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Thibaut Jauffrit, PDG Marché aux vins : « Partager une passion »

Passionné de vin et de gastronomie, Thibaut Jauffrit a fait ses classes de sommelier au Marché aux vins à La Roche-sur-Yon, un caviste vendéen dont il est devenu le PDG en 2022. Une école du vin, une école de cuisine et plus récemment une cave privée accessible 24h/24 permettant aux particuliers de stocker leurs bouteilles dans les meilleures conditions : la PME vendéenne et son dirigeant multiplient les initiatives pour rendre le vin accessible à tous. L’enjeu pour l'entreprise qui compte trois boutiques en Vendée ? Se démarquer de la concurrence par des services supplémentaires et une sélection rigoureuse afin d’assurer sa pérennité.

Thibaut Jauffrit, Marché aux vins, PDG

Thibaut Jauffrit. ©Benjamin Lachenal

Quel est votre parcours ?

Je viens de l’Herbergement, une commune entre La Roche-sur-Yon et Montaigu où mes parents étaient boulangers. En 2005, je démarre un BEP restauration aux Sorbets, l’année où la formation quitte Noirmoutier pour La Roche-sur-Yon (lycée Notre-Dame-du-Roc, NDLR). Je suis d’abord en cuisine mais le côté humain me manque et je m’oriente vers la salle. Mon père m’ayant transmis sa passion pour le vin, je décide de poursuivre mes études en sommellerie. J’effectue un premier stage à La Chabotterie (Vendée), qui confirme mon envie. Mais c’est finalement au restaurant Les Voyageurs, à Montaigu, que je vais effectuer mon bac pro restauration en alternance avec le CFA de Saint-Michel-Mont-Mercure. J’achève mes études par une mention sommellerie, en alternance à la CCI d’Angers. Pour la première fois, la formation est ouverte aux cavistes et c’est comme cela que j’arrive en 2009 au Marché aux vins comme apprenti sommelier.

Comment est né le Marché aux vins ?

Le Marché aux vins est né en 1992 à La Roche-sur-Yon sous l’impulsion de Jean Rivière. Dirigeant des Caves Rivière, une entreprise de distribution de boissons pour le CHR, il s’était spécialisé dans le vin qu’il aimait tant, une passion qui a fait la réputation de l’entreprise. À cette époque, son frère Christian était le propriétaire du restaurant yonnais Le Clemenceau et les vins distribués par les Caves Rivière figuraient à sa carte. Les clients les appréciaient et demandaient régulièrement chez quel caviste ils pouvaient les trouver. Or, les Caves Rivière travaillaient uniquement avec les professionnels et n’avaient pas de point de vente ouvert aux particuliers. Un jour, Jean Rivière a donc décidé de créer une nouvelle entité dédiée au marché BtoC.

En 1996, il confie la gestion du Marché aux vins à Thierry Loiret, lui restant à la tête de l’activité distribution. Huit ans plus tard, il vend les Caves Rivière et ses deux activités au groupe Kronenbourg, qui ne souhaite finalement pas garder Marché aux vins. De façon assez étonnante, Jean Rivière et Thierry Loiret décident de le racheter et doublent la superficie de la boutique. Le Marché aux vins devient alors la plus grande cave de Vendée. En 2009, Jean Rivière prend sa retraite et laisse les clés à Thierry Loiret.

Comment êtes-vous devenu gérant de la société ?

En décembre 2010, Thierry Loiret créée un nouveau point de vente au Château-d’Olonne (sur la commune des Sables, NDLR) et m’y embauche. En 2014, je reviens à La Roche pour créer et développer des cours de whisky au sein de notre école du vin. Dans la foulée, je prends la responsabilité du magasin sablais et navigue entre les deux établissements. En 2016, je deviens responsable de La Roche. Et un an plus tard, nous ouvrons un troisième point de vente, toujours aux Sables dans le quartier de La Chaume, dont je prends aussi la tête. Fin 2018, je m’associe à Thierry. La transmission s’étale sur quatre ans. En 2022, je deviens le PDG de la structure.

En 2019, avec Thierry Loiret, vous créez une seconde société, VBS Distribution, spécialisée dans la logistique et la livraison. À quelles fins ?

Lors de la vente des Caves Rivière au groupe Kronenbourg, Jean Rivière avait signé une clause de non-concurrence sur le marché CHR d’une durée de cinq ans. En 2009, lorsque je rejoins l’aventure, la clause prend fin et Thierry Loiret relance l’activité de distribution de vins et spiritueux auprès des restaurants vendéens. Dix ans plus tard, la clientèle CHR représente 24 % du chiffre d’affaires. Notre zone de stockage est saturée. C’est un nouveau métier de logisticien, préparateur et livreur. Nous avons donc créé une nouvelle société appelée VBS Distribution et construit un nouveau bâtiment de stockage de 600 m² à l’ouest de La Roche-sur-Yon que nous pourrons agrandir jusqu’à 2 000 m². C’est un emplacement stratégique, proche des grands axes routiers et autoroutiers et de nos trois boutiques. Nous répondons aux demandes du CHR mais aussi des associations, entreprises ou particuliers (mariages, NDLR) pour tout ce qui est événementiel. Nous gérons nous-mêmes nos livraisons grâce à deux camions : 99 % de nos tournées ayant lieu en Vendée.

Nous avons le projet de doubler la superficie. Le permis de construire est déposé depuis un an mais nous attendons que les taux d’emprunt baissent pour lancer les travaux. Pour l’instant, nous arrivons à gérer le stockage.

Comment fonctionne cette activité ?

VBS Distribution est une société indépendante qui vend ses services de logistique et de livraison au Marché aux vins mais aussi à des entreprises (CHR et depuis un an l’hôtellerie de plein air), associations et collectivités. Elle est ainsi prestataire de la brasserie Opé et de la Distillerie des Achards et gère leurs livraisons estivales. L’avantage de ce service pour nos clients, c’est de limiter leur stockage, de bénéficier d’un approvisionnement régulier avec une à deux livraisons par semaine et d’avoir une seule facture à la fin du mois.

Vous souhaitez proposer vos services logistiques à des groupements de vignerons. Vous pouvez préciser ?

De plus en plus de vignerons français issus de différents territoires ou de différents domaines basés au sein d’une même région s’associent pour vendre leurs vins auprès des cavistes. Ils partagent les mêmes commerciaux et s’appuient sur une plateforme pour regrouper leurs productions et simplifier la logistique. L’idée est de se positionner sur ce marché en plein essor à partir de 2025.

Finie la livraison directe, palette par palette, à chaque caviste. Tous les mois, chaque vigneron nous enverra trois à cinq palettes en une fois. Nous nous chargerons ensuite du stockage, de la préparation des commandes et de la livraison. Côté vigneron, cela simplifie évidemment la logistique et optimise les coûts de transport. Côté cavistes, ce système offre plus de souplesse dans les achats et règle la question du stockage. J’espère réunir une quinzaine de vignerons autour de ce nouveau service. Reste à trouver un logiciel logistique compatible avec tous.

En 2021, vous avez aussi lancé un nouveau service à l’adresse des particuliers : une cave pour stocker leurs vins. Comment fonctionne le Club des Hédonistes ?

C’est un projet que j’avais en tête depuis deux ans mais nous manquions de place. En délocalisant le stockage et la préparation des commandes BtoB au sein de VBS Distribution, nous avons libéré de l’espace pour aménager une cave privée ouverte aux particuliers mais aussi aux entreprises. Ce sont essentiellement des gens du coin qui manquent de place chez eux pour stocker leurs vins et/ou qui n’ont pas les bonnes conditions pour le faire (températures modérées et stables, hygrométrie, NDLR).

La cave dispose de 67 casiers pouvant contenir chacun jusqu’à 50 bouteilles. Climatisée, elle est accessible 24h/24 et 7j/7 grâce à un badge individuel. On peut aussi y boire un verre entre amis, jusqu’à six personnes maximum, jusqu’à minuit. Il suffit de réserver un créneau de deux ou trois heures sur la plateforme de réservation. Chaque contrat prévoit deux privatisations par an. Au-delà, c’est un forfait supplémentaire (200 €, NDLR).

Nous proposons également à nos clients de remplir leur cave chaque mois avec une sélection de vins en fonction de leur budget – entre 50 et 200 € en moyenne, mais il n’y a pas de minimum – et de leurs besoins (vins de garde ou de consommation, millésime, région, couleur…).

Le Marché aux vins a créé en 2017 sa propre école du vin et en 2021 son école de cuisine. Dans quels buts ?

Il y a bien sûr l’idée de faire venir jusqu’à nous des gens qui ne seraient jamais venus en boutique. Mais notre objectif premier, c’est de partager une passion, un bon moment autour du vin.

Le concept de l’école du vin, c’est d’apprendre des choses sur le vin tout en s’amusant. Ce n’est pas une formation, nous voulons juste rendre le vin accessible. On se met souvent des barrières. Or, la dégustation du vin, ça s’apprend. Avant le palais, il y a le nez. Il y a en moyenne trois cours par semaine, aussi bien à La Roche-sur-Yon qu’au Château-d’Olonne.

Nous organisons également des dîners vignerons, soit à La Roche, soit chez un restaurateur partenaire. Nous composons un menu spécial accords « mets et vins » en présence de deux vignerons qui présentent leurs domaines. Nous proposons aussi régulièrement des dîners thématiques, par exemple une soirée raclette avec cinq vins en dégustation. Pour les entreprises, nous organisons des soirées privées avec des jeux autour du vin.

Quant à l’école de cuisine, c’est un cours de cuisine où l’on parle du vin. L’objectif est d’apprendre des techniques, de prendre plaisir à cuisiner puis de partager ensemble un bon repas autour du vin, notre cœur de métier. Nous avons quatre thèmes différents, dont celui où l’on part d’une bouteille de vin pour imaginer un menu. À la demande, pour un anniversaire ou un teambuilding, nous privatisons les séances.

Dérèglement climatique, chute des volumes, hausses de prix, baisse structurelle de la consommation sur le marché domestique… Comment les vignerons et les cavistes font-ils face à ces enjeux ?

2021 et 2022 ont été très compliquées sur le plan météorologique pour les vignerons. Selon les régions, leurs rendements ont considérablement baissé. Le prix du vin a fortement augmenté et il a du mal à redescendre pour deux raisons. Il y a d’un côté les grands domaines, qui continueront à vendre même si les prix restent forts car ils ont une clientèle relativement fidèle et qui, en plus, se tourne davantage vers l’étranger pour maintenir voire développer leur chiffre d’affaires. Et puis, il y a les autres vignerons qui vont amortir la perte de recettes en augmentant leurs prix sur plusieurs années.

Du fait du réchauffement climatique, les vins ont naturellement augmenté leur degré d’alcool. Or, ce n’est pas ce que recherchent 70 % des consommateurs aujourd’hui. Nombre de vignerons, notamment en agriculture raisonnée ou bio, font preuve de résilience en choisissant des cépages du sud de l’Europe plus adaptés au climat actuel de nos régions, en modifiant leurs conduites de vigne ou en avançant la date des vendanges.

Face à cette baisse de la production viticole et pour répondre à la demande de tous nos clients, nous avons fait le choix d’élargir notre gamme en référençant de nouveaux domaines. Nous avons 200 vignerons partenaires réguliers sur un total de 350 fournisseurs : c’est 10 % de plus qu’avant le Covid. Dans cette période d’inflation, où les achats plaisir comme le vin sont les premiers impactés, nous sommes allés capter des produits avec un bon rapport qualité/prix, entre 5 et 10 € la bouteille. Nous veillons néanmoins à garder un large choix de gamme de prix : de 5 à 1 500 € pour répondre à un maximum d’envies et de budgets.

Les consommateurs sont aussi très attentifs à la manière dont le vin est produit et d’où il vient. Quel est votre regard sur le sujet et quelle place occupent les vins français dans votre commerce ?

Plus de 90 % des vins que nous vendons sont français. Nous avons un magnifique pays viticole et les consommateurs sont effectivement très attachés à leurs terroirs. Au Marché aux vins, nous avons fait le choix d’avoir très peu de grandes maisons. C’est une façon de nous différencier de nos confrères – certains clients viennent chez nous parce qu’ils ne trouvent pas ailleurs certaines références – mais c’est aussi parce que nous sommes sensibles à la philosophie des « petits vignerons » centrée sur le travail de la vigne, l’attention portée à leur environnement ou sur des techniques de travail innovantes et assumées. Dans cette logique, environ 65 % des vins référencés en boutique sont des vins bio, biodynamiques ou nature.

Par ailleurs, nous travaillons beaucoup avec les vignerons vendéens, d’abord parce que c’est notre territoire, ensuite parce que depuis une bonne dizaine d’années, les vins d’appellation « fiefs-vendéens » ont énormément gagné en qualité. L’arrivée de jeunes vignerons ayant pas mal voyagé à travers le monde et qui ont envie de retranscrire dans leurs vignes ce qu’ils ont appris ailleurs a été un vrai tournant. Ces vins séduisent à la fois les touristes qui veulent découvrir la gastronomie locale mais aussi les Vendéens qui veulent consommer des produits locaux de qualité.

Et quid des vins étrangers ?

Nous avons un large choix de vins étrangers, environ 120 références. Les clients qui s’orientent vers ces vins sont plutôt dans un esprit de découverte. Ils recherchent des cépages et des goûts différents. Ils voyagent grâce au vin. Il y a aussi ceux qui veulent retrouver les vins qu’ils ont dégustés pendant leurs vacances.

Parmi ces vins étrangers, l’Italie propose des vins incroyables. C’est avec la France, l’un des plus grands pays viticoles. Les vins suisses et espagnols se sont aussi bien améliorés et on trouve quelques très belles bouteilles. Parmi les vins qui gagnent à être connus, il y a ceux de Géorgie.

Quels sont vos projets ?

Début mai, nous allons ouvrir une boutique dans le centre-ville des Herbiers. Son nom : L’Estampille by Marché aux vins. Cette entité indépendante du Marché aux vins est un nouveau concept mixant cave, épicerie fine et bar à vins. On y trouvera aussi une petite sélection de bières bouteilles ou canettes, car l’idée est de pouvoir y partager un bon verre entre amis, tout en dégustant de la charcuterie ou du fromage mais aussi des tapas revisités (quiche maison, croque-monsieur à la truffe…).

L’objectif est aussi de faire découvrir notre cave à des clients qui n’ont pas l’habitude d’acheter leurs vins chez nous mais plutôt en grandes surfaces, comme sept consommateurs sur dix. La GMS, c’est notre premier concurrent : les clients ont le choix, vont au plus simple et au plus vite quand ils font leurs courses. Nous devons nous différencier par le conseil, une sélection rigoureuse et des services supplémentaires pour assurer la pérennité de l’entreprise. Le caviste pur et dur qui attend sagement son client, je n’y crois plus beaucoup. Si le test est concluant, l’idée est de dupliquer le concept ailleurs.

En chiffres

Marché aux vins

  • CA 2023 : 3,4 M€. Particuliers : 50 %. CHR : 28 % (soit 150 clients en Vendée). BtoB : 8 %. Associations sportives et culturelles : 6 %. Traiteurs : 3 %. Grossiste (confrères cavistes et épicerie fine) : 5 % .
  • 350 fournisseurs
  • Références : 2 000 vins et 500 spiritueux.
  • 8 salariés et 3 apprentis.
  • 3 boutiques (1 à La Roche-sur-Yon, 2 aux Sables d’Olonne)

VBS Distribution

  • CA 2023 : 2,6 M€
  • 4 salariés