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Blandine Barré, dirigeante-fondatrice des Réparables : « Je veux démocratiser la réparation textile »

S’appuyer sur le digital pour rendre la réparation des vêtements accessible à tous et ainsi prolonger leur durée de vie, c’est le concept des Réparables, une entreprise créée en 2020 aux Essarts-en-Bocage (Vendée). En replaçant ce geste ancestral sur le devant de la scène, Blandine Barré, sa dirigeante-fondatrice, voulait donner du sens à son projet entrepreneurial , agir sur son impact environnemental et valoriser les savoir-faire. Elle est en passe de réussir son pari et vient d’ouvrir un second atelier à Lyon.

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Blandine Barré, dirigeante-fondatrice des Réparables. ©Benjamin Lachenal

Quel est votre parcours avant Les Réparables ?

Après un BEP Métiers de la mode et un bac pro Artisanat et métiers d’art, j’ai obtenu un titre professionnel de modéliste. J’ai ensuite travaillé dans l’industrie textile pour des façonniers (sous-traitance, NDLR).

À 24 ans, j’ai créé à La Roche-sur-Yon ma première entreprise de fabrication de vêtements féminins 100 % français, conçus avec une matière naturelle et recyclée. C’était en 2010. Au bout de deux ans et demi, j’ai mis un terme à l’aventure. C’était compliqué d’abandonner un projet qui avait du potentiel, mais j’ai préféré arrêter proprement. J’ai vendu tout ce que je pouvais et remboursé tout ce que je devais. Heureusement, je n’avais pas de salarié. J’ai retenu qu’il fallait bien s’entourer, avoir un minimum de fonds et se donner les moyens de ses ambitions. À ce moment-là, pourtant, j’ai fait le choix de redevenir salariée pour retrouver une stabilité et une certaine sérénité. Mais je m’y suis très vite ennuyée. Dans l’année qui a suivi, j’ai remonté une autre boîte comme couturière indépendante. En parallèle, je suis devenue formatrice adulte “costume du spectacle“ et enseignante en bac pro avant de faire le choix de me concentrer uniquement sur mon activité entrepreneuriale.

Pourquoi ?

Entre 2016 et 2018, j’ai eu la chance de participer aux tournées Worn Wear de Patagonia comme couturière freelance. La marque installait en boutique des ateliers de réparation vêtements gratuits pour ses clients. Ce fut un véritable déclic qui changea profondément ma vision du métier. Je me suis dit : « Arrêtons de fabriquer et de consommer autant de vêtements neufs. Commençons par nous occuper de ce que l’on a dans nos armoires, de ce qui dort dans les stocks, de tout ce que l’on peut trouver dans les friperies. » Chaque Français achète en moyenne 9,5 kg de textiles et chaussures par an[1] alors qu’il n’en trie que 3,4 kg via des points d’apport volontaire qui se chargent de leur donner une seconde vie. C’est très peu. Pire : en Europe, 80 % des vêtements sont jetés à la poubelle et finissent enfouis ou incinérés. Je ne dénigre surtout pas le métier de façonnier. Je dis simplement qu’il y a un juste milieu et c’est pourquoi j’ai voulu transformer mon atelier de couture pour en faire un concept autour de la réparation et ainsi prolonger la durée de vie des vêtements.

Quel est ce concept ?

J’ai créé Les Réparables en juillet 2020, avec l’envie de ramener la réparation de vêtements sur le devant de la scène et ainsi lutter contre l’impact négatif de l’industrie textile sur l’environnement. Je veux rendre la réparation accessible à tous, que cet acte ne soit pas exclusivement lié à des problématiques financières mais devienne un réflexe pour tous.

Pour atteindre cet objectif, j’utilise les codes d’aujourd’hui. Grâce au digital, je dépoussière un métier artisanal pour en faire un service d’e-commerce comme un autre. Pour autant, je garde une boutique avec un accueil physique aux Essarts-en-Bocage (entre La Roche-sur-Yon et Les Herbiers, NDLR) et un accueil téléphonique pour ceux qui nous envoient un colis ou qui ont besoin de conseils. En résumé, j’utilise le digital pour avoir un impact plus large et faire rayonner ma solution innovante au niveau national.

Quel outil digital avez-vous imaginé ?

Il s’agit d’un simulateur. Ce calculateur s’adresse uniquement à nos clients particuliers. Il suffit d’aller sur le site, de cliquer sur “Je veux réparer“ et de se laisser guider en fonction du type de vêtement et de réparation pour connaître le prix (hors frais de port car certains clients déposent les vêtements directement en boutique, NDLR). Le prix varie en fonction de la technicité de l’acte et donc du temps passé. Un client qui n’y connaît rien en couture doit pouvoir s’y retrouver facilement.

Qui sont vos clients ?

Nous avons trois cibles, chacune représentant environ un tiers de notre chiffre d’affaires (montant non communiqué, NDLR). Les particuliers d’abord. Ils habitent principalement dans l’Hexagone, mais aussi en Corse, en Belgique, en Suisse ou au Portugal. La majorité de ces clients réparent pour des raisons économiques ou affectives. Et puis, il y a cette nouvelle génération qui consomme différemment et qui a tendance à faire réparer plutôt que d’acheter du neuf.

Nous travaillons également avec des entreprises (BTP, industrie, services) pour réparer les vêtements corporate. Nous faisons aussi un peu de conciergerie pour les salariés qui veulent faire réparer leurs affaires personnelles. Il leur suffit de cocher sur notre site “Dépôt gratuit à mon entreprise“ et de déposer leur colis via une borne installée au sein de leur entreprise. Celle-ci se charge ensuite de nous les envoyer. Nous avons déjà mis cela en place avec Paris Habitat. Et pour d’autres entreprises principalement situées en Vendée, comme Charier TP, Les Jardins de Vendée ou encore Ouest Alu , il existe des bornes dédiées au dépôt de vêtements pros.

Notre troisième typologie de clientèle, ce sont les marques. Nous travaillons avec Decathlon (en local), Oxbow, Le Comptoir des cotonniers ou encore en marque blanche[2]. Ces marques se rendent compte que leurs clients ont changé. Elles s’adaptent et proposent de plus en plus de vêtements de seconde main ou upcyclés dans leurs rayons, intègrent la réparation comme service après-vente, se positionnant ainsi en tant que marque responsable.

On a beau avoir le plus beau des messages, si ce n’est pas viable économiquement, c’est peine perdue.

Vous avez inscrit la démarche RSE dans votre projet, avant même de définir le statut juridique. Pour quelles raisons ?

Je voulais entreprendre en faisant quelque chose qui ait du sens, utiliser l’entreprise pour faire passer un message et changer le monde à mon niveau. Je voulais créer une boîte impactante, qui valorise les savoir-faire, veille à son impact environnemental, tout en ayant une rentabilité économique. On a beau avoir le plus beau des messages, si ce n’est pas viable économiquement, c’est peine perdue. Alors je me suis rapprochée d’un consultant RSE.

Pendant les six mois qui ont précédé la création des Réparables, mais aussi tout au long de la première année, nous avons travaillé avec   la raison d’être des Réparables et défini le chemin à prendre pour être vertueux. C’est plus facile de le faire au démarrage qu’après.

 

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Blandine Barré, dirigeante des Réparables, avec son équipe. ©Benjamin Lachenal

Qu’avez-vous mis en place, dès la première année, pour être une entreprise impactante ?

On essaie d’avoir le moins de déchets possible et de les valoriser autant que faire se peut. On réutilise des matériaux et composants de seconde main. Par exemple, des tissus récupérés dans des stocks dormants ou démantelés par nos soins, ou bien encore des tissus, fermetures ou boutons pression  pris sur des articles non réparables. La plupart de nos machines sont par ailleurs d’occasion.

J’ai également souhaité mettre en place une triple comptabilité. Je trouve le principe très intéressant car on ne mesure pas la performance d’une entreprise uniquement via son chiffre d’affaires mais aussi par son impact environnemental et sociétal. Si l’entreprise a de bons résultats économiques mais qu’elle détruit tout sur le plan environnemental, ça n’a pas de sens. Sur les trois volets de cette comptabilité, il y a un bilan annuel avec des indicateurs de performance.

Quels sont ces indicateurs ?

Il en existe une multitude. Nous avons choisi ceux qui nous semblaient les plus pertinents par rapport à notre activité. Il y a notamment le plaidoyer en faveur de la réparation, qui consiste à participer à des conférences ou à aller dans les écoles, pour parler de la réparation et expliquer avec pédagogie son intérêt par rapport à la consommation textile. Il y a aussi ce qui concerne le partage de la valeur avec l’adhésion au collectif 1 % pour la planète . On évalue aussi la transmission des savoir-faire en comptant le nombre de jours dédiés à la transmission et aux formations par rapport au nombre de jours travaillés. Pour toute la partie bilan carbone, on scrute évidemment la consommation énergétique de nos machines et du bâtiment, on indique le type de matériaux utilisés, etc. Autre indicateur retenu, celui de l’implantation locale : où sont nos clients, nos fournisseurs, où et comment les   viennent travailler (à pied, à vélo ou en voiture). Enfin, on met en parallèle la quantité de vêtements que nous réparons avec ce qui est produit en vêtements neufs sur le territoire pour montrer ce que l’on a évité comme déchets textiles en Vendée.

On classe ces indicateurs en fonction de leur importance sur le business. Chaque année, on rédige un rapport complet consultable sur notre site internet. L’idée est de montrer à nos clients que, certes, on est une petite boîte mais que l’on est vraiment engagés sur le plan sociétal et environnemental.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre engagement pour le collectif 1% pour la Planète ?

Nous partageons 1 % de notre chiffre d’affaires avec des associations qui agissent en faveur de l’environnement ou des humains. Pour l’instant, nous avons décidé d’en faire bénéficier l’association Zero Waste France. Ils militent pour le zéro déchet et un de leurs projets est consacré au textile. Cette fois-ci, il y avait un lien avec notre activité, mais on pourrait très bien soutenir à l’avenir une association qui s’occupe du traitement de l’eau.

Avez-vous déterminé un périmètre géographique pour limiter votre empreinte carbone ?

Non. D’abord parce qu’au départ, je pensais que ces colis ne viendraient pas d’ailleurs que de la France. Par ailleurs, le transport des colis est mutualisé. Il s’intègre à des réseaux existants, La Poste, Mondial Relay, qui ont des circuits bien définis et transportent en masse.

Enfin, dès la création des Réparables, j’avais bien dans l’idée de répondre à cette problématique de transport et de quadriller la France en ayant au moins quatre ateliers, de manière à orienter les colis vers l’atelier le plus proche. Je n’avais pas de calendrier précis, il fallait d’abord stabiliser l’activité, ici, en Vendée, prouver que le modèle était viable avant de le dupliquer.

Ce projet vient de se concrétiser puisque nous venons d’ouvrir un deuxième a telier à Lyon. Peu de temps après les débuts des Réparables, j’ai été contacté par l’agence de développement économique de Lyon pour savoir si l’on avait l’intention de s’y implanter. Ce qui était le cas. J’ai cherché un lieu pour tester  ce projet. C’est ainsi que j’ai fait la rencontre de Camille Marion-Vigne, dirigeante de Maison Ma Bille, un tiers-lieu dédié au textile durable et à la mode engagée. J’y ai pris une location. D’abord, pendant un mois, sous la forme d’un pop-up éphémère où j’étais physiquement présente. Puis, pendant quatre mois, comme point de dépôt avec une couturière qui venait y travailler une fois par semaine. Et enfin, pendant un an, uniquement comme point de collecte. Après 18 mois d’expérimentation où j’ai appris à connaître Camille, nous nous sommes associées sur cette nouvelle structure sous statut ESS. Il y a déjà une salariée.

Votre activité est-elle compatible avec un développement international ?

Oui, à condition d’avoir des ateliers de réparation localement, tout simplement. Mais avant d’y penser concrètement et d’ouvrir un jour un atelier en Italie ou ailleurs en Europe, j’aimerais bien finir de m’implanter en France. Après, cela dépendra aussi des opportunités qui se présenteront.

Je ne veux pas que mes salariées viennent juste travailler, je veux qu’elles participent à un projet.

Comment votre engagement RSE se traduit-il dans votre management ?

Cela signifie être transparente vis-à-vis de mes cinq collaboratrices. Concrètement, toutes les semaines, je fais un point pour les informer de ce qui se passe dans l’entreprise, que ce soit au niveau des clients, des décisions prises. Je leur indique où on en est, où on va, s’il y a des difficultés. Je m’attache à donner une place à chacune et j’essaie de valoriser leurs savoir-faire. On a toutes de bonnes idées et si on les rassemble, on peut faire mieux. Je veille également à leur bien-être, à ce que leur environnement de travail soit agréable et confortable pour qu’elles aient envie de venir bosser et y prennent plaisir. Je ne veux pas qu’elles viennent juste travailler, je veux qu’elles participent à un projet. J’ai beau avoir le plus beau projet du monde, si derrière personne ne suit et n’a pas la même vision que moi, ça ne fonctionnera pas.

Nous avons aussi créé un podcast, “Bouche cousue“, disponible sur Spotify. L’idée est que chacune des salariées puisse parler d’elle, de son expérience, de ses envies, etc.

Quels sont vos projets ?

C’est d’abord de poursuivre le développement de mes ateliers de proximité en fonction des rencontres et des opportunités. C’est aussi d’ouvrir d’ici 2025 un centre de formation dédiée à la réparation, ici aux Essarts. L’objectif est de répondre aux enjeux de demain. Si tout le monde se met à faire réparer ses vêtements, il faudra bien embaucher du personnel qualifié pour répondre à la demande.

Comment inciter le consommateur à des achats vestimentaires plus vertueux ?

Il faut penser son achat en amont et investir dans de belles pièces qui puissent être réparées et donc durer. Au lieu d’acheter plusieurs T-shirts bas de gamme qui finiront à la poubelle au moindre pépin, mieux vaut acheter un seul T-shirt à 30 € qui se tient bien, avec des coutures de qualité qui ne vont pas vriller, et le confier si besoin aux soins d’une couturière.

Et pour la filière textile, comment tendre vers une mode plus responsable ?

L’un des grands défis c’est celui de l’éco-conception, autrement dit le fait de penser à la réparabilité des vêtements dès la phase de conception. Les marques sont en train de prendre conscience de l’enjeu, notamment en termes d’image. Écoconcevoir facilite la réparation et donc la rend financièrement plus accessible. Il y a un vrai potentiel sur le marché des vêtements de travail, à ce jour difficilement réparables.

Du côté des metteurs sur le marché (les marques et boutiques, NDLR), l’enjeu est d’intégrer la réparation comme service pour leurs clients. Ils ne doivent plus vendre seulement un produit, mais aussi la durée de vie de ce produit.

Quel est votre regard sur le marché de la seconde main ?

La seconde main, c’est une super idée au départ, mais attention à ne pas tomber dans la fast fashion, autrement dit dans une consommation excessive où l’on achète de façon impulsive un vêtement que l’on porte une fois ou deux avant de le vendre à nouveau. C’est un peu le risque avec certaines applications. Les gens s’envoient une multitude de colis, sans forcément faire attention d’où ils viennent. Il y a un impact sur notre empreinte carbone. On est bien loin de la démarche vertueuse initiale de la seconde main.

Après, ce qu’il faut retenir, c’est que toutes les initiatives comme la réparation, l’upcycling [3] ou la revalorisation des déchets textiles pour en faire de nouvelles ressources, participent à un changement global des habitudes de consommation. Et c’est une bonne chose.

[1] Source : Multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf

[2] Une marque blanche est un service ou un produit conçu par une entreprise (le producteur) pour une autre entreprise (le distributeur) qui commercialise ce service ou ce produit sous sa propre marque.

[3]  Recyclage qui a pour but de donner une seconde vie à des matières ou à des objets destinés à être jetés, en les transformant en des produits à valeur ajoutée, esthétiques et/ou utiles, et souvent détournés de leur utilisation première. (Dictionnaire Larousse)