Michaël Thibaud, vous êtes l’exemple parfait du “self-made man” qui à force de travail et de persévérance a réussi à créer un groupe aujourd’hui reconnu sur le marché du loisir. Comment a débuté votre aventure entrepreneuriale ?
Tout a commencé dès la fin de ma formation de maître-nageur au Creps de Poitiers. Durant l’été 1999, alors que j’étais saisonnier à Jard-sur-Mer, sur la côte vendéenne, j’ai demandé au propriétaire du groupe de campings pour lequel je travaillais de louer la piscine de l’établissement pour proposer des cours de natation et des activités aux vacanciers. Ensuite, en 2000, j’ai créé un club de plage. Durant l’hiver 2000-2001, je suis parti faire une saison dans les Alpes où j’ai découvert un équipement qui était encore peu connu, le Bungy : un trampoline à élastique qui permet de faire des figures en toute sécurité. Par la suite, j’ai décidé d’en acheter deux pour les installer sur la plage de Jard-sur-Mer et à Port Bourgenay. C’est à ce moment-là que l’un des animateurs sportifs avec lequel je travaillais m’a transmis le dossier d’un fabricant de parcours d’accrobranches dans le sud de la France. Cette activité de loisirs commençait alors à se développer. Je me suis rendu sur place et me suis dit : « Bingo, il y a un truc à faire ! » Ma banque a accepté de me prêter 600 000 F sur caution de mes parents. Le parc Indian Forest a ouvert ses portes le 1er mai 2002 à Jard-sur-Mer, avant de déménager en 2005 sur un terrain plus grand que nous louons aujourd’hui encore à un couple de châtelains résidant à proximité. Indian Forest est ensuite devenu O’Fun Park en 2020.
Et comment est venue l’idée de créer par la suite O’Gliss Park ?
Dès 2010, j’ai commencé à réfléchir à ce projet qui a été un véritable marathon, entre les études de marché, la recherche du terrain, puis les discussions avec les exploitants agricoles, les services de l’État. Le terrain sur lequel se trouve aujourd’hui le parc (20 hectares à Moutiers-les-Mauxfaits, NDLR) était en effet en zone agricole, et donc non constructible. Il a fallu se battre pour prouver que notre projet tenait la route et ainsi obtenir un déclassement. Pendant ce temps, nous entendions parler de projets similaires dans le secteur. Il fallait donc faire vite. Le chemin a été long, fait de hauts et de bas. Et puis, j’ai eu la chance de rencontrer Gabriel Bonnin1, un entrepreneur herbretais issu de l’agroalimentaire qui a cru en mon projet et est devenu l’actionnaire principal d’O’Gliss Park.
O’Gliss Park a ouvert ses portes le 25 juin 2016. Quel a été l’accueil du public ?
Après neuf mois de travaux perturbés par une météo chaotique, le parc a pu accueillir ses premiers visiteurs en heure et en temps. Non seulement le public a répondu présent, mais nous avons été surpris par l’engouement dès le départ. Nous avons même dû refuser du monde. Ce qui nous a poussés par la suite à créer une plateforme de réservations. Dès la première année, nous avons enregistré 190 000 visiteurs alors que nous en attendions 100 000. L’an dernier, malgré un été assez maussade, nous avons accueilli 210 000 personnes.
Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce début de saison ?
Entre excitation et inquiétude. La réouverture d’O’Fun Park le 6 avril s’est bien passée, avec une fréquentation correcte pour le premier week-end. Malgré la météo médiocre de ces dernières semaines, nos installations dont notre nouvelle “Fun Zone”2 étaient prêtes à accueillir de nouveau le public. Je reste toutefois inquiet parce que les intempéries nous ont contraints à revoir le planning des travaux. Nous avons dû chercher des solutions pour rattraper le temps perdu, avant l’ouverture le 1er mai d’O’Tel Park, notre complexe d’hôtellerie de plein air, puis celle de notre restaurant O’Ranch le 15 juin. Enfin, notre autre gros chantier est celui de l’attraction Stingray, grande nouveauté d’O’Gliss Park qui sera à découvrir à partir du 22 juin. Tout le monde est mobilisé pour être dans les temps.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce toboggan aquatique XXL pour lequel vous avez investi 6 M€ ?
Les travaux sont en cours. L’installation a été confiée à l’entreprise vendéenne Edsun, spécialiste des aires de jeux aquatiques installée à Tiffauges, qui est notre partenaire historique depuis la création d’O’Gliss Park. Cette attraction a été un coup de cœur lors de ma visite, au salon Iaapa à Orlando en Floride, fin 2021. Ce rendez-vous est réservé aux professionnels de l’industrie des attractions. À l’époque, nous avions déjà pour objectif de développer notre offre d’activités aquatiques, mais avec un autre toboggan. Je suis tombé sur une maquette de Stingray qui m’a tout de suite tapé dans l’œil. J’ai été séduit par la thématique et le design de ce produit inédit : quatre toboggans autour d’une raie manta géante. Nous avons alors conclu un accord avec le fabricant, le géant turc Polin Waterparks, qui nous a permis de jouer la carte de l’exclusivité mondiale. Pendant deux ans, nous serons les seuls dans le monde à proposer l’attraction Stingray qui a déjà été commandée par plusieurs parcs en Asie et au Moyen-Orient.
Quelles sont vos attentes avec l’acquisition de ce produit ?
Le fait d’avoir une attraction en exclusivité mondiale nous permet d’être mis en lumière et de nous démarquer des autres parcs aquatiques français. Avec Stingray, notre objectif est d’attirer plus de visiteurs, mais aussi de fidéliser notre clientèle. La nouveauté crée en effet une dynamique de revisite, avec derrière la promesse d’optimiser l’expérience client. Stingray pourra accueillir jusqu’à 1 000 visiteurs à l’heure contre environ 700 pour nos installations actuelles. Il va en théorie permettre de doubler la capacité d’accueil d’O’Gliss Park qui est aujourd’hui de 5 000 personnes par jour et d’améliorer les flux à l’intérieur du parc afin de réduire l’attente devant les attractions. L’attente est en effet synonyme de perte économique. Le monde du loisir en général investit énormément dans la gestion des flux. De notre côté, nous avons par exemple installé des distributeurs automatiques un peu partout dans le parc, afin d’éviter à nos clients d’attendre pour acheter nourriture et boissons. Pour nous, il s’agit aussi bien sûr de générer du chiffre d’affaires supplémentaire pour garantir un retour sur investissement. La restauration représente 20 % du CA annuel de l’ensemble du groupe.
O’Gliss Park a été l’un des premiers parcs d’attractions à proposer l’usage d’un bracelet comme moyen de paiement. Comment est venue cette idée ? Quelle est sa finalité ?
Nous avons mis en place ce système3 dès la première année d’exploitation du parc en 2016. En maillot de bain, on a évidemment aucune possibilité de conserver sa carte bancaire sur soi. Ce dispositif est pratique et permet d’éviter les vols. C’est aussi plus confortable pour le personnel, puisque l’argent est concentré à un seul endroit. Pour nous, ce système est aussi très intéressant, parce qu’il encourage l’achat impulsif. Quand la carte bancaire est rangée dans le sac de plage, le père de famille par exemple aura tendance à repousser l’acte d’achat, voire à oublier complètement lorsque son enfant réclamera une boisson ou une glace. Au départ, il a fallu éduquer nos visiteurs, mais aujourd’hui, le dispositif est très apprécié. Nous avons d’ailleurs choisi d’étendre l’usage du bracelet de paiement au sein d’O’Tel Park pour ouvrir et fermer les chambres notamment ainsi que dans tous les points de vente d’O’Fun Park.
À l’heure du changement climatique et où les ressources en eau sont particulièrement précieuses, O’Gliss Park est devenu l’été dernier un site pilote pour expérimenter un système de récupération des eaux de lavage…
Nous sommes en effet le premier parc aquatique à avoir mis en œuvre ce système pour lequel nous avons investi 200 k€. Ce dispositif nous permet de récupérer 100 % des eaux de lavage provenant des filtres de nos bassins. Selon la réglementation, l’eau issue des deux premières minutes de lavage doit partir à l’égout tandis que le reste peut être recyclé. De notre côté, nous récupérons la première partie, soit 20 % des eaux de nettoyage, pour arroser nos espaces verts, et les 80 % restants repartent dans le circuit interne du parc. Nous sommes actuellement en discussion avec l’Agence régionale de santé (ARS) pour obtenir une dérogation afin de pouvoir réutiliser les eaux de lavage issues des pédiluves. Ce n’est pas encore autorisé et pourtant, les études bactériologiques réalisées l’an dernier ont prouvé qu’il n’y avait aucune incidence sur la santé. Je souhaite que nous puissions aller vite sur ces sujets en travaillant main dans la main avec les autorités, parce qu’il y a urgence. Même si nous sortons d’un hiver pluvieux et que les nappes sont pleines, on n’est pas à l’abri de connaître de nouveaux épisodes de sécheresse.
Ce dispositif vous permet aussi de réduire considérablement les coûts de fonctionnement ?
Oui bien sûr. Aujourd’hui, O’Gliss Park consomme un peu plus de 60 000 m3 d’eau. L’objectif est de réduire cette consommation à environ 20 000 m3, représentant ainsi environ 60 k€ d’économies. Toujours dans l’optique de réduire les coûts, nous avons mis en place des variateurs sur l’ensemble de nos pompes pour éviter les pics de consommation électriques, et nous avons en projet d’installer des ombrières photovoltaïques sur nos parkings en 2025 pour tendre vers l’autoconsommation.
Comment est né le projet O’Tel Park ?
J’ai commencé à y réfléchir en 2018, après l’ouverture d’O’Gliss Park deux ans plus tôt. Nous avions alors déjà une offre d’hébergements mais qui était assez anecdotique, à savoir cinq cabanes dans les arbres ouvertes en 2007. Nous avons constaté que de plus en plus de visiteurs souhaitaient rester plus longtemps sur place pour pouvoir profiter de l’ensemble des activités. Mais les logements touristiques sont peu nombreux dans le secteur. Alors que nous disposions d’une réserve foncière de 3,5 hectares, nous avons imaginé un espace avec 50 roulottes et chalets sur le thème du Far West, déjà présent au sein d’O’Fun Park, afin de faire vivre une expérience complète à nos clients. Nous nous sommes ainsi inspirés des réalisations du Puy du Fou, du Futuroscope et même de Disneyland Paris. Les plans définitifs ont été créés en 2021, avant le lancement du chantier en septembre 2023. Pour nous, l’hôtellerie est un nouveau métier. Avec le projet O’Tel Park, qui a nécessité un investissement de 5 M€, nous franchissons un nouveau cap.
Vous avez d’ores et déjà recruté ?
Oui, cinq personnes issues de l’hôtellerie ou de la restauration sont arrivées pour renforcer notre équipe d’encadrement. Le directeur du complexe nous a rejoints il y a tout juste un an pour nous accompagner dans la mise en place du projet. Le recrutement est en cours pour un poste de gouvernant. Parallèlement, nous continuons de recruter des saisonniers.
Qui sont précisément vos clients ? Et sont-ils différents d’un parc à l’autre ?
Chaque parc a sa clientèle respective. O’Fun Park est plutôt familial sur les périodes de vacances scolaires et attire aussi, en avant ou arrière-saison, beaucoup de jeunes à la recherche de sensations fortes. Le samedi, nous accueillons régulièrement des groupes pour des enterrements de vie de garçon notamment. Pour O’Gliss Park, on est sur une clientèle beaucoup plus large, ultra-familiale et plus populaire. Si les clients d’O’Fun Park résident dans un rayon maximal de 100 km autour du parc, ceux d’O’Gliss Park peuvent venir de plus loin. Nous avons par exemple beaucoup de visiteurs venant d’Île-de-France. Nous accueillons aussi quelques clients étrangers qui représentent 10 % de nos visiteurs.
Dans un contexte de hausse globale des prix, pensez-vous que les Français ont encore un budget à accorder aux loisirs ?
Oui et d’ailleurs, je pense que le loisir a pris une place à part entière dans le budget familial, tandis qu’il y a quelques années, la priorité était plutôt de finir correctement les fins de mois et de manger à sa faim. On a besoin de se divertir pour sortir de la morosité. Aujourd’hui, on consomme différemment. Beaucoup de Français partent moins longtemps en vacances, et moins loin. Avec l’ouverture de notre complexe hôtelier, notre offre correspond désormais parfaitement à cette double tendance : vacances à proximité et courts séjours. Et si le loisir occupe une place importante dans la vie des Français aujourd’hui, c’est aussi pour son aspect sociétal, avec le besoin de partager ses expériences via les réseaux sociaux.
Quels sont vos autres autres projets aujourd’hui ?
L’ouverture d’O’Tel Park doit notamment nous permettre de monter en puissance sur le marché BtoB qui représente aujourd’hui 3 % de notre chiffre d’affaires. Notre objectif est d’atteindre les 15 % l’an prochain. Nous sommes désormais en mesure de proposer un package complet, à savoir des logements permettant de faire venir des collaborateurs de tous horizons, un espace de travail – nous disposons maintenant d’une salle de 150 m² divisible en trois parties – ainsi qu’un panel d’activités puisqu’O’Fun Park dispose de produits incentives. Et d’ici à 2027, nous souhaitons doubler notre offre d’hébergements pour passer de 50 à 100 chalets et roulottes, soit plus de 400 couchages au total, et construire un espace aquatique couvert au cœur du complexe. Dès cette année, nous prolongeons notre période d’ouverture jusqu’à fin décembre, avant une réouverture au 1er février 2025. Auparavant, notre saison débutait en effet en avril et se terminait aux vacances de la Toussaint.
En Chiffres
- 2001 : création d’Océano Loisirs
- 2002 : ouverture d’Indian Forest devenu O’Fun Park
- 2016 : naissance d’O’Gliss Park
- 21 Salariés permanents
- Jusqu’à 350 saisonniers en période estivale
- 8,5 M€ : CA 2023
- 10 M€ : objectif CA pour fin 2024
- 15 M€ d’investissements pour la saison 2024