Dans le jargon journalistique, Vincent Roux est ce que l’on appelle “un bon client”. Doté d’une voix radiophonique ainsi que d’un sens aigu du storytelling et de la formule, il ponctue ses propos de multiples anecdotes savoureuses, sans chercher à contrôler à tout prix son image…
En ce jour d’hiver, il nous accueille tout sourire dans les locaux de sa nouvelle entreprise, Goud Santé, chez Whome, avec le look et le flegme d’un gentleman anglais. Ce passionné de spectacles comiques pourrait d’ailleurs faire sienne la maxime prêtée au précurseur des humoristes, Pierre Dac, s’appliquant à faire les choses sérieusement, sans pour autant se prendre au sérieux. Surtout pas même.
Comme souvent, l’enfance vient poser les fondations de l’homme d’aujourd’hui. Il explique ainsi : « Quand tu es tout petit et maigrichon, il faut être marrant. Donc j’ai fait le clown. Je voulais plaire aux filles et faire marrer les copains. »
Cadet d’une fratrie de deux enfants, Vincent ne naît pourtant pas dans une famille où la fantaisie est une qualité prisée. Son père, qu’il décrit comme un autodidacte élevé à la dure, est animé par « la rage de vaincre » et la volonté forcenée de sortir de sa condition initiale. Plaçant sa carrière au-dessus de tout, il nourrit aussi pour ses enfants de grandes espérances, voulant leur éviter le chemin pavé d’obstacles que lui-même a connu, même s’il est un parfait exemple de l’ascenseur social à la française, grimpant les échelons à la force du poignet jusqu’à parvenir aux plus hautes fonctions de direction dans des groupes. « Il était extrêmement exigeant », se souvient Vincent Roux, précisant sa pensée : « Pour moi, la vie est un jeu. Pour lui, rien ne l’est, tout est à enjeu. » Désireux d’armer au mieux sa progéniture dès le plus jeune âge, ce père attend beaucoup d’eux sur le plan scolaire : « Il fallait faire une grande école car pour lui c’était le meilleur moyen d’arriver plus vite. » Évoquant alors son parcours scolaire, Vincent le résume d’un trait espiègle : « Niveau ? Escroc. Avec moi, il a obtenu l’effet inverse et ça a forcément été difficile… »
Autre souvenir marquant : son père n’hésite pas à lui fixer des challenges. « J’avais 7 ou 8 ans et je rêvais d’avoir des lunettes Ferrari. Il m’a dit qu’il me les achèterait si je négociais le prix. Comme j’étais incapable de le faire, il ne me les a pas achetées. »
Les copains d’abord
C’est aussi son père qui va lui faire vivre sa première expérience entrepreneuriale, à 8 ans, en lui proposant de vendre devant la résidence des objets publicitaires. « J’y ai pris goût, reconnaît-il. J’étais déjà un “marketeux” et je ne me suis pas démonté, même si je n’ai pas vendu grand-chose », reconnaît-il en riant.
Faisant la part des choses, il estime avoir vécu une enfance assez heureuse. « Je n’ai jamais manqué de rien, mais avec des parents absents. Ma vie, mes fondements, mes racines, se sont beaucoup faits à l’extérieur. C’était les copains d’abord. » Pourtant, au gré des évolutions de carrière de son père, la famille déménage souvent. « C’était totalement subi, mais je me suis forgé là-dessus. Ça m’a donné beaucoup de détachement vis-à-vis des choses et des gens, mais aussi des dispositions sociales dinguo ! », glisse-t-il.
Après un parcours scolaire en dents de scie et un passage par la case pension très bien vécu, Vincent décroche finalement un bac en comptabilité-gestion et veut s’orienter vers la communication et le marketing. Son père douche ses espoirs en lui présentant cette voie comme bouchée ? Il entre finalement à l’IUT Gestion des entreprises et des administrations de Saint-Nazaire. Il le voit comme un « sésame pour atteindre Audencia en admission parallèle » et y parvient. Le moment de rentrer dans le rang ? Il choisit plutôt de suivre à Cardiff son amie, qui deviendra son épouse, demandant un report d’admission d’un an. « J’ai appris les règles du snooker » (variante du billard, NDLR), résume-t-il, rieur, assumant totalement son côté sale gosse. Et lorsqu’il reprendra le chemin de l’école de commerce, ce sera une nouvelle fois pour aller là où on ne l’attend pas.
Étudiant et entrepreneur
Lors d’un stage dans un grand cabinet de conseil, il découvre en effet l’envers du décor et ne se retrouve pas du tout dans ce qu’il appelle cette « comédie humaine ». Parallèlement, ses compétences numériques sont repérées par son entourage professionnel et personnel et il décide de monter sa boîte, en parallèle de ses études. On est alors en septembre 2001 et son maître de stage lui demande : « Tu crois vraiment qu’internet ça va marcher ? » Lui y croit âprement et lance Artiss en janvier 2002 (« avec un A pour être premier dans les Pages Jaunes » qui font encore la pluie et le beau temps en matière de visibilité). Quand on lui demande si cette prise de risque déclenche la fierté de son père, il répond : « Il était fier, oui, mais inquiet, me prédisant que je ferais plein de conneries, que je ferais mieux de les faire avant chez les autres… Évidemment, je ne l’ai pas écouté. »
Des erreurs, le jeune entrepreneur en fait sans doute, mais elles ne lui sont pas fatales. Au contraire, l’activité est au rendez-vous, il réalise ses premières embauches, se développe.
Il fait ensuite deux rencontres qui vont s’avérer clés : Arnaud Chaigneau et Séverine Pirault, cofondateurs de l’agence de marketing digital Intuiti. Ensemble, ils vont mener l’agence vers la réussite, en faisant une référence dans son domaine. Une aventure qui durera pratiquement 17 ans au final… Avec des hauts et des bas. Car la vie d’associé n’est pas un long fleuve tranquille. Il y est d’abord confronté durant l’époque d’Artiss : « Je n’étais pas prêt », résume-t-il. Et vit une nouvelle période de gouvernance compliquée, en 2013, qui le conduit à prendre seul les rennes d’Intuiti. « C’est là que je rentre dans l’âge adulte », estime-t-il d’ailleurs avec le recul. Il essuie alors « une grosse tempête », tant sur l’activité que sur le plan social et, dos au mur, se retrousse les manches, écoute les salariés, restructure l’agence, la refinance. Mais ses associés ont toujours leur droit de regard. En 2016, il leur propose de racheter leurs parts : « On n’a jamais réussi à se mettre d’accord », regrette-t-il. Il finit par quitter Intuiti avec un sentiment d’inachevé, pour s’embarquer dans l’aventure Fifty Truck1, spin-off du groupe Idea.
Des failles
Ces épisodes laissent deviner en creux une face moins lumineuse. Il ne s’en cache d’ailleurs pas : « Le rire est un masque pour mes angoisses et le manque d’estime de moi-même », confie-t-il sans fard. Et d’ajouter : « On est pas mal de dirigeants à avoir le syndrome de l’imposteur. »
Il raconte avoir manifesté des troubles anxieux dès 2004, à l’époque d’Artiss. Entrepreneuriat, mariage, paternité, achat d’une maison : « Je voulais tout faire, tout avoir, vite. J’avais beaucoup d’impatience à l’époque », constate-t-il. Sauf qu’à un moment, son corps dit “stop”. Ses troubles prennent bientôt toute la place, jusqu’à l’obliger à rester alité durant plus de trois mois. « Je suis passé d’hyper-sociable à ne plus pouvoir sortir de ma ville, puis des lieux que je connaissais parfaitement, de ma maison, de ma chambre, et finalement de mon lit, décrit-il. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à la santé. Goud Santé date de là », ajoute-t-il.
Il dit devoir son salut à sa femme, « un roc », et à sa bonne étoile. En contactant au hasard le psychiatre le plus proche géographiquement, celui-ci lui propose un nouveau médicament qui va lui permettre de reprendre pied en quelques semaines.
En 2019, il vit un nouvel épisode de doutes intenses avec la fin de l’aventure Fifty Truck. Il analyse : « J’avais oublié ce que c’était de faire et j’ai perdu beaucoup de temps, ce qui nous a coûté cher, dans un contexte de marché qui se durcissait face à l’arrivée de start-up sur un secteur du transport hyper verrouillé. Comme après Intuiti, j’ai eu la frustration de ne pas avoir emmené l’aventure là où je m’imaginais pouvoir l’emmener : j’en suis ressorti cabossé », explique-t-il. Miné par le sentiment de retourner à la case départ, celui qui ne brigue pas la solitude décide de partir dix jours dans les Pyrénées, seul avec son chien, avec cette idée : « Maintenant, je fais quoi ? » Le déclic a lieu au bout de quatre jours : il s’enferme et pose ses tripes sur le papier, en listant ses atouts, ses faiblesses, ses envies, ses limites. L’exercice est salvateur : « Je suis sorti de là avec le projet que je mène maintenant. »
Un dernier coup ?
Sauf qu’au même moment, on lui propose de participer au projet O’Code2. « Ma corde start-up s’est remise à vibrer, les personnes qui en étaient à l’origine étaient top, et je me suis dit que mon projet était intemporel et que j’aurais encore plus de confort pour le faire plus tard. » Reste qu’il est difficile d’occulter complètement son projet. « Je rêvais de Goud, ça me réveillait, m’obnubilait », raconte-t-il. Finalement, en 2023, il voit « une fenêtre de tir pour reprendre [sa] liberté ». Et il se lance dans le secteur de la santé préventive en direction des dirigeants, managers, indépendants et professions libérales. Il dit considérer Goud Santé comme son « dernier coup, le projet qui me ressemble et que je pourrai très facilement mener jusqu’à 70 ans ». « Le plus important dans la vie, c’est la santé, poursuit-il. Quand on est entrepreneur et qu’on est diminué, ça a des impacts multiples. Pour moi, les chefs d’entreprise sont des athlètes de haut niveau qui s’ignorent. » Qualité du sommeil, bilan nutritionnel, stabilité émotionnelle, Goud Santé propose un check-up global « mais dans un écrin de club », un programme d’accompagnement pour améliorer ses capacités, rester en forme, ou pour ceux qui sont dans une optique de challenge personnel ou professionnel. L’idée étant de mettre les dirigeants « dans une logique de prévention. »
Un entrepreneur engagé
À 46 ans, Vincent Roux réfléchit ainsi à la trace qu’il va laisser tout en continuant de vouloir se faire plaisir. Par nature tourné vers l’autre, il est depuis longtemps un homme engagé, investi tout au long de son parcours professionnel dans diverses communautés. Il participe ainsi à l’émergence de la filière numérique nantaise, à la naissance de son écosystème. « C’est Arnaud Chaigneau qui m’a vraiment mis dans la dynamique associative avec ADN Ouest, qui ne s’appelait pas encore ainsi. On était alors à La Halle 6, le chaudron de la potion numérique nantaise : tout a pris ici, c’était une ruche ! La Cantine numérique est partie de là, le Web2day et Imagination Machine aussi… »
Plus tard, en 2013, c’est un autre engagement qu’il prend en rentrant au conseil d’administration de Réseau Entreprendre Atlantique (REA), avec l’idée de rapprocher « les sweats à capuche » (les start-up) et « les cravates » (le monde entrepreneurial plus traditionnel). En 2019, le conseil d’administration de REA le choisit pour être son président. Au début, il refuse, car c’est le moment où il sort de Fifty Truck, fragilisé. « Grégory Flipo3 m’a rattrapé et je me suis souvenu de ce que Bruno Hug de Larauze, qui s’est énormément investi pour le territoire, m’a dit : “Il y a des coups à prendre dans une telle expérience, mais il est arrivé de belles choses à tous ceux qui l’ont fait” et je me suis offert ce cadeau. » Il prend alors la présidence de l’association en avril 2019 pour trois ans, avec le cap suivant : « Arriver à ce qu’il y ait 100 % d’entreprises à impact accompagnées en 2025. Parce qu’une entreprise, ça doit être utile », martèle-t-il.
Quand on le taquine en lui demandant s’il estime être finalement entré dans l’âge de la sagesse, il hésite, préfère parler de « volonté d’apaisement ». L’épicurien forcené a évolué vers l’hédonisme. Aujourd’hui, il considère que la notion d’effort, venue par la force des choses plus que par goût, lui procure davantage de plaisir en vieillissant. « Il m’a fallu du temps », reconnaît-il. C’est encore le temps qui dira si celui qui s’est longtemps laissé décrire comme un serial entrepreneur, résistera dans la durée aux sirènes d’une nouvelle création.
À brûle-pourpoint
Comédien. J’ai failli faire un one man show une fois, mais je n’ai pas eu le courage. J’aurais beaucoup aimé faire Laurent Baffie, pour son côté sniper. J’ai une passion pour les comiques, les humoristes. J’ai vu, je pense, tous les spectacles qui existent et j’adore l’univers d’Alain Chabat, la chaîne Comédie. Je retrouve ça quand je fais de la musique (Vincent Roux fait de la guitare folk et chante, NDLR) avec les copains. Ce que j’aime, c’est mettre la pêche à tout le monde.
Au risque d’être un peu commercial, je dirais Barack Obama. J’ai lu son bouquin (Une terre promise, NDLR) et ça m’a marqué. J’ai trouvé énormément d’humanité et de conscience professionnelle dans ce qu’il faisait, même si après il s’est heurté à des systèmes et qu’il n’a pas pu faire ce qu’il voulait. Il y a un épisode de sa vie que je trouve dingue et qui résume bien la frustration que l’on peut avoir parfois. Lors de la crise de 2008, il doit prendre une décision qui doit sauver le système financier. Il réunit les différents partis politiques et parmi eux le Républicain lui dit qu’il pense que c’est la bonne décision, mais qu’ils ne peuvent pas le dire publiquement, même si c’est dans l’intérêt du pays.
La lecture ne fait pas partie de mes passions, mais Sapiens de Yuval Noah Harari m’a marqué, il a même été fondateur dans mon mode de pensée. On essaie de mener le monde avec de belles idées, des philosophies de ce que devrait être l’Homme et on oublie totalement qu’on a des dizaines de milliers, voire des millions d’années d’Histoire derrière nous. Avant d’être des êtres humains, nous sommes des animaux, notre cerveau fonctionne par des impulsions chimiques qui sont liées à des stress inculqués depuis des dizaines de milliers d’années. Si on ne comprend pas ça, on ne comprend pas la nature humaine. Du coup je lis en ce moment un autre livre qui s’appelle Du bon sens dans notre assiette d’Anthony Berthou, dont le sous-titre est “Ce que nous avons oublié de nos ancêtres chasseurs cueilleurs” qui montre aussi à quel point nos instincts grégaires guident nos comportements d’alimentation, de consommation.
En ce moment, Goud. J’ai la conviction d’être en train de faire quelque chose d’utile et qui adresse un des problèmes les plus importants de la société : la santé. Si je peux contribuer un tout petit peu à ça, ça me va.
D’être juste. Je trouve parfois qu’on est trop dur dans cette société, qu’on ne se met pas assez à la place de l’autre. Ce que je vis le plus mal, c’est d’avoir le sentiment d’avoir été injuste ou de m’être mal comporté vis-à-vis de quelqu’un.
Je suis un éternel insatisfait…
Peut-être que la réponse, c’est ce que j’accomplirai demain.
Les mots des autres
Julien Hervouet, cofondateur et dirigeant d’Iadvize
« La plus pure manière d’entreprendre »
« On s’est rencontrés à San Francisco en 2011, pendant une learning expedition. Nous avons eu des atomes crochus rapidement et on ne s’est plus quittés ! Vincent, c’est l’autre, il est profondément amoureux de son prochain, a toujours cherché à fédérer les énergies, tout le monde l’adore. C’est quelqu’un d’une grande créativité et empathie, avec beaucoup d’humour, d’attachement émotionnel.
C’est un entrepreneur idéaliste, capable d’écrire un rêve, de le partager et de créer la dynamique nécessaire pour le faire émerger. C’est la plus pure manière d’entreprendre. Pour moi, Goud Santé, c’est la synthèse de ce qu’il est, avec un projet résolument tourné vers l’autre, sur son bien-être et sa capacité à grandir. »
Sébastien Renaud, dirigeant de Whome
« C’est un vrai meneur »
« On se connaît depuis longtemps avec Vincent car on s’est connus étudiants à l’IUT de Saint-Nazaire. Quand vous êtes avec lui, ça se passe toujours très bien et toujours dans la bonne humeur. Côté pro, il a une grande force, celle de savoir s’entourer. Il travaille très bien en collectif et c’est un vrai meneur. C’est aussi un très bon commercial. En revanche, son point faible c’est la gestion ! Et donc heureusement qu’il sait s’entourer !
J’adore échanger avec lui car il sait prendre du recul et donner de la clarté. Il y a en même temps chez lui des remises en question perpétuelles, des doutes. C’est une personne très lumineuse et solaire qui, par moments, est habitée par des doutes profonds et il a alors besoin de s’aérer et de reprendre confiance. »