Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Quand organisation du travail rime avec adaptabilité, flexibilité et agilité

Depuis plusieurs années, les entreprises n’ont pas été épargnées par les différentes crises successives. Parallèlement, elles doivent faire face à des transitions inévitables : environnementale, numérique, Sans oublier de composer avec les nouveaux modes d’organisation du travail Autant de paramètres qui nécessitent des qualités bien spécifiques…

Sophie Devineau, Kaliokan, ergonomie

Sophie Devineau, chargée de mission en ergonomie

La flexibilité de l’entreprise, de quoi parle-t-on ?

La flexibilité de l’entreprise semble être un concept assez souple, assez large, qui relève de l’organisation interne mise en place pour faire face aux besoins de l’activité.  Introduit en 1980, par un institut d’études sur le travail, il peut être défini comme « fondé sur sa souplesse dans le travail, dans sa structure générale des emplois et dans ses ressources humaines. »[1]

Généralement, le terme de flexibilité est mal perçu, car il donne l’impression que ce sont les ressources humaines qui doivent être la variable d’ajustement pour faire face aux besoins changeants de l’activité. La flexibilité, de même que ses synonymes agilité et souplesse peuvent effrayer, parfois à juste titre.

Pourtant cette souplesse est essentielle pour pouvoir réagir à l’absence d’un ou plusieurs salariés, à une commande complémentaire, à un nouveau challenge. Cette souplesse peut s’incarner au niveau de la structure de l’entreprise, sur le plan de son organisation : processus de production, qualité. Elle peut aussi s’incarner dans la construction sociale :  place des hommes au poste, niveau d’exigence attendu, communication. Ou encore sur le plan des ressources techniques : logiciel, matériel, etc.

La flexibilité : opportunités et risques

Dans la place de la construction sociale, il y a l’Humain. Or le risque, c’est que plus les volets technique et organisationnel sont figés, plus l’humain devient la variable d’ajustement. Les dirigeants sont les premiers concernés.  L’urgence de produire, pour facturer capte toute leur attention. Ils multiplient les casquettes : développer, gérer, produire. Or, une certaine lourdeur liée à la gestion de l’entreprise vient poser une contrainte supplémentaire sur un public déjà très sollicité. De multiples exemples viennent illustrer cette situation. Par exemple, un courrier annonçant un contrôle auquel vous avez quelques jours pour répondre mais qui ne vous laisse pas la possibilité d’entrer en contact avec le demandeur. C’est un alourdissement pour l’entreprise, que le chef d’entreprise doit surmonter en faisant un effort supplémentaire, en ajoutant dans un emploi du temps bien chargé une mission complémentaire, qui se règlera en plusieurs étapes, avec plusieurs actions, espacées dans le temps, dans l’espace, avec parfois l’obligation de recommencer la même tâche plusieurs fois, pour un objectif qui n’apporte pas de production supplémentaire à l’entreprise…  Mais comme il travaille « pour lui », selon l’expression consacrée, cet effort est perçu différemment par la société.

La flexibilité est aussi pour les chefs d’entreprises l’opportunité de se challenger, de relever de nouveaux défis, de conduire un projet et d’emmener son équipe vers une nouvelle étape qui représente une amélioration pour la plupart d’entre eux : acquisition d’une nouvelle compétence, capacité de réagir à une nouvelle situation, adaptation à une évolution, à son temps…

Les salariés peuvent vivre un grand nombre de situations ou la flexibilité demandée effraye. Un petit faiseur racheté par un groupe va demander de la flexibilité aux collaborateurs pour s’adapter à de nouveaux produits, de nouveaux indicateurs, ou bien un nouveau poste, de nouvelles compétences à acquérir, de nouvelles collaborations, une nouvelle hiérarchie, un nouveau logiciel qui remplace complètement ou s’ajoute à l’existant. Mais même si cela demande de sortir de sa zone de confort, et est susceptible de générer inquiétude, globalement, après la période d’adaptation, une partie des évolutions est perçue positivement.

Ce qui peut transformer l’opportunité de flexibilité en risque, dans ce type de situation, c’est lorsque tous les changements reposent sur le facteur humain, et s’accumulent sans être organisés, coordonnés entre eux. La multiplication des interlocuteurs et les difficultés à identifier et accéder à la nouvelle hiérarchie en font partie. Elles vont généralement de pair avec le traitement d’un flux d’information continu, exigeant des réponses immédiates, sans communication des dits interlocuteurs entre eux et avec les collaborateurs concernés pour donner un ordre de priorité, faire un retour sur le travail produit. Et c’est pire encore lorsqu’ils se contredisent ! Il va sans dire que lorsque la demande de flexibilité met en jeu la place des collaborateurs dans l’organisation, des jeux de pouvoir se mettent en place, fragilisant le travail collectif et amenuisant ainsi les ressources pour faire face à la demande d’adaptation.

Quelques pistes pour augmenter ses chances de réussir le pari collectif

 Pour augmenter ses chances d’emmener le plus grand nombre dans le pari de la flexibilité de l’entreprise, de son adaptation rapide à un changement venu de l’extérieur ou de l’intérieur, il est intéressant de communiquer et de faire participer les équipes. Envisager ensemble les scénarios possibles dans une situation permet d’impliquer et de faire prendre conscience de l’impact d’un tel évènement sur l’entreprise. Constituer plusieurs groupes de travail chargés d’écrire des scénarios et proposer des pistes de flexibilité permettra de confronter différents points de vue, favorisera l’acceptabilité des mesures, permettra de prendre des mesures anticipatoires sur le plan organisationnel : adaptation de l’amplitude horaire par exemple, sur le plan technique avec l’allocation de ressources complémentaires, et sur le plan de la construction sociale avec l’adaptation des compétences, la communication entre les acteurs concernés. La possibilité pour une personne d’agir sur les décisions qui le concernent, de les préparer, est associée à un meilleur vécu, même si à la base, le collaborateur n’adhère pas à la proposition qui est faire par le groupe !

On a pu voir récemment un sous-traitant qui, voulant faire preuve de flexibilité envers son client, a accepté de fabriquer des pièces dans une nouvelle teinte, à la hâte. Le client a émis une non-conformité : après quelques jours d’errance et de tensions au sein de l’atelier, le sous-traitant s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas voir le défaut, la luminosité n’étant pas adaptée au travail de précision. Et lorsque le contrôleur est venu constater le défaut sur place, plusieurs semaines plus tard, il a lui-même utilisé une loupe pour démontrer le problème ! Depuis, les collaborateurs ont eu la bonne idée d’analyser les sources d’erreur, ils ont fait des propositions techniques avec un éclairage adapté aux cas particuliers. Certains se sont même portés volontaires pour réaliser une formation chez le client pour les teintes spécifiques, et l’entreprise a revu son contrat en insérant une clause incluant des détails techniques qui permettent de sécuriser la partie financière… Ils se sont donné les moyens de leur flexibilité.  Cela n’empêchera probablement pas d’autres erreurs, mais en permettant le recours à des moyens techniques et des connaissances supplémentaires, en anticipant les situations possibles, on élargit le champ d’action des collaborateurs, renforce leur confiance dans l’entreprise, et leur permet de prendre des initiatives qui seront ressource pour la flexibilité.

[1] John Atkinson, chercheur d’études chez Manpower

Kaliokan est spécialiste de la relation Homme-travail. L’agence accompagne et forme les entreprises dans le management de leurs ressources humaines, leur organisation et la santé au travail en s’appuyant sur la synergie de ses compétences en RH et en ergonomie afin de concevoir un mode de production performant et préservé.

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