Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

 »Nous incitons les avocats à se spécialiser »

Élu au suffrage universel à la tête de l’Ordre des Avocats pour deux ans par ses confrères en début d’année, Maître Bruno Carriou, 53 ans, est bâtonnier pour les années 2019 et 2020.

Bruno Carriou

Comment envisagez-vous votre bâtonnat ?

Je ne suis là qu’en CDD, j’en ai fait un quart. Le 28 novembre prochain, on connaîtra celui ou celle qui me succédera. Le temps est court pour mettre en place des choses, pour se lancer dans une mission qui vient en complément d’une activité professionnelle. J’ai prêté serment en 1996, après avoir travaillé quatre ans dans le privé, à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Au fil des années, je suis devenu associé et j’ai développé une compétence en droit du travail et en droit de la Sécurité sociale. Au bout de vingt ans d’exercice professionnel, l’idée m’est venue de me présenter après un investissement ordinal qui datait de longtemps. 

C’est un CDD qui s’inscrit dans une longue période d’investissement au sein de la profession. Deux actions sont importantes, d’abord celle de la représentation de 1 100 avocats qui ont des métiers extrêmement différents, 60% de femmes et 60% de confrères qui ont une activité non judiciaire.

La place de l’avocat aujourd’hui, ce n’est pas celle de l’avocat au palais mais celle dans la ville, dans la métropole. C’est d’abord une mission de représentation pour permettre à l’Ordre d’être visible, et d’avoir toute sa place. Depuis le début de l’année, nous avons mené un travail important pour renouer des contacts, comme l’ont fait mes prédécesseurs, avec les partenaires institutionnels, la Préfecture, la Région, les élus, les députés qui ont beaucoup changé. Nous organisons et participons à plusieurs événements, dès la rentrée. Nous renouvelons également l’opération Avocœurs les 4 et 5 octobre pour récolter des fonds et soutenir trois associations aidant les personnes en difficulté.

Quel mode de fonctionnement avez-vous mis en place en tant que bâtonnier ?

Comme je veux garder un pied dans mon cabinet, j’ai constitué une équipe assez large de confrères. Quand une thématique arrive, je commence par interroger le référent concerné. Nous continuons à organiser des colloques, des manifestations à l’égard du grand public, des entreprises et des collectivités locales. Nous avons d’ailleurs noué un partenariat avec l’association des maires de France. 

Sur la partie ordinale, le fonctionnement s’appuie sur la gestion de 1 100 avocats. Cela signifie 1 100 individualités, avec des personnalités parfois fortes. Mais dans ce métier, si l’on est un peu fade, on réussit plus difficilement. Au quotidien, j’essaie de faire en sorte que l’Ordre soit au service des avocats : en cas d’incident entre avocat et client ou entre professionnels. Que chacun soit en capacité de trancher dans des délais raisonnables.

En franchissant le cap des 1 000 avocats, est-ce que cela ne pose pas des problèmes de taille ?

Cela nous oblige à plus d’organisation. Nous avons augmenté de 90% en dix ans. Nous sommes obligés de mettre en place des process pour suivre les choses, pour savoir où exercent les avocats. À Nantes, le conseil de l’Ordre est très attentif à la manière dont les confrères exercent leur activité. C’est une démarche plus encadrée, quitte à paraître un peu rigide. Ce n’est pas un souci de taille mais de fonctionnement pour s’adapter au volume.

Les jeunes avocats sont confrontés à des choix, très vite, ils doivent se spécialiser. Se heurtent-ils à d’autres problématiques qu’en 2000 ?

Aujourd’hui, l’avenir de l’avocat n’est pas dans la voie généraliste. Il s’oriente, très jeune, vers des spécialisations. Nous développons un gros travail d’information pour inciter les confrères à passer leur examen de spécialisation, à revendiquer une spécialité, gage d’expertise. C’est l’enjeu. Avec un barreau qui compte 1 100 avocats, on est également confronté à un problème de visibilité. C’est de plus en plus complexe pour les derniers avocats arrivés. Il faut véritablement accompagner les jeunes pour qu’ils gagnent en notoriété.

Dans le respect de la déontologie, notamment avec l’arrivée du numérique ?

Nos règles ont beaucoup évolué. On peut faire plus de choses aujourd’hui, sans faire de la publicité en ‘‘quatre par trois’’. Si l’on veut entamer une démarche de sollicitation, il faut qu’elle ait un sens. Parmi les projets que j’ai engagés depuis le début de l’année, il y a celui de la mise en conformité de toute la communication des avocats. L’avocat qui ouvre un site internet doit informer l’Ordre, pour que le contrôle a priori ou a posteriori soit renforcé. Cet enjeu était de taille. Nous l’avons donc accompagné par une opération de communication, pour sensibiliser les avocats au fait qu’ils exercent une profession réglementée.

D’autres projets ?

La refonte du règlement intérieur datant de 1988, nous avons travaillé sur un projet de règlement du Barreau de Nantes, que j’ai envoyé à la concertation de tous les avocats nantais. Après leur retour à la rentrée, il sera soumis au conseil de l’Ordre. Il s’agit de mettre en place quelque chose de lisible. Ainsi, s’il existe un différend entre avocats, il y aura la possibilité de mettre en place un référé déontologique pour trancher la difficulté.

Nous avons aussi l’intention de mettre en place un logiciel métier dédié à l’Ordre et baptisé « Barotech ». C’est un projet ambitieux mené à l’initiative du bâtonnier Jean-Michel Calvar. Dans ce domaine, Nantes se place comme pilote depuis juillet 2018. En changeant le mode de communication, la nouvelle interface du logiciel métier facilitera la saisine de l’Ordre et le traitement. Avec 280 décisions administratives rendues depuis le début de l’année, cela représente une très grosse structure.

La question de l’aide juridictionnelle est un sujet particulièrement­ tendu à Nantes ?

C’est totalement extravagant. Si le Barreau de Nantes a grossi avec autant d’avocats, c’est parce que la région devient attractive mais aussi parce que la population a énormément augmenté. Ce qui n’est pas le cas du nombre de magistrats au Palais. À Nantes, les consommateurs de justice hésitent moins. Il y a un réel besoin. Ces derniers doivent trouver un juge qui puisse trancher dans des délais raisonnables. La difficulté du Tribunal de grande instance de Nantes est d’avoir des moyens contraints qui n’évoluent pas avec la démographie. C’est la question du juge des affaires familiales, du pôle social (ex-Tribunal des affaires de Sécurité sociale) qui voit ses délais s’étendre jusqu’à trois ans et demi, voire quatre ans de procédures. C’est le cas pour la reconnaissance d’un accident du travail ou une faute inexcusable, par exemple. Le manque de moyens est extravagant, au vu du stock qui approche des 5 000 à 6 000 dossiers. Ce sera le sujet de la rentrée.

Propos recueillis par Victor GALICE