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Entretien avec Michel Goepp, président de Codes Rousseau : « J’ai toujours été féru d’innovations »

À la tête des Codes Rousseau depuis 27 ans, et bientôt à l'heure de passer le volant, Michel Goepp a su maintenir la vénérable institution à la page en s'adaptant à la nouvelle donne numérique. Loin de l'image du patron omnipotent, il s'est entouré d'une équipe compétente à qui il délègue en toute confiance la gestion opérationnelle de l'entreprise sablaise, éditrice du fameux code de la route qui a fait sa renommée depuis les années 1960.

Michel Goepp, président des Codes Rousseau

Michel Goepp, président des Codes Rousseau © Benjamin Lachenal

Nés en 1937, les Codes Rousseau portent un « s », ce qui suppose plusieurs activités. Quelles sont-elles ?

Michel Goepp : L’entreprise créée par le vendéen Louis Rousseau, enseignant la conduite aux Sables d’Olonne, a débuté effectivement par la rédaction d’un petit livre expliquant les règles du code de la route. Mais elle a vraiment pris son essor en 1970 à l’avènement de l’examen du permis de conduire en quarante questions sous forme de diapos. Codes Rousseau a alors fourni aux auto-écoles tous les supports nécessaires à l’apprentissage des candidats au permis : magnéto, écrans, projecteurs de diapos, panneaux de toit de voiture, etc. L’évolution de la gamme a ensuite suivi celle des technologies : vidéo, CD-Rom, CDI, DVD, code en ligne et plateforme de e-learning. La gamme des ouvrages s’est aussi élargie au permis poids lourd, bateau et moto, ainsi qu’au code pénal et au code des procès-verbaux. Aujourd’hui, ces deux activités, qui représentent 70 % des ventes, sont complétées par la prévention des risques en entreprise, en lien avec les compagnies d’assurance et les formations ad hoc et par la réponse à l’appel d’offre de la délégation de la sécurité routière pour organiser la mise en place des examens. Le tout réalise un chiffre d’affaires de près de 15 M€.

Vous dirigez l’entreprise depuis 1994. Du livre de code aux auto-écoles en ligne, comment avez-vous traversé ces évolutions technologiques et fait face à ces nouvelles formes d’apprentissage ?

Michel Goepp : J’ai toujours été féru d’innovations. Avant de revenir dans l’entreprise en 1994, j’avais été responsable du développement produits de 1987 à 1991. J’ai introduit le premier Macintosh chez Codes Rousseau en 1988 pour mettre fin à la retouche laborieuse des photos des panneaux de signalisation au pinceau. Nous sommes alors passés de l’âge de pierre à l’ère informatique. À cette époque, Gérard Touzé, qui avait racheté l’entreprise à Louis Rousseau, l’avait fortement développée en lançant beaucoup d’innovations. Il avait notamment lancé un simulateur de conduite. C’était une bonne idée, mais elle était en avance sur son marché et les coûts de son développement ont failli couler la boîte. L’entreprise a été rachetée par le groupe Bertelsmann en 1994, où je dirigeais Ediser, une société concurrente que j’avais fondée. Après avoir redressé la société, le groupe m’en a confié la présidence en 1996. Prudent, je n’ai relancé l’idée du simulateur qu’en 2014, avec succès cette fois. Le marché était mûr. D’autant que son développement a été mutualisé avec l’éditeur germano-britannique Springer nature auquel appartiennent les Codes Rousseau depuis 2002. À ce jour, plus de 600 machines équipent les auto-écoles et nous en vendons une quinzaine par mois. Nous venons de lancer Oscar 2, version plus immersive du simulateur de conduite, plébiscitée par les auto-écoles. Il répond à un souci écologique, évitant de mettre des véhicules sur la route pour les premières heures de conduite. Face à la pénurie de formateurs, il remplace quatre à cinq personnes dans les auto-écoles et l’État pousse à l’usage de ces machines : il autorise depuis deux ans à valider dix heures de conduite sur simulateur.

La concurrence des auto- écoles en ligne, apparues en 2014, aurait pu avoir raison des Codes Rousseau. Comment avez-vous résisté ?

Michel Goepp : Le risque du leader est de s’endormir sur ses lauriers. J’ai toujours poussé mes équipes de développement à aller voir ce qui se faisait ailleurs. Quand Ornikar et En voiture Simone on fait leur apparition en 2014, ils ont révolutionné le marché en proposant la formation en e-learning à 29,90 € quand elle valait 200 à 300 € en auto-école. On savait faire mais on ne voulait pas concurrencer les auto-écoles qui sont nos clients. On a donc réagi en créant le club Rousseau, une plateforme d’apprentissage en ligne commune à toutes les auto-écoles où leurs élèves s’inscrivent après avoir choisi leur auto-école physique de proximité. Les auto-écoles s’y abonnent et perçoivent en retour le montant de l’inscription de leurs élèves. Ils y trouvent également des tarifs sur les assurances jeunes conducteurs et la location de voiture. 2 000 auto-écoles sont aujourd’hui membres du club Rousseau et 450 000 élèves par an révisent leur code en ligne via la plateforme. Nous aidons ainsi à maintenir un maillage d’auto-écoles de proximité.

Codes Rousseau

© Shutterstock

Cela fait 27 ans que vous dirigez Codes Rousseau. Comment les nouvelles technologies ont-elles impacté votre façon de travailler ?

Michel Goepp : On a pris le virage du digital avec l’aide des plateformes en ligne. Elles ont joué le même rôle qu’Uber pour les taxis, en bousculant les codes. Le tout est d’avoir les ressources humaines qui vont bien. Il y a huit ans, nous étions cinq au service informatique. Aujourd’hui, il compte 13 salariés sur 94. Mais attirer des jeunes développeurs aux Sables est difficile, sauf s’ils sont surfeurs ! D’autant que, pour s’adresser à notre jeune public, digital native, il faut se renouveler aussi rapidement que les technologies. Un million des 15-25 ans passent leur permis chaque année. Nous proposons depuis l’été 2020 le chatbot PlayCode créant des interactions ludiques avec les utilisateurs de Messenger. Nous avons également investi en octobre 2020 le marché de l’assistance vocale, disponible sur Alexa d’Amazon et Google Assistant. Les apprentis conducteurs peuvent ainsi réviser le code de la route à la maison. Et pour toucher le jeune public sur les réseaux sociaux, nous avons lancé en mars 2021 une émission sur Twitch. Animée en direct depuis l’entreprise, la chaîne #fautpasdécoder propose des jeux ludiques et interactifs pour revoir son code, et l’animatrice répond en direct à toutes les questions des spectateurs. La chaîne compte à ce jour 8 000 followers. Un vrai succès.

Vous avez 66 ans. Comment avez-vous intégré cette nouvelle génération dans votre management ?

Michel Goepp : Je suis à l’écoute. Je n’ai pas d’idée préconçue et je ne m’accroche pas à ce qui se faisait avant. Il faut savoir évoluer. Mais aussi s’entourer de personnes plus compétentes que soi. Il ne faut pas recruter pour garder la main. Pour moi, la clé de la réussite, c’est de ne pas trop travailler. Ne pas vouloir tout faire et tout vérifier. Les gens débordés sont des gens mal entourés. Je délègue beaucoup et en toute confiance. Ce qui me guide, c’est le respect des engagements. On peut se tromper. Pas me tromper. On peut ne pas pouvoir tenir ses engagements. Mais ce qui m’agace au plus haut point c’est de ne pas assumer. Je deviens intraitable si l’on trahit ma confiance. Et j’essaie d’avoir un management d’adulte à adulte. Je suis très à l’écoute de mes salariés et de leurs difficultés et j’essaie de trouver des solutions. Pour mieux faire circuler l’information, je fais le tour des services pour évoquer la concurrence, les nouveaux produits que nous lançons et pourquoi. Hormis la grand-messe annuelle sur les résultats, je ne fais pas de réunion globale car toutes les équipes n’ont pas les mêmes centres d’intérêt et le même niveau de connaissance du sujet. Et en petits groupes, les salariés osent poser des questions qu’ils ne poseraient pas devant les autres  services.

JE DÉLÈGUE BEAUCOUP ET EN TOUTE CONFIANCE. CE QUI ME GUIDE, C’EST LE RESPECT DES ENGAGEMENTS

Comment votre rôle a-t-il évolué au fil des années ?

Michel Goepp : Depuis une dizaine d’années, je suis de plus en plus dans le stratégique et de moins en moins dans l’opérationnel. Côté groupe, j’ai toujours eu carte blanche de ma maison-mère qui intervient seulement pour valider les comptes financiers, un peu à la façon d’un actionnaire. Je dois juste justifier les embauches et faire approuver le budget. Côté salariés, j’ai une équipe parfaitement autonome sur laquelle je peux m’appuyer. J’ai rajeuni et étendu le comité stratégique aux responsables clés de l’entreprise : DG, DSI, développement, marketing, commercial, DAF, direction des éditions et direction de la mobilité. J’ai gardé le volet RH.

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© D. R.

Pensez-vous passer la main prochainement ?

Michel Goepp : En Allemagne, la retraite est entre 65 et 67 ans, je suis dans les normes. J’avais envisagé de partir à 65 ans mais avec le Covid, les projets lancés ont pris du retard. Je veux les porter jusqu’au bout et je prolonge donc mon mandat jusqu’à la fin 2022. Je ne suis pas encore un dinosaure ! Avec ma grande expérience de la sécurité routière, je suis connu dans toutes les auto-écoles et dans les ministères. Je jouis encore d’un certain crédit dans le domaine. Et j’ai la pleine confiance du groupe. Je serai aussi content de partir car je laisse une entreprise profitable à mon successeur et même au-dessus des prévisions. Je vais pouvoir désormais me perfectionner au golf !

Votre successeur est-il connu ?

Michel Goepp : La transmission a été préparée de longue date avec Springer nature. Nous avons co-choisi mon successeur lors de son embauche en 2006 comme directeur administratif et financier. Il s’agit d’Olivier Fretay, 48 ans, l’actuel directeur général adjoint de l’entreprise. De formation financière, Olivier Fretay a pris progressivement la direction opérationnelle de l’entreprise, d’abord comme directeur du développement produit, puis comme directeur général adjoint, fonction qu’il occupe depuis quatre ans.

Quels sont les projets de Codes Rousseau ?

Michel Goepp : Nous travaillons actuellement sur notre raison d’être et sur les valeurs qui nous animent. Non pas parce que c’est la mode, mais parce que cela nous permet de partager le même message dans l’entreprise, et avec nos 17 commerciaux qui sont sur le terrain, vis-à-vis de l’extérieur. Le fait de travailler par petits groupes sur le sujet entre services permet aussi de mieux comprendre ce que fait le service voisin. J’ai aussi pour projet d’envoyer les équipes du siège en tournée sur le terrain avec les commerciaux. Nous allons débuter la construction de deux bâtiments pour héberger le futur siège social des Codes Rousseau auquel nous consacrons 4 M€ d’investissement. 1 500 m2 seront destinés aux bureaux et 1 800 m2 au stockage et à la logistique. La permis de construire a été validé, les premiers coups de pioche vont être donnés. La livraison est espérée fin 2022 sur le pôle Numérimer, situé à l’entrée nord des Sables d’Olonne. C’est un pôle dédié aux entreprises du numérique que j’ai contribué à créer quand j’étais engagé dans l’association EDO (Entreprises des Olonnes, NDLR). Cette association forte de 150 chefs d’entreprise est force de projets auprès des élus locaux. Nous travaillons aussi sur l’accompagnement des entreprises et des collectivités à la prévention des risques liés aux nouveaux modes de mobilité : vélo électrique, trottinette, voiture électrique. Nous adaptons nos outils de formation comme la conduite avec une boîte manuelle qui équipe les voitures électriques ou un code dédié à ces nouvelles mobilités.

Codes Rousseau, toujours à la page

Alors que le permis de conduire fête ses 100 ans en 2021, l’incontournable Codes Rousseau passe aujourd’hui encore entre les mains de plus de 60 % des prétendants, sous forme imprimée ou numérique. Il s’en vend 450 000 par an, que ce soit pour réviser le permis voiture, moto, poids lourd ou bateau. Tout est né de ce petit bouquin créé dans les années 1930 par Louis Rousseau, enseignant la conduite aux Sables d’Olonne. À l’époque, il n’y avait aucune réglementation de l’enseignement de la conduite automobile ni d’examen normé. Elle sera introduite seulement en 1958. Louis Rousseau a le premier l’idée de créer un support pédagogique avec les questions les plus fréquemment posées par les inspecteurs lors de l’épreuve pratique. La société, créée en 1965, deviendra le premier et le plus grand éditeur de supports pédagogiques liés à la conduite automobile. Et c’est l’instauration en 1970 d’un examen théorique sous forme de diapositives en quarante questions qui fera décoller la société. Puis, dans les années 1980, un président visionnaire, lui ouvrira de nouveaux horizons, notamment en initiant les enfants à la sécurité routière pendant leur scolarité en lien avec les auto-écoles et la gendarmerie. Mais aussi en investissant le champ de la prévention en entreprise. Sous la houlette de Gérard Touzé, la société olonnaise a compté jusqu’à 120 salariés dans les années 1990. Et c’est la passion pour l’innovation de Michel Goepp, son actuel dirigeant, qui a permis à Codes Rousseau de maintenir son avance technologique et de rester aujourd’hui encore leader du secteur.