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L’Insee prévoit une croissance poussive

En 2023, la croissance s’essouffle sur fond de ralentissement de l’inflation, d’après l’Insee. L’augmentation des prix sera de moins en moins nourrie par ceux agroalimentaires et de plus en plus par ceux des services. Mais la prévision reste soumise à de nombreuses incertitudes, notamment au niveau international.

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« L’inflation recule, la croissance hésite », annonce Julien Pouget, chef du département de la conjoncture de l’Insee. C’est de fait le titre choisi pour la dernière note de conjoncture de l’Institut qui donne ses prévisions pour 2023. Celles-ci ont été dévoilées le 15 juin. Pour l’année en cours, l’Insee prévoit une croissance du PIB de l’ordre de 0,6 %, après 2,5 % en 2022. L’inflation générale, elle, devrait atteindre 4,4 % en décembre, contre 5,1 % en avril, en raison d’un reflux de celle qui touche les produits alimentaires. Ce, à condition que le prix du pétrole reste figé à 72 €, contenant l’inflation liée à l’énergie. A contrario, « la hausse des coûts salariaux devraient nourrir l’inflation dans les services qui deviendraient la principale cause de l’inflation globale », pointe Julien Pouget.

Cette hausse des coûts salariaux a des conséquences sur un autre plan : celui du pouvoir d’achat des ménages, lequel devrait se stabiliser en 2023, par rapport à 2022. Progression du salaire moyen comparable à celui des prix à la consommation, primes en entreprise, indemnité carburant… L’ensemble de ces évolutions devraient permettre aux particuliers de compenser l’évolution de l’inflation. Pour autant, les Français restent prudents. Les prévisions en matière de consommation sont en légère baisse sur l’ensemble de l’année. L’investissement des ménages (immobilier) continue de reculer. A contrario, le taux d’épargne devrait rester stable à un niveau historiquement haut : 18 % du revenu disponible brut, contre 15 % en 2007.

Parmi les autres évolutions macro-économiques pour 2023, l’Insee prévoit une stabilité du taux de chômage (7,1 % de la population active). Si au début de l’année, la dynamique sur le front de l’emploi s’est poursuivie en dépit d’un ralentissement économique, elle devrait s’essouffler, et la création nette d’emplois plafonner à 175 000 sur l’année, contre 445 000 l’an dernier. Du côté des entreprises, l’investissement devrait marquer le pas au deuxième semestre, sur fond d’un climat des affaires qui se dégrade, depuis plusieurs mois.

L’inflation alimentaire va diminuer

Dans sa note de conjoncture, l’Insee a réalisé un focus sur un sujet crucial, celui de l’inflation alimentaire. « En mai, elle a atteint un niveau inédit de l’ordre de + 14 %, sur un an. Cela constitue la contribution la plus importante à l’inflation d’ensemble », constate Olivier Simon, chef de la division synthèse conjoncturelle de l’Insee. Le phénomène résulte de l’augmentation des prix des matières premières agricoles et de l’énergie, qui se transmet tout au long de la chaîne de production, de la ferme à l’industrie agroalimentaire, et jusqu’au prix de détail. Par exemple, en 2022, le renchérissement des prix des intrants agricoles explique 90 % de la hausse des prix agricoles à la production (hors fruits et légumes), 70 % de celle des prix de production des industries agroalimentaires, et 50 % de la hausse des prix à la consommation (hors produits frais). Cette répercussion se fait de manière graduelle dans le temps. Les courbes des différents prix, liées, ont chacune leur tempo. Ainsi, les prix agricoles à la production ont augmenté jusqu’en juin 2022 pour refluer légèrement, alors que ceux à la consommation sont restés dynamiques. Car d’autres paramètres entrent en ligne de compte, à commencer par le comportement des entreprises en matière de marge. « Dans l’industrie agroalimentaire, on constate une compression des marges unitaires en 2021. Celles-ci ont ensuite fortement augmenté, pour dépasser de dix points le niveau d’avant la crise sanitaire », explique Olivier Simon. Toutefois, le reflux des prix des matières premières depuis 2022 devrait finir par exercer une pression à la baisse sur les prix de production de l’industrie agroalimentaire, qui pourraient refluer d’ici la fin de l’année. La dynamique pourrait être accentuée par une baisse des taux de marges.

Cependant, la hausse des prix à la consommation ne ferait que ralentir, en raison de la hausse des coûts salariaux. Elle atteindrait alors 7,5 % en décembre, soit une quasi-division par deux par rapport au mois d’avril (15 %). « Il reste cependant de nombreuses incertitudes », prévient Olivier Simon. Elles tiennent, notamment, à l’impact des renégociations entre distributeurs et producteurs, à la question de l’écoulement des stocks, et aussi, à l’évolution des cours mondiaux des matières premières agricoles et de l’énergie…

Climat économique mondial incertain

Les évolutions internationales pourraient, en effet, peser lourd sur l’évolution de l’économie française et les incertitudes les concernant sont nombreuses. Au niveau mondial, la dynamique se trouve entre « d’un côté, une normalisation progressive des conditions de production qui soutiennent l’activité, et de l’autre, les premières conséquences du durcissement des conditions financières et monétaires », décrypte Julien Pouget.

Concernant les conditions de production, la levée des restrictions sanitaires en Chine va dans le sens d’un relâchement ultérieur des tensions d’approvisionnement. Et la baisse des cours des matières premières, déjà sensible depuis plusieurs mois par rapport au pic de 2022, se poursuit. Toutefois, il reste des « interrogations », par exemple sur le calendrier de la transmission du reflux des prix mondiaux sur ceux appliqués aux particuliers, mais aussi aux entreprises qui ont pu conclure des contrats à prix fixe (gaz, par exemple) à des conditions défavorables. Par ailleurs, « même si elle a amorcé un reflux, l’inflation reste relativement élevée et pèse sur la demande intérieure », observe Julien Pouget.

Autre phénomène inquiétant, le premier effet du resserrement monétaire se fait déjà sentir sur l’immobilier, les taux d’intérêt élevés pesant sur les investissements des ménages. Et la tendance est aussi perceptible sur ceux des entreprises.

Selon les pays, les situations diffèrent. En matière d’inflation, « les écarts sont assez importants car ils sont le reflet de la chronique des politiques publiques mises en place depuis un an et demi, pour lutter contre l’inflation énergétique », analyse Julien Pouget.

Par rapport à 2019, en mai dernier, les indices des prix à la consommation sont environ 20 % plus élevés, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et aux USA, et 15 % en France et en Espagne. Plus globalement, la croissance annuelle du PIB en 2023 varie aussi selon les pays. Avec 1,3 % et 2 %, Italie et Espagne peuvent compter sur un rattrapage nourri d’investissements soutenus par le plan européen de relance. L’Allemagne, particulièrement exposée au choc industriel, devrait afficher un PIB en recul net (-0,3 %), après +1,9 % en 2022. La croissance américaine ralentirait (1,5 %, après 2,1%), et celle britannique, passerait de 4,1 % à 0,3 %.