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Transition énergétique et performance : « Il faut emmener tout le monde ! »

Le développement durable est une démarche incontournable, à la portée aussi bien des grandes que des petites entreprises. Mais concilier performance et pérennité de l’entreprise reste un challenge. Plusieurs acteurs engagés dans la transition énergétique, réunis le 29 janvier dernier par le Club TGS* de Nantes, livrent quelques clés.

De d. à g. Yann Priou (Bout’ à Bout’), Nolwenn Belleguic (Lhyfe), Guillaume Accarion (Akajoule), Anthony Perez (TGS), Katia Tardy (Biscuiterie Handi-Gaspi), Frédéric Mugnier (Faguo). © Eric Cabanas - IJ

« Si je rêve tout seul, cela reste un rêve. Si nous rêvons ensemble, c’est le début de la réalité », dit un proverbe persan. S’il n’y a pas une seule méthode pour concilier engagement dans les enjeux d’un développement durable et performances de l’entreprise, s’impose toutefois cette indispensable mobilisation globale. « Il faut fédérer et ce, le plus tôt possible », affirment les entrepreneurs engagés sur le chemin de la transition énergétique. « Il faut emmener tout le monde dans le projet, précise Frédéric Mugnier cofondateur de Faguo, entreprise à mission dans la fabrication de chaussures et accessoires. Tout le monde est en phase d’accélération sur la transition collective ou individuelle. Cela va de plus en plus vite. En 2009, il n’y avait pas d’ateliers de production proposant des matériaux recyclés. Aujourd’hui, tous le font. Il ne faut pas attendre que passent les lois, sinon on va attendre longtemps. On doit embarquer et encourager tout le monde, y compris une multinationale comme Total. C’est à nous de changer nos entreprises. Il y a de nouveaux modèles d’affaires qui se dessinent et c’est aujourd’hui qu’il faut mettre le pied dedans pour être compétitif et à même d’apporter des solutions compétitives pour nos marchés. »
Même tonalité pour Guillaume Accarion, président d’Akajoule (conseil et ingénierie en efficacité énergétique et énergies renouvelables) : « La transition est un impératif. Ce sont ceux qui ne vont pas la faire qui vont avoir des problèmes. Ce côté pionnier peut être un atout. »

« S’appuyer sur les gros acteurs »

Mais il s’agit aussi d’adopter une démarche permettant d’intégrer systématiquement cette dimension dans tous ses projets. « Chez Lhyfe, on met en avant courage, optimisme et “team spirit”. Une solidarité s’engage dans les entreprises à impact. Le constat n’est pas terrible, mais les solutions sont là. Ceux qui ne le font pas iront au tapis. C’est de notre responsabilité de le faire pour les générations futures. Ainsi, la construction de nos bâtiments fait partie de notre bilan carbone », rappelle Nolwenn Belleguic, directrice générale déléguée de Lhyfe (production d’hydrogène vert).

L’intégration de la dimension sociale est également dans la démarche de Katia Tardy, cofondatrice de Biscuiterie Handi-Gaspi (biscuits bio fabriqués à partir d’invendus par des personnes en situation de handicap) : « On voulait aller le plus loin possible en poussant au maximum les curseurs de notre impact social et environnemental. Les deux piliers, handicap et antigaspi, sont au même niveau et doivent être respectés coûte que coûte. Tous les acteurs doivent s’engager dans cette démarche. Au début, ce sont plutôt des gens hyper convaincus mais qui n’ont pas l’impact et la présence sur les territoires pour faire bouger les choses de manière massive. Plus on avance, plus on se rend compte que tout le monde a besoin de s’emparer de cela, que ce soit les industriels ou les enseignes de la grande distribution. Nous devons nous appuyer sur les gros acteurs et faire bouger les lignes. Si on reste seulement dans les magasins bio, on parle à une niche convaincue. Parler anti-gaspi chez Leclerc, c’est un peu plus impactant. »

« Notre enjeu est d’emmener plus de monde avec nous, rendre plus résilient tout cet écosystème. Notre objectif est de développer le réemploi à grande échelle, confirme Yann Priou, directeur général de Bout’ à Bout’ (réemploi des contenants en verre). Il faut pouvoir avoir avec nous Heineken, La Brasserie du Bouffay, Tête Haute, Biocoop, Super U, Leclerc… Tous les maillons de la chaîne. Au capital de l’entreprise, nous avons le plus gros verrier français, Terrena, des sociétés d’embouteillage. C’est très puissant d’avoir un projet aligné avec l’action de chacun. Bout’ à Bout’ tout seul ne sauve pas la planète, mais si on s’y met tous, on va y arriver. »

Pénurie d’énergéticiens

Reste une question cruciale, celle du recrutement. « On a la chance d’avoir beaucoup de candidatures car notre projet séduit. D’autre part, dans le quotidien au travail, c’est hyper fédérateur d’avoir une mission et un objectif communs », admet Yann Priou rejoint par Frédéric Mugnier, qui insiste sur la question de la performance économique : « On sera des modèles vertueux et les gens auront envie de nous suivre si on a une performance économique intéressante. C’est ce qui nous différencie du monde associatif. Et on y parviendra si, dans nos chaînes économiques respectives, on a une vraie chaîne de valeurs avec une colonne vertébrale et de la marge. Chez nous, le facteur clé a été de passer entreprise à mission. D’inscrire dans le marbre : mesurer, réduire, compenser. Tous nos collaborateurs doivent remplir cette mission, chacun a un objectif. Nous devons être des éclaireurs de marché sur la question du carbone. Cet objectif clair et défini, la réduction carbone, nous la faisons infuser auprès de nos 200 collaborateurs. »

Mais Guillaume Accarion s’interroge sur la problématique du recrutement des énergéticiens : « Comme l’informaticien d’aujourd’hui, on sait qu’il n’y aura pas assez d’énergéticiens bas carbone demain. On sait qu’il n’y en a pas assez au collège, à l’IUT et en écoles d’ingénieur. Il y a déjà des pénuries. On pourra mettre tout l’investissement et la bonne volonté que l’on veut, si on n’a pas les hommes et les femmes dans les filières techniques, on ne les aura pas en 2030 pour accélérer la transition énergétique. Il faut identifier les goulets d’étranglement de notre modèle. On le voit bien avec la voiture électrique : pour des raisons concrètes, même si on a toute la volonté du monde, on peut être coincés par des choix à court terme. Il y a encore beaucoup d’obstacles concrets de tous les jours. »

*Le groupe TGS France regroupe 1 850 collaborateurs autour de six domaines d’activité : audit, avocats, conseil, expertise comptable, informatique, paie et ressources humaines.