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Blackmeal : « Nantes est une petite capitale du Motion Design »

Agence pionnière du motion design, Blackmeal réalise 80% de son chiffre d’affaires (860 000 € en 2020 pour 20 salariés) sur le territoire après s’y être implantée en 2013. Le studio, qui s’adresse principalement à des grands comptes comme L’Oréal, Danone ou encore Universal, figure aujourd’hui parmi les références nationales. Et lorgne désormais outre-Atlantique, au Canada. Rencontre avec un passionné de la première heure, Matthieu Colombel, cofondateur et CEO de Blackmeal.

Matthieu COLOMBEL, cofondateur et CEO de Blackmeal

Matthieu COLOMBEL, cofondateur et CEO de Blackmeal © Benjamin Lachenal

Comment définir le motion design ?

C’est la contraction de motion graphic design. On pense souvent que c’est un métier récent, alors qu’en fait il a presque cent ans. À la base, ce sont des gens qui faisaient les affiches de cinéma qui ont eu envie de mettre les images en mouvement pour en faire un générique de film. Aujourd’hui, on raconte des histoires par la métaphore graphique. Notre métier consiste à résumer une trame narrative globale et à en faire un condensé, ce qui est exactement le rôle d’un générique de film qui est là pour donner des bribes et donner envie de rentrer dans le film.

Comment en êtes-vous venu à exercer ce métier ?

Je voulais le faire depuis que je suis tout petit, sauf que je ne savais pas ce qu’était le motion design. Mes parents étaient fans des films de James Bond et j’avais le droit de regarder les génériques faits par Maurice Binder. J’ai trouvé passionnant de voir qu’on pouvait raconter des histoires par la métaphore graphique et des sous-entendus en l’espace de deux minutes. Ce qui était le principe de Maurice Binder et plus tard de Saul Bass, qui sont devenus les stars de mon métier.

Je voulais donc faire cette activité, sauf qu’il n’y avait alors pas d’école en France. Je me suis d’abord un peu auto-formé et, un jour, j’ai reçu un flyer d’E-artsup à Paris. L’école se lançait et formait les premiers designers graphiques animateurs en ayant compris que la vidéo allait devenir un support incontournable. Je suis sorti d’études en 2005-2006, à l’époque des débuts de la digitalisation des agences de communication, grâce au développement du haut débit. C’est aussi à cette époque que Facebook, YouTube sont apparus. Il y avait donc tout un terrain de jeu qui s’ouvrait : le web.

Embauché chez TBWA à Paris, je me suis très rapidement retrouvé surchargé de travail et j’ai recruté une première personne : Vincent Ben Abdellah, mon associé chez Blackmeal, puis une deuxième, jusqu’à gérer un pôle d’une vingtaine de personnes. J’en suis parti en 2011 pour voler de mes propres ailes, avec Vincent et Thomas Lecomte, le troisième associé.

C’est le début de l’aventure Blackmeal ?

Exactement. On faisait alors partie des tout premiers studios de motion design en France. On s’est installés à Paris car le marché était là et il y avait alors cette mentalité – et c’est d’ailleurs toujours un peu le cas – que dans le monde de la communication tout se passait là-bas.

Comment se présentait ce nouveau marché ?

Ce métier est indispensable dans les pays anglo-saxons depuis cinquante ans, alors qu’en France, ça ne fait que quinze ans qu’on se rend compte qu’il est important. Les États-Unis ont pris de l’avance dans la publicité et dans le cinéma, suivis d’autres pays anglo-saxons et, depuis, ça ne les a jamais quittés. L’identité graphique est ancrée dans leur ADN.

En 2011, le motion design avait donc clairement du retard en France. Mais c’est un univers qui commençait à pas mal bouger. Des formations naissaient, des studios et des indépendants se développaient. Les entreprises aussi commençaient à prendre conscience que, pour raconter leur marque, un produit, le fait de travailler avec des designers était hyper intéressant. Dès la première année on a réussi à faire 250 000 € de CA alors qu’aucun de nous trois n’était entrepreneurs. En fait, ça a marché très bien très vite.

Les entreprises se rendent compte que le motion design est une approche qu’elles attendaient depuis longtemps

Dans quel contexte s’est faite votre arrivée à Nantes ?

En grossissant, on a choisi de se développer dans une autre ville. Ma femme est d’ici et Nantes avait tout l’air d’une ville idéale pour sa qualité de vie. J’ai commencé à rencontrer des gens qui m’ont tout de suite prévenu que Nantes était une ville de réseaux. J’ai en effet très vite remarqué la puissance du réseau ici et à quel point il y avait un marché.
Je me suis aussi rapproché des organismes de formation car j’avais besoin de compétences sur place. J’ai formé pas mal de gens, on a commencé à se faire connaître des agences de communication et des entreprises et très vite Nantes est devenue le plus gros de l’équipe de Blackmeal. En l’espace de deux ans, on avait pris une place importante et aujourd’hui, Nantes et ses alentours représentent 80% de notre chiffre d’affaires. Toutes les entreprises, à partir du moment où on leur explique ce qu’est notre métier, sont réceptives. Elles se rendent compte que le motion design est une approche qu’elles attendaient depuis longtemps.

Quelle est votre spécificité ?

Notre métier n’est pas de divertir, mais d’informer avant tout. Ce que l’on cherche, c’est capter l’attention des gens et la conserver pour qu’ils restent jusqu’au bout du film. Notre principe est notamment de faire passer un message, une idée sans que cela crée un traumatisme. Chaque année, on accompagne des associations et on aide souvent les entreprises sur des problématiques internes, RH, pour désamorcer un conflit, soutenir des causes difficiles sur lesquelles les gens ont tendance à être très agressifs. On sait apporter une couleur, une voix, un ton qui vont faire en sorte que le message sera plus facilement adopté. On travaille sur toutes typologies de films et de techniques. On va chercher des spécialistes, par exemple des techniciens 3D, des designers sonores… en collaboration avec d’autres. On ne cherche pas à tout faire. Sur l’année, on travaille ainsi avec une cinquantaine d’indépendants. Beaucoup sont Nantais, quelques-uns Parisiens, d’autres sont implantés dans le reste de la France et même à l’étranger.

Nantes est-elle aujourd’hui une place forte du motion design ?

On dit souvent qu’elle est devenue une petite capitale du motion design en France. Il y a ici des designers graphiques extrêmement connus comme Antoine Corbineau, The Feebles… Nantes étant une ville d’art et de culture, on a des gens extrêmement talentueux. On l’a vu quand on a monté le festival Motion Motion : 1 500 personnes sont venues la première année, 3 500 la deuxième et 5 000 à la dernière édition en 2019.

Il y a beaucoup de choses qui se passent à Paris bien sûr, mais il y a aussi pas mal de motion designers qui ont fait le choix de venir à Nantes parce qu’il y a un marché porteur. Paris n’est donc pas la place forte du motion design, surtout depuis le début de la crise sanitaire. On a vu arriver une flopée de designers graphiques… Et je sais que ça va s’accélérer.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

On était sur une dynamique forte avant la crise et on va de nouveau accélérer maintenant que les choses reprennent. Et, le deuxième facteur, c’est la relation que la ville de Nantes a avec Montréal. Des événements vont être organisés ici, dupliqués là-bas et inversement. La puissance de Montréal peut donner une aura non négligeable à Nantes.

Sur l’échiquier mondial, quelle est notre place ?

Au niveau du design graphique de manière générale, on est influencés par son environnement, par les codes qui nous entourent. On ne fait pas du tout le même motion design en Amérique du Sud qu’aux États-Unis, au Canada, en France… Et les demandes, les clients ne sont pas les mêmes non plus.

 

Matthieu Colombel

© Benjamin Lachenal

Comment pourrait-on définir la « French Touch » ?

On a quelque chose de plus fin, plus léché, plus sage aussi en termes de chromie, avec une animation légère. L’élégance, la justesse, définissent plutôt bien la culture française. On est dans le message posé. On fait attention à ne pas sermonner les gens, ne pas les culpabiliser, on joue plutôt sur l’empathie, la bienveillance. C’est important car la nouvelle génération est dans le rejet total de la culpabilisation. C’est d’ailleurs une des principales problématiques des entreprises actuellement : elles n’arrivent pas à toucher les jeunes. Alors qu’à partir du moment où l’on communique avec un message bienveillant et de responsabilité, leur engagement est très puissant.

Quels sont les enjeux du marché aujourd’hui ?

Il faut continuer à expliquer aux clients, aux élus, aux entreprises à quel point notre métier est important pour emmener les gens dans le XXIIe siècle. Souvent, ce qui leur fait franchir le pas, c’est le besoin de modernité dans le message qu’ils veulent faire passer. Il faut aussi continuer à former des jeunes et à organiser des événements. Promouvoir le motion design. Autre enjeu de notre métier : franciser « motion design ». Il y a un terme ancien qui ressort en ce moment, c’est celui de cinégraphisme, c’est-à-dire qui met le graphisme en mouvement.

Lié à cela, il y a la volonté de mettre un cadre légal à notre activité. Pour certains on est considérés comme un métier technique, pour d’autres comme illustrateur, script, réalisateur… Tout cela fait que lorsqu’on est indépendant dans notre métier, on ne rentre dans aucune case pour l’administration française. Je me bats pour faire en sorte qu’il soit considéré comme un métier à part entière.

Il y a beaucoup de choses qui se passent à Paris bien sûr, mais il y a aussi pas mal de motion designers qui ont fait le choix de venir à Nantes parce qu’il y a un marché porteur.

Quelles sont vos ambitions pour Blackmeal ?

Matthieu Colombel

© Benjamin Lachenal

Déjà, développer Blackmeal à Montréal. Il y a cinq ans, je suis allé là-bas et je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme déficit sur le motion design. En fait, au Canada, il y a deux pays : à l’Ouest, ils sont très puissants, mais à l’Est, au niveau de Montréal, ils ont beaucoup de retard. Ça s’explique par le fait que là-bas, personne ne fait bouger ce secteur d’activité ou en tout cas pas suffisamment. Deux ans après je suis revenu et ça n’avait toujours pas bougé. Or, Nantes et Montréal se ressemblent beaucoup dans leur approche du réseau, la bienveillance. Et c’est juste dix fois plus gros que Nantes ! On a donc commencé à réfléchir sur la manière dont on allait s’y implanter en 2017. J’ai finalement signé nos bureaux le 15 mars 2020. Lorsque je suis rentré deux jours plus tard en France on m’a annoncé que je ne pourrais plus y repartir… On a pris un an et demi de retard avec la pandémie. Montréal a été une des villes les plus contraignantes avec des amendes très dissuasives alors que normalement ça va très vite. On veut devenir une référence sur la ville de Montréal, sur la partie francophone en particulier, creuser notre trou aussi sur la formation car il n’y a quasiment rien sur le territoire, puis continuer de se développer dans d’autres villes. Et il y a aussi des choses à faire en Belgique.

Et en France ?

Ici aussi tout a été plus lent. Là où l’on faisait, avant la pandémie, un film en cinq semaines, on a mis deux voire trois mois. On a fait un bon chiffre d’affaires, mais la rentabilité, elle, n’a pas été au rendez-vous. Notre processus est tel qu’on a besoin de voir les gens. Le fait d’être à plusieurs cerveaux dans une pièce permet d’aller beaucoup plus vite. Dans la relation avec nos clients aussi, tout était ralenti et comme on facture au forfait jour, quand le planning glisse sur trente projets, ça devient compliqué. On sait que l’accélération va venir pour début septembre. 2021 ne sera sans doute pas non plus une année représentative pour l’entreprise. Mais on en a profité pour repenser les processus internes. On attend beaucoup de 2022.

Blackmeal en dates

2011 : création de l’entreprise à Paris par Matthieu Colombel, Vincent Ben Abdellah et Thomas Lecomte

2013 : ouverture de bureaux à Nantes

2018 : entrée de Syd Groupe au capital de Blackmeal comme actionnaire majoritaire

2020 : création d’un bureau à Montréal