Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Oui au Pacte Dutreil ! Oui à l’enracinement économique !

Début des années 2000, les politiques, après avoir constaté que les droits de donation et de succession à payer lors de la transmission d’entreprises pouvaient menacer leur pérennité et donc les emplois, ont érigé ce qu’on appelle communément « le Pacte Dutreil Transmission » pour réduire le coût fiscal par l’octroi d’avantages fiscaux conditionnés.

Bertrand Genachte

Bertrand Genachte. © Benjamin Lachenal

Comme chaque année, l’arrivée de l’automne annonce les bonnes ou mauvaises nouvelles en matière de fiscalité via le projet de loi de finances. Et comme très souvent désormais, des tentatives existent pour mettre à bas la principale mesure fiscale en matière de transmission de l’outil professionnel !

Cette année encore, c’est un député de la majorité qui a souhaité, via un amendement, supprimer purement et simplement les régimes des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts relatifs aux transmissions à titre gratuit de titres de sociétés ou d’entreprise individuelle, qui prévoient notamment un abattement de 75 % sur l’assiette taxable aux droits de donation ou de succession.

L’amendement adopté en commission des finances le 11 octobre dernier, n’a heureusement pas été repris dans le projet de loi adopté en première lecture en application de l’article 49 alinéa 3 de notre Constitution.

Mais jusqu’à quand ce dispositif, qui est nécessaire à la pérennisation de nos entreprises, survivra-t-il ?

La nécessité de maintenir le régime Dutreil

Les conditions pour bénéficier de l’abattement de 75 % peuvent éventuellement faire débat, mais supprimer ce régime fiscal serait une erreur économique.

Rappelons en effet ce que prévoit la loi (787 B CGI) en matière de transmission à titre gratuit de titres d’une société unipersonnelle ou pluripersonnelle. Lorsqu’un associé, qui est généralement également dirigeant, envisage de transmettre à des personnes physiques, descendantes ou non, les titres qu’il détient directement ou indirectement (via une holding) au sein de sa société d’exploitation, le législateur accorde un abattement de 75 % sur la valeur des titres donnés (sauf particularité prévue pour les holdings qui ne sont pas animatrices, c’est-à-dire les holdings qui ne participent pas à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales). Sans ce dispositif, les actions ou parts transmises seraient alors automatiquement taxées sur 100 % de leur valeur.

S’ajoute à cet abattement, la possibilité de bénéficier d’une réduction d’impôt de 50 % en cas de donation de la pleine propriété des titres avant l’âge de 70 ans.

L’exemple suivant est parlant en termes de gain fiscal potentiel :

Les titres d’une société opérationnelle valorisés à 2 M€ sont donnés en pleine propriété par un donateur âgé de moins de 70 ans à son enfant unique.

  Sans pacte Dutreil Avec pacte Dutreil
Valeur des titres 2 000 000 € 2 000 000 €
Assiette taxable (après abattement Dutreil) 2 000 000 € 500 000 €
Abattement en ligne directe 100 000 € 100 000 €
Net imposable 1 900 000 € 400 000 €
Droits de donation avant réduction 617 394 € 78 194 €
Réduction de droits (50 %) 39 097 €
Coût fiscal réel 617 394 39 097

 

Au cas d’espèce, le pacte Dutreil permet donc un gain d’impôt de 578 297 €. Il est fort à parier que si ce régime n’existait pas, peu de donations de titres de sociétés seraient envisagées et la transmission intrafamiliale de l’outil professionnel serait un vain mot. Or, avoir la possibilité de transmettre dans de bonnes conditions, notamment à ses enfants, est un gage de stabilité économique puisqu’il favorise l’enracinement en obligeant celui qui reçoit ! La transmission à titre gratuit qui, par essence, s’inscrit dans le long terme est ainsi à l’antipode du “coup financier”.

En conséquence, supprimer purement et simplement ce régime, non ! L’amender pour éviter un contournement de l’esprit de la loi, pourquoi pas !

Par exemple, l’une des critiques souvent émise à l’égard de ce dispositif réside dans le fait qu’il peut permettre de transmettre pour un coût très faible de la trésorerie sous-jacente dite excédentaire, c’est-à-dire qui n’est pas ou plus nécessaire au développement de l’activité opérationnelle. Cela peut être le cas lors de la transmission de titres d’une holding qualifiée d’animatrice, quand bien même la notion de prépondérance de l’activité éligible est un garde-fou !

La critique est d’autant plus vraie lorsqu’in fine les bénéficiaires de la transmission ne sont jamais repreneurs ! En effet, sauf l’exception du “réputé acquis“, le Dutreil ne nécessite pas que celui qui reçoit les titres exerce des fonctions de direction au sein de la société concernée. Ce cas peut ainsi prêter à discussion et à réforme pour ne cibler que les actifs strictement nécessaires à l’outil professionnel, ce que l’on retrouve en quelque sorte dans le régime dit des sociétés interposées applicable aux holdings pures.

L’éligibilité au Dutreil de la location meublée et équipée : un débat bientôt tranché ?

Quelles sont les entreprises visées par la loi Dutreil ? Sont éligibles, celles qui exercent à titre principal une activité commerciale, industrielle, agricole ou libérale. En l’absence de plus de précisions légales, la doctrine administrative considère que les activités commerciales sont celles mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exclusion notamment des activités de gestion de son propre patrimoine immobilier. L’administration écarte expressément les activités de location équipée et de locaux meublés à usage d’habitation, ce qui a généré bon nombre de contentieux. Le 29 septembre dernier, le Conseil d’État, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, a ainsi déjugé la position de l’administration fiscale en considérant que l’activité de location meublée pouvait revêtir une nature commerciale la rendant éligible au régime Dutreil.

En réaction, un amendement additionnel au projet de loi de finances pour 2024 a été présenté par le gouvernement et adopté dans le cadre de la procédure de l’article 49 alinéa 3. Cet amendement vise à mettre fin au débat doctrinal et jurisprudentiel en légalisant la non-éligibilité de l’activité de location meublée et équipée au dispositif Dutreil. Dans l’exposé des motifs, le gouvernent explique que les activités commerciales doivent s’entendre de celles prévues aux articles 34 et 35 du Code général des impôts, à l’exception de toute activité de gestion de son propre patrimoine. Il ajoute qu’« il s’agit d’éviter notamment que l’exonération ne bénéficie à des activités patrimoniales consistant en la location de locaux meublés ou d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation ». Sauf surprise, la messe semble donc dite. À suivre…

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