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ENTRETIEN – Henri-Pierre Mousset, fondateur et dirigeant de Wiseband : « Nous voulons devenir spécialistes de la donnée musicale. »

Passionné, inspiré et déterminé, Henri-Pierre Mousset a fondé Wiseband il y a près de dix ans dans le bocage vendéen. Depuis, la petite PME spécialisée dans la distribution digitale est devenue grande. Ayant réussi à se faire une place à part entière dans l’industrie musicale, l’entreprise figure parmi les champions de la croissance[1] en France et en Europe. Son ambition aujourd’hui : aller crescendo en misant sur l’innovation.

Henri-Pierre Mousset, fondateur et dirigeant de Wiseband © Benjamin Lachenal

Comment est né le concept de Wiseband ?

Au tout départ, c’est le fruit de la rencontre entre ma passion pour la musique – étant saxophoniste, je souhaitais devenir musicien professionnel – et ma découverte d’Internet au début des années 2000, en pleine période du téléchargement illégal. Les premiers outils de piratage sont apparus en 1998. Les logiciels Napster ou encore eMule qui permettaient le partage de fichiers en format MP3, commençaient à poser des problèmes à l’industrie musicale avec pour conséquence un effondrement des ventes de CD. De mon côté, j’étais convaincu qu’il existait des solutions pour sortir de cette crise. L’idée de base de Wiseband est d’aider les artistes à vendre leur musique directement à leur public, sans passer par les maisons de disques, un modèle que l’on appelle ”direct-to-fan”.

« L’idée de base de Wiseband est d’aider les artistes à vendre leur musique directement à leur public. » 

Pouvez-vous expliquer précisément le service que vous proposez et votre fonctionnement ?

Le produit que nous vendons, c’est notre logiciel “fait maison”. Au préalable, il faut attirer les artistes vers notre site internet en travaillant notamment notre SEO, et ainsi leur donner envie de nous confier leur catalogue musical, leurs fichiers audio en numérique (les métadonnées). Ensuite, deuxième étape, nous envoyons les fichiers aux différentes plateformes Spotify, Deezer ou encore Apple Music, et faisons en sorte que la musique soit présente au bon endroit, en assurant la promotion des titres de nos artistes. L’objectif est de faire entrer les titres dans les playlists officielles qui aujourd’hui jouent le rôle des radios dans les années 1980-90. Il y a des playlists par genre musical, par “mood“ (correspondant à l’humeur de l’utilisateur), des playlists pour courir, pour travailler, pour danser, ou encore des playlists diffusées chaque vendredi mettant en avant les nouveautés. Enfin, la troisième étape, c’est de répartir les revenus générés par ces plateformes, en fonction des données que nous récupérons quotidiennement et mensuellement. Il s’agit du “reporting” qui nous conduit à un travail de royalties, les revenus que l’on verse aux artistes. Selon le contrat choisi, nous prenons une commission entre 9 et 15 %. C’est beaucoup plus intéressant pour les artistes, qui non seulement conservent leurs droits, mais en plus sont mieux rémunérés comparativement aux pratiques de l’industrie musicale[2]. Depuis peu, notre activité est également liée aux réseaux sociaux. Cette fois on parle de monétisation, c’est-à-dire d’un pourcentage de rémunération à partir des revenus publicitaires générés par Facebook, Instagram, Tik Tok, ou encore Youtube.

 « L’objectif est de faire entrer les titres dans les playlists officielles qui aujourd’hui jouent le rôle des radios dans les années 1980-90. »

Pour attirer les artistes, vous allez aussi les chercher dans les lieux de concerts, les festivals par exemple.


Notre activité est essentiellement digitale. Toutefois, avec les festivals nous développons des partenariats via leurs tremplins. À ce titre, on est le premier partenaire des Vieilles Charrues, du Hellfest ainsi que du festival de Poupet qui proposera de nouveau un concours de jeunes talents prochainement. Cela nous permet de détecter les artistes au début de leur exposition et de leur carrière, de rencontrer les managers, les tourneurs. Cela nous donne aussi de la visibilité. Par exemple, depuis sa victoire lors du tremplin du Hellfest en 2019, nous accompagnons le groupe de métal français Redemption. Nous avons un catalogue très varié, qui va du rock à la musique classique, en passant par le rap, le jazz ou encore les musiques folkloriques. Notre spécialité est toutefois la techno et l’électro. On représente vraiment la scène française dans le monde sur cette esthétique avec des artistes tels que Trinix (certifié disque de diamant et de platine), Trym ou encore Nico Moreno.

Peut-on dire que Wiseband participe à l’évolution du statut de l’artiste ?

“Wise” fait référence à la sagesse, mais aussi au côté malin de l’artiste qui prend en charge sa carrière et qui décide de mettre tous les atouts de son côté pour maîtriser ce qu’il fait. Auparavant, il fallait signer un contrat auprès d’une maison de disques pour avoir une visibilité. Certains artistes, souhaitant se consacrer uniquement à leur musique, continuent à fonctionner ainsi. Aujourd’hui, trois “majors“ dominent le marché, Sony, Universal et Warner. Mais les artistes sont de plus en plus nombreux à s’impliquer dans leur communication ou encore dans leur stratégie commerciale. Et c’est d’ailleurs ce qu’attend le public, parce qu’il y a un fort besoin d’authenticité. Wiseband travaille avec des artistes entrepreneurs.

Parallèlement à votre activité principale de distribution de musique en ligne, vous avez souhaité conserver votre activité d’e-commerce avec la vente de merchandising : CD, vinyles, t-shirts, goodies… (Wiseband dispose depuis deux ans d’un entrepôt de stockage aux Landes-Genusson.)

Cette partie de notre activité représente 5 % de notre chiffre d’affaires. Nous n’avons pas forcément la volonté de la développer, mais nous souhaitons toutefois la conserver. Nous travaillons notamment avec des entreprises locales, l’Atelier du Grand Chic à Rezé pour les textiles ou encore B-Side Factory situé à Montaigu pour les vinyles. Alors que nous nous inscrivons dans le mouvement de dématérialisation de la musique, avec le vinyle, on revient à une “rematérialisation”, via l’onde musicale directement gravée dans le disque. Il y a là, je trouve, quelque chose d’assez émouvant.

Quel a été votre parcours avant la création de Wiseband ?

Il y a près de 30 ans, en 1994, j’ai créé mon tout premier label, Sismix avec deux amis, Vincent Erdeven[1] et Loïc Kervarrec. Ensemble, nous avons organisé une convention de hip-hop à Angers. L’idée a d’ailleurs ensuite été reprise à Nantes avec le festival Hip Opsession. En 1996, je suis entré dans l’entreprise familiale, les Transports Mousset[3], à Sainte-Florence, dont je suis originaire, pour travailler aux côtés de mon frère, Jean-Michel Mousset (ancien PDG du groupe Mousset, NDLR) et de ma sœur Fabienne Mousset. Alors que l’entreprise était en plein développement, j’ai mis en place les services RH et informatique. Mais rapidement le virus de la musique m’a rattrapé. En 2000, mes ex-associés m’ont rappelé pour me parler d’un groupe de musique (Meï Teï Shô) qui avait besoin d’une structure pour se faire connaître. C’est ainsi que le label Yotanka a vu le jour en 2001. J’ai commencé à ce moment-là à vendre des CD par correspondance via Paypal. En 2006, j’ai décidé de me consacrer à plein temps à mon activité d’e-commerce musical et de la mettre à disposition d’autres artistes, managers et labels. Dans le même temps, sont apparues les premières plateformes de streaming musical, iTunes, ou encore Deezer[4]. Ce qui m’a amené à créer la société Yozik en 2007 pour distribuer la musique en ligne. Je suis un autodidacte en informatique, ayant appris à coder à l’âge de 30 ans alors que je travaillais au sein de l’entreprise de transports familiale. Le développement de Yozik m’a permis d’emprunter près d’1 M€ en 2009 pour renouveler notamment notre matériel informatique. J’ai parallèlement beaucoup investi personnellement. Malheureusement, en 2014, après une année compliquée, Yozik a été placé en liquidation.

À quoi attribuez-vous cette faillite ?

À l’époque, on se voyait comme une start-up capable de lever des fonds pour pouvoir continuer. Mais ça n’est pas arrivé. Peut-être que je n’ai pas été assez bon pour vendre le projet, à savoir un produit qui n’existait pas encore. Je pense aussi que dans la région, il manque un tissu d’investisseurs sur les métiers du digital. Le développement informatique est coûteux et il faut du temps avant de gagner de l’argent. Pour moi, cette liquidation n’est pas un échec mais plutôt une étape vers la création de Wiseband. Grâce aux apports financiers d’amis et d’une partie de ma famille, je suis reparti avec deux nouveaux associés (Gauthier Bouly et David Raimbaud) et un nouveau fonds de commerce, en me disant « on vit avec ce qu’on gagne » et c’est plus confortable. Et le fait d’avoir signé auparavant des partenariats avec plusieurs plateformes nous a aussi permis de rebondir rapidement.

« Je pense en effet que l’histoire du CD connaît ses derniers soubresauts […] Le vinyle va rester comme un objet d’attachement à l’artiste. »

Selon vous, le CD va bientôt disparaître tandis la digitalisation de la musique s’accélère, notamment depuis la crise sanitaire.

Je pense en effet que l’histoire du CD connaît ses derniers soubresauts et qu’il n’y aura bientôt plus d’appareils pour les lire. Le vinyle va rester comme un objet d’attachement à l’artiste[5]. De notre côté, nous faisons partie des gagnants de la crise du Covid et à plusieurs titres. D’une part, parce que les artistes qui ont beaucoup souffert durant cette période, en raison de l’arrêt des spectacles, se sont mis à produire plus de musique sur Internet. Certains, plutôt réticents jusque-là, s’y sont mis. D’autre part, parce que le public privé de concert s’est mis à consommer plus de musique en ligne, et à regarder plus de vidéos sur les réseaux sociaux. Ce qui signifie pour nous plus de revenus. Déjà, depuis 2017, nous étions sur une croissance de 40 % chaque année. Maintenant que les spectacles sont revenus, les programmateurs et les tourneurs nous disent avoir un peu de mal à retrouver le niveau de remplissage qu’ils avaient avant. Je pense que cela va revenir. Dans le même temps, la consommation de la musique en ligne augmente. Cela confirme que nous sommes en pleine évolution des habitudes d’écoute.

Henri-Pierre Mousset et une partie de son équipe à La Verrie, siège social de l’entreprise © Benjamin Lachenal

Quel est votre point de vue sur la progression de l’IA qui touche aussi l’industrie musicale ?

Pour moi, c’est une vraie révolution et une opportunité pour Wiseband. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet à tout le monde de participer au processus créatif. La musique n’est plus réservée à une élite. Mais l’IA, qui utilise des éléments existants, implique la nécessité de se poser un certain nombre de questions, à commencer par celle des droits d’auteurs. Il va falloir s’adapter au contexte juridique, tout en expérimentant. Récemment, nous avons déposé un dossier i-Nov[6] relatif au traitement des données de l’industrie musicale. Pour construire une IA, il faut d’abord collecter des données, les nettoyer, les classifier et les multiplier, ensuite choisir la bonne technologie et exploiter les algorithmes, avec l’objectif de fournir un nouveau service à nos artistes, toujours dans le but de promouvoir leur musique et leur permettre de rentrer en contact avec leur public. C’est notre raison d’être.

C’est dans l’optique de développer ce projet que vous souhaitez faire une levée de fonds à hauteur de 5 M€ en 2024 ?

Oui, notre ambition est de devenir l’un des leaders du traitement de la donnée musicale. Nous avons un programme sur trois ans qui prévoit le déploiement de nouveaux services pour plus de valeur ajoutée, à commencer par le lancement, avant fin 2023, d’un outil de reporting encore plus performant destiné aux labels et autres distributeurs de musique en ligne. Nous avons besoin d’investisseurs pour innover, notamment dans l’IA, nous développer à l’international parce que ça bouge très vite dans notre secteur, sans compter que nous avons un beau projet d’application musicale pour le jeune public. Nous ciblons tout particulièrement l’homme d’affaires François-Henri Pinault qui, depuis deux ans, manifeste un intérêt particulier pour les médias et le divertissement. Mais une telle opération doit se faire sous certaines conditions. Pas question de perdre notre âme, nous voulons garder la main.

Wiseband compte au total une trentaine de salariés ? Quels sont leurs profils ? Viennent-ils du secteur de la musique ou du digital ?

Non, pas du tout. Peu de candidats connaissent notre métier. Les personnes que nous recrutons sont formées en interne, y compris nos développeurs. Nous employons essentiellement des jeunes, parce que cela correspond à ma vision de l’entreprise. C’est important de proposer des opportunités d’évolution. A contrario, nous avons dans notre équipe des seniors qui ne sont pas confirmés. Je peux vous citer l’exemple d’un ancien musicien professionnel âgé de 55 ans qui souffre de problèmes d’oreilles. Il s’est reconverti en se mettant à l’informatique. Par ailleurs, nous venons d’accueillir deux personnes originaires d’Égypte et d’Algérie. Nous souhaitons donner la chance à tout le monde.

Vous avez choisi de rester en Vendée[7]. Selon vous, est-ce une force ou une faiblesse de ne pas résider en région parisienne, où sont implantés la plupart des acteurs de l’industrie musicale ?

J’ai envie de dire les deux. Cela faisait partie de mon projet au départ de rester ici. Avec internet, c’est possible. Je me sens faire partie de la communauté des entrepreneurs du département et je pense que ce sentiment est partagé par d’autres, au sein même de ma famille, ainsi que par de grands capitaines d’industrie ayant marqué ma jeunesse, qui étaient d’ailleurs parfois des clients de mes parents. Je me souviens par exemple très bien du dépôt de bilan de l’entreprise Gautier et de la mobilisation des salariés qui a suivi pour demander le maintien de leur dirigeant.

Vous avez d’ailleurs en projet de créer une sorte de cluster de l’industrie musicale dans le département ?

Oui, l’idée est d’implanter Wiseband un peu plus dans le territoire, en nous entourant de partenaires dynamiques. Je pense par exemple à l’entreprise No Limites à Mortagne-sur-Sèvre qui propose la location de tourbus pour les équipes techniques et artistiques, ainsi qu’aux festivals, y compris le Hellfest. L’objectif est de pouvoir discuter des tendances et de l’avenir de la musique.

 

EN CHIFFRES

Création : 2014

3 700 artistes accompagnés

80 000 titres en ligne

30 salariés

CA 2022 : 3 M€ (dont 80 % à l’international)

Objectif : une croissance de 20 % fin 2023

[1] Selon l’enquête Statista en partenariat avec Les Echos, Wiseband se classe à la 104e place sur 500 des entreprises françaises en forte croissance sur la période 2018-2021. 735e place du top 1 000 des entreprises européennes championnes de la croissance, d’après une étude similaire du Financial Times.

[2] Les revenus des artistes ayant signé un contrat avec une maison de disques (avances et cachets compris) correspondent en moyenne à 13,2 % de l’ensemble des revenus de la maison de disques, et à 17,3 % du chiffre d’affaires issu de l’exploitation de l’album, soit respectivement 9,5 % et 12,4 % après prise en compte des frais généraux de l’artiste. (Ministère de la Culture)

[3] Membre fondateur du groupe angevin Zenzile, Vincent Erdeven a sorti en novembre 2022 l’album Erdeven Spiritual Ensemble

[4] Créé en 1964 par Michel et Anne-Marie Mousset, le groupe Mousset compte aujourd’hui 2 800 salariés.

[5] Apple a lancé la plateforme i-Tunes en 2004 en France. Le français Deezer de son côté existe depuis 2006, Spotify depuis 2009.

[6] Les ventes de vinyles représentent près de 35 % du marché physique. Le volume de ventes a été multiplié par trois en cinq ans. (Ministère de la Culture, janvier 2023)

[7] L’appel à projets “Concours d’innovation i-Nov“ est un dispositif de soutien de la BPI dont l’objectif est de sélectionner des projets d’innovation au potentiel particulièrement fort pour l’économie française.

[8] Wiseband compte 30 collaborateurs à La Verrie (siège social), La Roche-sur-Yon, aux Landes-Genusson, Angers, région parisienne, Madrid.