dirigeants de Sofareb : « Nous sommes des apporteurs de solutions »

Impossible n’est pas Sofareb. Que ce soit face à une demande inédite ou lors d’un litige l’opposant à un fournisseur, l’entreprise familiale a toujours su faire preuve d’agilité et de résilience. Fabricant vendéen de bâches sur-mesure et de solutions textiles depuis 1989, Sofareb est dirigée par Laure Rautureau et Franck Chauveau, les enfants du fondateur, qui veillent à appliquer à la lettre cette recette pour pérenniser un savoir-faire de qualité.

Sofareb, Vendée, Laure Rautureau, Franck Chauveau

Franck Chauveau et Laure Rautureau, cogérants de Sofareb ©IJ

Quelle est l’histoire de Sofareb ?

Laure Rautureau : Mon père, André Chauveau, est un entrepreneur né. Dans les années 1980, il a d’abord eu une société de location de chapiteaux, à Pétosse, dans le Sud-Vendée. Les chapiteaux sont faits à partir de bâches. Comme il ne trouvait pas de réparateur dans l’Ouest, il a fait l’acquisition d’un fer à souder pour les réparer lui-même. Son matériel vieillissant, il avait le choix entre investir dans des nouveaux produits, ou partir carrément vers autre chose, et pourquoi pas vers la confection et la réparation de bâches. En 1988, un conseiller de la Chambre de commerce et d’industrie de Vendée l’a aiguillé vers la Samro (devenue Trouillet depuis, NDLR), à Fontenay-le-Comte, juste à côté. L’entreprise, qui fait des remorques de camion, recherchait un « bâchiste » pour les couvrir. En septembre 1989, mon père a donc créé Sofareb, Société de fabrication et réparation de bâches, dans la grange rénovée de la maison familiale, à Pétosse. La Samro était son unique client.

L’activité s’est très vite développée ?

LR : Oui, au bout de deux ans, il y avait déjà dix salariés. L’entreprise s’est installée à Longèves, en location, sur un site plus visible et plus grand, le même qu’aujourd’hui. L’activité s’est diversifiée et ouverte aux particuliers via les bâches de remorque, les rideaux de préau ou encore les auvents de mobil-home.

Franck Chauveau : En 1993, l’effectif avait quasiment doublé. Sofareb s’est orienté vers l’étanchéité de bassins agricoles et industriels en concevant des bâches pour des réserves d’irrigation, des fosses à lisier, des bassins d’incendie et de rétention (stockage d’effluents), tout en continuant l’activité bâches pour camion.

En 1996, l’autoroute A83 s’arrêtait à Pétosse, à trois kilomètres d’ici. Tous les gens qui venaient de Nantes et allaient vers Niort ou Bordeaux, passaient forcément devant Sofareb. Ce fut le cas d’un fabricant de réservoirs métalliques d’eau qui, voyant le mot « étanchéité » sur la façade de l’entreprise, nous a contactés pour savoir si l’on était capables de faire des bâches pour les réservoirs d’eau Sprinkler. Ce système, relié à un réservoir d’eau, alimente les douchettes incendies au plafond des magasins. Les parois intérieures du réservoir sont dotées d’une bâche étanche pour maintenir l’eau. Mon père a rapidement compris le potentiel du marché, alors il lui a répondu oui. Tout était pourtant à inventer : le savoir-faire, les méthodes de conception ou encore nos propres outils. Avant même d’avoir signé le contrat, il a investi 500 000 francs dans une machine capable de souder en circulaire sur de grandes dimensions. C’était un pari et en même temps, cette machine pouvait nous servir à faire d’autres types de soudure.

LR : Notre mère, Jacqueline, qui était comptable de la société, était paniquée. Finalement, Sofareb a remporté ce marché. En l’an 2000, notre père a acheté les locaux de Longèves pour s’agrandir, passant de 800 m² à 2 300 m². En 2002, l’entreprise comptait 30 salariés.

FC : Les normes de protection incendie s’étaient renforcées et nous avaient apporté d’autres clients. En nous lançant sur ce segment de marché, nous avons aussi découvert que le stockage d’eau pour la protection d’incendie se faisait aussi en sous-sol, élargissant le champ des possibles.

Sofareb, Vendée, bâche

Sofareb, fabricant vendéen de bâche sur-mesure. ©Sofareb

L’année suivante, nouveau coup de pouce du destin ?

FC : Un inventeur d’un système gonflable de protection pour couvrir des fosses à lisier en géomembrane recherchait un fabricant. Mon père fut le seul à lui dire que ça ne fonctionnerait pas comme ça mais qu’il avait la solution. Il l’a modifié et s’est lancé sur ce nouveau produit. Au fil du temps, la géomembrane a laissé place à des fosses béton et le système gonflable à une couverture dotée d’un mât central, mais Sofareb est toujours présent sur ce marché.

LR : Dans ces années 2000, au gré d’opportunités, Sofareb est arrivé sur le secteur de l’hôtellerie de plein air, avec les bâches mobil-home, ou l’agroalimentaire via des housses de protection pour machines.

FC : Être présents sur de multiples secteurs d’activité, c’est notre force, surtout en temps de crise. Quel que soit le produit, la base textile ne change pas. En 2004, Sofareb s’est agrandi avec un nouveau bâtiment de 1 500 m². Parallèlement, en 2006, sous l’impulsion d’un fournisseur « voile d’ombrage », nous avons créé une activité loisirs à destination des particuliers et des professionnels, autour de l’aménagement pour l’ombrage des terrasses, et nous avons ouvert notre showroom.

En 2007, un litige vous oppose un fournisseur dont les bâches sont défectueuses. Que s’est-il passé ?

LR : Un jour, un client nous a alertés sur la dégradation d’une bâche de fosse à lisier, posée à peine cinq ans plus tôt, alors que notre fournisseur la garantissait dix ans. Ce n’était pas un problème sur un lot mais de conception. En sept ans, nous avons recensé 150 sinistres ! Notre assurance décennale n’a pas voulu payer car nous n’étions pas responsables et le fournisseur a refusé d’assumer ce vice caché. Nous sommes allés en justice. Ce litige a stoppé nette notre croissance, les bassins d’étanchéité représentant 50 % de notre chiffre d’affaires. Cette histoire a bien failli coûter sa vie à l’entreprise. C’était un engrenage. Nous payions ce qu’il fallait pour que la boîte tourne : les fournisseurs, les salaires, l’électricité. Mais, à un moment donné, nous avons dû délaisser certaines charges fiscales. Évidemment, nous nous sommes fait rattraper.

FC : Il n’y a eu aucun licenciement, mais des départs non remplacés et une image sérieusement détériorée.

Qu’est-ce qui vous a donné l’énergie de vous battre ?

LR : Notre mère est décédée d’un cancer du sein juste avant les premières séances au tribunal. Avec Franck, cela nous a donné la force de nous battre. Pour elle et pour notre père qui, en deuil, nous a laissés gérer l’affaire. Franck, qui sait fabriquer des bâches, s’est concentré sur la partie technique du dossier.

FC : Laure avait la compétence comptable et juridique nécessaire et la capacité de tenir tête aux gens. Sans son implication, nous n’aurions pas eu la même rage de vaincre.
Comment avez-vous réussi à vous en sortir en 2015 ?

LR : C’est grâce à l’intervention de la sous-préfète de Fontenay-le-Comte, Corinne Blanchot-Prosper, que nous avons réussi à trouver une issue favorable. Elle nous a parlé de la médiation inter-entreprises et des commissaires au redressement productif présents dans chaque région. Leur mission est d’aider les entreprises en difficulté, notamment en cas de différend avec un fournisseur. Nous avons déclenché une médiation. Nous nous sommes retrouvés face au directeur juridique du fournisseur. Sur le moment, cela s’est très mal passé et nous avons quitté la médiation. Mais, au bout du compte, nous avons fini par trouver un accord à la fois financier et sur la méthode de réparation. Nous avons obtenu 6 M€ pour réparer les bâches défectueuses et 507 000 € d’indemnités pour les préjudices, ce qui était loin de compenser les pertes subies.

Et sur la partie fiscale ?

LR : On s’est tourné vers le comité consultatif du secteur financier (CCSF) pour étaler nos dettes. Comme pour la médiation entreprise, la solution était sous nos yeux mais nous ne la connaissions pas.

« Il ne faut pas avoir honte d’être en difficulté. Il y a toujours des solutions pour rebondir mais il faut aller les chercher, les provoquer. » Franck Chauveau

Quelle a été votre stratégie pour rebondir ?

LR : En 2015, notre père est parti à la retraite et nous a confié les rênes de l’entreprise. Dans un premier temps, nous avons travaillé avec une agence notre stratégie de communication pour changer notre image (logo, site web, plaquettes, NDLR) et partir à la conquête de nouveaux clients et de nouveaux marchés. Depuis novembre 2020, nous sommes allés encore plus loin pour améliorer notre visibilité en ligne. Chaque mois, nous consacrons 1 000 € à notre référencement web. Six mois après le début de cette mission, nous avons ressenti les premiers bénéfices sur notre chiffre d’affaires.

Parallèlement, faute d’investissement, l’outil de production était défaillant. Comme les banques étaient frileuses, c’est le fonds de revitalisation vendéen, porté par l’État , qui nous a accordé un prêt de 80 000 € en 2016 pour moderniser notre outil de production. À partir de là, nous avons commencé à regagner des marchés. Deux ans, plus tard, nous étions lauréats du prix Booster du Réseau entreprendre Vendée qui accompagne les entreprises en phase de croissance. Je ne connaissais pas ce réseau et j’avais postulé sur conseil de mon banquier, intéressée par le prêt d’honneur de 60 000 € pour financer une nouvelle machine. Ce fut un tremplin pour nous faire connaître, structurer et développer l’entreprise, ou encore rencontrer d’autres dirigeants.

Qu’avez-vous retenu de cet épisode ?

LR : Qu’il faut se battre, rester positif et toujours y croire. Je veux que mon expérience serve à d’autres. Depuis, je me suis engagée au sein de la CPME. J’interviens auprès de dirigeants confrontés à des problématiques similaires à la nôtre, au sein du Groupement de prévention agréé (GPA), une initiative lancée en 2021 par la CPME Pays de la Loire . J’ai aussi rencontré les lauréats 2021 du Réseau entreprendre Vendée pour leur parler de mon expérience avec les banques. Je suis également élue au sein de la CCI Vendée depuis janvier 2022. Dans tous ces réseaux, j’échange avec d’autres chefs d’entreprise. C’est aussi une façon pour moi d’être épanouie dans ma vie de dirigeante.
FC : Il ne faut pas avoir honte d’être en difficulté. Il y a toujours des solutions pour rebondir, mais il faut aller les chercher, les provoquer.

« Nous prenons toutes nos décisions ensemble. Tant que nous ne sommes pas d’accord, nous ne faisons pas. » Laure Rautureau

Reprendre Sofareb était-il un objectif ?

FC : J’ai rejoint l’entreprise en 1997, à 21 ans, parce que mon père avait besoin de moi. Je suis passé à tous les postes. Aujourd’hui, je peux remplacer à peu près tous les salariés. Reprendre n’était pas mon objectif. Ça s’est fait naturellement parce que le métier me plaisait.

LR : Après avoir travaillé pendant huit ans dans un cabinet comptable, j’ai rejoint l’entreprise en 2002. Sofareb était en pleine croissance et ma mère qui s’occupait de la comptabilité saturait. Et moi j’aspirais à une vie professionnelle plus flexible. Je n’avais pas non plus l’idée de reprendre. L’épisode du litige a donné tout son sens à ma fonction de Daf. Je me suis révélée. Le décès de ma mère, le combat judiciaire, ont sans aucun doute pesé dans mon envie de codiriger Sofareb.

Comment votre binôme fonctionne-t-il ?

LR : Nous avons chacun nos domaines de compétences. Je gère l’administratif, la comptabilité, ainsi que la stratégie et le marketing. Franck, lui, c’est la technique. Nous prenons toutes nos décisions ensemble. Tant que nous ne sommes pas d’accord, nous ne faisons pas.

FC : Laure et moi, nous nous complétons naturellement depuis l’enfance, sans que l’on ait besoin de se dire qui fait quoi. On trouve toujours des compromis. On a du Sofareb qui coule dans nos veines.

Sofareb, Vendée, Laure Rautureau,  André Chauveau, FranckChauveau.

André Chauveau, le fondateur de Sofareb, entouré de ses deux enfants, Laure Rautureau et Franck Chauveau. ©IJ

Quel est l’ADN de cette entreprise familiale ?

LR : Qualité, savoir-faire, créativité et agilité.

FC : Nous sommes des apporteurs de solutions. L’innovation fait partie de notre ADN. Sofareb dispose d’ailleurs de son propre bureau d’études.

Et sur le volet environnemental, comment vous positionnez-vous ?

LR : La bâche est un produit montré du doigt parce que c’est du PVC, une matière difficilement recyclable. Or, le domaine d’application est riche. Notre ambition est de devenir un bâchiste engagé, notamment face au changement climatique. Avec une voile d’ombrage adaptée, il est par exemple possible de diminuer les impacts de la chaleur sur le stockage d’eau. Et, pour le transport de marchandises, remplacer le film jetable par une housse bâche réutilisable est une solution pertinente.

Quels sont vos projets ?

LR : Exporter nos produits d’étanchéité d’ici cinq ans en Afrique et dans les pays de l’Est, deux marchés avec un fort potentiel. J’espère juste que la crise actuelle ne va pas retarder ce projet.

Sofareb restera-t-elle une entreprise familiale ?

LR : La troisième génération vient d’intégrer l’entreprise. Flavien, le fils de Franck, a rejoint l’atelier comme confectionneur-soudeur de bâches. Quant à Juliette, ma fille, elle est en alternance ici en communication/marketing. Ils feront en fonction de leur envie. Nous ne les forcerons pas, sinon ça sera un échec.

FC : La transmission du savoir technique de Sofareb est un gros enjeu qui repose sur moi. Comment le conserver en interne et éviter toute fuite de compétences ? Transmettre ce savoir-faire à mon fils est une façon de le pérenniser.

 

Sofareb en chiffres

  • 38 salariés
  • CA 2022 : 5 M€