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Marc Pelletier, dirigeant de Navalu : « Construire un produit unique »

Ancrée à Bouin, à 30 minutes du pont de Noirmoutier, l'entreprise Navalu est reconnue depuis plusieurs années pour son savoir-faire et sa capacité à innover. L'ancienne forge marine, devenue chantier naval il y a 20 ans, est spécialisée dans la construction de bateaux en aluminium sur mesure pour l'aquaculture, les travaux maritimes ou le transport de passagers. Aux commandes depuis 2021, Marc Pelletier, ancien cadre de l'industrie, continue d'écrire l'histoire de l'entreprise en se tournant résolument vers l'avenir.

Navalu, Marc Pelletier, nautisme

Marc Pelletier, dirigeant de Navalu © Benjamin Lachenal

Quel est votre parcours ?

J’ai suivi une formation en contrôle de gestion il y a une quarantaine d’années. J’ai travaillé exclusivement en industrie en m’appuyant sur le système de production Toyota[1]. Pendant 15 ans, j’ai fait du conseil en amélioration de la performance industrielle. À partir de 2000, j’ai pris des postes de direction opérationnelle, supply chain et achats dans l’industrie automobile, l’aéronautique, la plasturgie et la chimie.

Comment avez-vous été amené à reprendre Navalu en 2021 ?

Cela faisait plusieurs années que j’envisageais de reprendre une entreprise, dans l’optique de transmettre à mes deux fils quelque chose de vivant, dans lequel ils puissent se retrouver et s’épanouir. J’avais d’ailleurs déjà tenté de reprendre une société en 2004, mais mon offre n’avait pas fait le poids face à celle d’un grand groupe. Avec le recul, je me dis qu’à l’époque, je n’étais pas assez mature pour franchir cette étape. Et puis un jour, un expert-comptable avec lequel je travaillais m’a parlé de la vente du chantier Navalu. Bernard Minguet, qui avait racheté la société 17 ans plus tôt, partait en effet à la retraite. En tant que passionné de nautisme, j’ai été tout de suite séduit par l’entreprise. Cette reprise était aussi pour moi l’occasion de renouer avec mes origines vendéennes. Natif des Sables-d’Olonne, je travaillais alors dans la région nantaise. Pour ce rachat, j’ai notamment bénéficié du soutien du réseau Entreprendre Vendée, en faisant partie des lauréats de la promotion 2021.

Pouvez-vous rappeler l’histoire de Navalu ?

La société a été créée en 1992 et s’appelait au départ les Établissements Garreau. C’était alors une forge marine spécialisée dans la fabrication de matériel ostréicole et mytilicole. En 2004, après son rachat par Bernard Minguet, l’entreprise, rebaptisée MPH Construction, s’est orientée vers la construction navale. Elle a finalement pris le nom de Navalu en 2008.

À quoi ressemblait l’entreprise quand vous l’avez reprise ?

C’était une pépite, en bonne santé financière, avec une belle équipe très soudée de 16 salariés.

Par quoi avez-vous commencé ?

Je me suis plongé dans les dossiers et j’ai proposé à mon fils aîné, Aymeric, de me rejoindre. Il avait 24 ans et terminait ses études d’ingénieur à l’Université Paris-Dauphine. Il était partant et nous nous sommes tout de suite projetés. Aymeric a pris en charge la partie innovation et amélioration continue. L’ancien patron, Bernard Minguet, nous a accompagnés pendant plus de deux mois, en insistant particulièrement sur la relation client. Les professionnels de la mer ont en effet des attentes spécifiques. Ce sont eux les sachants. S’ils nous disent « ce n’est pas possible », alors on n’y va pas. En parallèle, j’ai restructuré l’entreprise en augmentant le nombre de CDI et en recrutant une architecte navale. Il m’a également semblé important de mettre en œuvre une culture de la sécurité. J’ai demandé à mes salariés de suivre des formations, j’ai fait vérifier, voire changer le matériel. En m’inspirant de mon expérience dans l’industrie automobile, j’ai mis en œuvre le principe des « 5 S » (issu du système de production Toyota, NDLR) qui consiste à ranger et mieux définir les espaces de travail.

Quel est votre modèle économique et qui sont précisément vos clients ?

Chaque année, environ 25 bateaux sortent de nos ateliers. Nous travaillons pour les professionnels de l’aquaculture : élevages d’huîtres, moules, coquillages, poissons… Le secteur représente entre un tiers et la moitié de notre chiffre d’affaires annuel (3,5 M€ en 2023, NDLR). Nous fabriquons également des barges pour les travaux publics, qui constituent aussi à peu près un tiers du chiffre annuel de Navalu. Le reste correspond à la vente de navires de passagers pour des entreprises privées ou des collectivités, ou encore à la réalisation de CTV (Crew Transfer Vessel, NDLR) qui sont des bateaux dédiés aux opérations et à la maintenance de parcs éoliens en mer. Nous sommes aussi particulièrement sollicités pour la fabrication de navires de ramassage de sargasses, ces algues brunes qui envahissent les Antilles. Parmi les commandes atypiques, nous avons également construit l’an dernier une vingtaine de vedettes d’intervention pour plusieurs pays africains, dont le Tchad, le Nigeria, le Niger et le Cameroun.

Comment réussissez-vous à vous démarquer de la concurrence ?

Nous sommes en capacité de répondre aux besoins spécifiques de notre clientèle, en particulier sur des problématiques techniques, et nous nous distinguons par la qualité de nos navires et le soin apporté aux soudures et aux finitions. Toutefois, dans certains cas, faire du sur mesure peut être un point faible. Nous avons en effet du mal à être compétitifs sur certains appels d’offres pour des navires dont le cahier des charges se rapproche de produits en série. Nous partons à chaque fois de zéro, avec un certain nombre d’étapes à passer : plans de masse, de coupe, homologations. Dans ces conditions, il nous est difficile de faire des économies d’échelle.

La crise traversée par le monde ostréicole depuis fin 2023 a-t-elle un impact sur votre activité ?

Oui, 2024 devait être une très bonne année. Finalement, ce sera une année moyenne pour nous. Sur les cinq projets de construction de navires ostréicoles prévus, un seul a été maintenu. Beaucoup de professionnels de la baie de Bourgneuf ou encore du bassin d’Arcachon ont suspendu leurs investissements après la perte d’une partie de leur cheptel contaminé aux norovirus[2]. 15 % des parcs ostréicoles français ont été touchés. Mais la chute des ventes est en grande partie liée à la crainte des consommateurs. Notre stratégie de diversification nous permet de mieux affronter ce type de crise.

Tandis que la filière maritime produit chaque année 3 % des émissions de gaz à effet de serre, l’Organisation maritime internationale s’est engagée à réduire de 50 % les émissions du secteur à horizon 2050. Où en est-on en France sur le sujet ?

À l’image des industries automobile et aéronautique qui travaillent actuellement sur les énergies propres, la filière maritime française est en train de se structurer elle aussi. Les solutions existent mais les coûts restent élevés. Un navire qui vaut 100 k€ aujourd’hui en propulsion classique coûtera entre 300 k€ et 400 k€ en propulsion électrique, et entre 800 k€ et 1M€ en propulsion d’hydrogène. Dans le même temps, les infrastructures qui doivent accompagner cette transition, notamment les bornes de recharge en électricité ou hydrogène pour les navires, mettent du temps à se développer. Nous échangeons d’ailleurs régulièrement avec les autorités pour faire évoluer la législation, qui bien souvent peut être un frein à l’innovation. Nous souhaitons par exemple pouvoir aller au-delà des 12 mètres de longueur réglementaire pour une barge de travail, afin de pouvoir y ajouter des batteries particulièrement lourdes, sans empêcher de transporter la même quantité de marchandises. Il faut pouvoir décarboner la flotte, tout en répondant à la logique de rentabilité des professionnels de la mer.

De votre côté, vous semblez avoir pris de l’avance sur le sujet…

Oui, il y a tout d’abord l’ADN historique de Navalu, à savoir la fabrication en aluminium qui est un métal plus léger que l’acier, plus écologique que le carbone, et qui est surtout recyclable à l’infini. Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus reconnus pour nos projets innovants en matière de propulsion décarbonée. Avant mon arrivée, Navalu avait décroché un appel d’offres pour la réalisation du Navibus Jules Verne 2 pour Nantes Métropole[3] qui fonctionne avec deux piles à combustible hydrogène. Je suis persuadé que dans les deux, trois, voire cinq prochaines années, 40 à 50 % des navires qui sortiront de nos ateliers seront en propulsion hybride ou propre.

Quels sont vos projets ?

Nous travaillons actuellement sur la réalisation d’un navire à propulsion propre pour le ramassage des sargasses. Nous avons aussi été contactés par un ostréiculteur portugais pour la fabrication d’une barge à propulsion électrique, alors que la réglementation est en train d’évoluer dans son pays. Pour se rendre sur ses parcs, il sera contraint de traverser une zone à faible émission. Avec notre partenaire Grondin Marine, entreprise voisine de Navalu spécialisée dans la mécanique marine et industrielle, nous avons aussi un projet expérimental de barge fonctionnant à l’hydrogène pour lequel nous bénéficions de l’expertise de Lhyfe, un producteur d’hydrogène vert implanté à proximité de nos ateliers. Cette montée en puissance sur les innovations doit nous permettre de renforcer notre présence à l’international. Nous visons notamment la côte ouest de l’Afrique, de la Tunisie à l’Afrique du Sud, qui est en train d’acquérir son indépendance alimentaire, via la création d’exploitations aquacoles et piscicoles financées par des fonds européens et américains. Il y a aussi un marché important à décrocher pour le transport des passagers sur les fleuves africains, considérés comme beaucoup plus sûrs que la navigation au large en raison de la présence de groupes armés. Parallèlement, nous souhaitons réaliser en 2025 une extension de notre atelier (dont la surface actuelle est de 2000 m², NDLR) pour augmenter notre capacité de production.

Marc Pelletier (à droite) aux côtés de son fils Aymeric Pelletier, ingénieur innovation et amélioration continue © Benjamin Lachenal

Est-ce que vous pensez déjà à la transmission de votre entreprise ?

Dès le départ, c’était la pierre angulaire de mon projet de reprise. J’avais l’intention d’embarquer mes enfants dans l’histoire. Alexis, mon fils cadet a des parts dans l’entreprise, mais il s’éclate dans l’informatique, un tout autre secteur d’activité, et ne souhaite pas s’impliquer davantage. Aymeric, lui, travaille à mes côtés et j’aimerais bien sûr qu’il prenne la suite. Il faut d’abord qu’il en ait l’envie et ensuite qu’il en soit capable. Je l’invite déjà à lui faire prendre de la hauteur et à le faire raisonner en tant qu’entrepreneur. Mais nous commencerons à aborder véritablement le sujet de la transmission d’ici deux à trois ans.

Qu’est-ce qui vous anime au quotidien ?

J’aime quand un client me dit « Merci Marc ! ». Récemment, nous avons livré un bateau en Corse et le client m’a appelé pour me dire qu’il était super content. Au cours de ma carrière dans l’industrie, je n’ai jamais eu ce genre de retour. J’ai la chance de travailler avec des passionnés, mes clients, mais aussi mes salariés, qui ont le souci du travail bien fait et qui ont conscience de construire un produit unique. Moi-même, je suis passionné par ce métier et ne regrette absolument pas d’avoir pris ce virage pour conclure ma carrière professionnelle.

 

[1] Le système de production Toyota (Toyota Production System) a été développé par le constructeur automobile japonais Toyota entre 1948 et 1975. Précurseur du « lean manufacturing », le principe organise la fabrication et la logistique du constructeur, y compris l’interaction avec les fournisseurs et les clients.

[2] Les norovirus qui se trouvent naturellement dans l’environnement provoquent des symptômes similaires à ceux de la gastro-entérite (diarrhées et vomissements).

[3] Inauguré en août 2019 à Nantes, le navibus Jules Verne 2 a été la première navette fluviale à fonctionner à l’hydrogène en France. Le projet a été développé au sein d’un consortium réunissant la Semitan et six autres partenaires, dont Navalu.

 

En chiffres

1992 : naissance des Établissements Garreau, forge marine.

2004 : rachat par Bernard Minguet. La société devient MPH Construction.

2008 : l’entreprise est rebaptisée Navalu

2021 : reprise par Marc Pelletier

20 collaborateurs

Entre 20 et 25 bateaux construits chaque année

CA 2023 : 3,5 M€ dont 78 % à l’international