« Nourrir 10 milliards d’humains à l’horizon 2050, veiller à leur santé alimentaire et réparer la planète, voilà les challenges qui nous attendent. Il nous faut repenser la façon de nous alimenter et admettre que l’alimentation est l’affaire de tous. L’innovation est la seule voie possible pour faire face aux enjeux de demain. » D’entrée, Hervé Pillaud, agriculteur et conférencier vendéen engagé sur les questions de la souveraineté alimentaire et de l’innovation agricole, pose la problématique de cette table ronde organisée par la French Tech Vendée Night le 13 septembre dernier à la Loco numérique (La Roche-sur-Yon).
Nourrir toutes les populations
Depuis plusieurs années déjà, conscients de cette nécessité d’innover, les agriculteurs se sont tournés vers les start-up pour trouver des réponses. « On n’a pas d’autres choix parce qu’il y a de moins en moins d’agriculteurs et que la population ne cesse de s’accroître, souligne Jordy Bouancheau, agriculteur vendéen, élu national du syndicat Jeunes agriculteurs et président du pôle Alimentation au sein de la Chambre d’agriculture Pays de la Loire. Pour faire plus avec moins, il a fallu trouver de nouvelles techniques et technologies. En réussissant à s’imprégner de nos problématiques quotidiennes, les start-up peuvent nous proposer des outils adaptés à nos besoins. Cela peut aller de la mise en place d’une plateforme participative comme Miimosa pour financer des outils plus modernes et performants ou l’installation de jeunes agriculteurs, à des systèmes de guidage GPS ultraprécis pour utiliser la dose strictement nécessaire de produits phytosanitaires au centimètre près. »
Pour satisfaire les besoins alimentaires de demain, Hervé Pillaud rappelle qu’il nous faudra également prendre en compte un autre paramètre important : « La répartition de la population sur la planète est en totale inadéquation avec les capacités de production. En 2050, 70 % de la population sera sur un axe entre Tokyo et Lagos en Afrique, avec près de 80 % d’espaces urbanisés. Il y aura besoin de produire pour des populations là où il n’y a pas de terre. » Pour résoudre ce paradoxe, l’un des leviers est, avance-t-il, de « disrupter totalement notre alimentation en proposant des produits qui n’existaient pas autrement que dans la science-fiction il y a encore 20 ans : celui par exemple de la viande cultivée ».
C’est justement le créneau de Vital Meat, basée dans le Maine-et-Loire et filiale du groupe Grimaud, spécialisée dans la sélection génétique animale. « Ces marchés sont mondiaux et nous voyons bien qu’il y a un problème pour suivre la hausse des besoins en protéines animales. D’où l’idée de lancer Vital Meat il y a cinq ans », indique Julien Leblond, directeur marketing et communication du groupe et représentant Vital Meat lors de cette conférence. À partir de cellules mises dans des bioréacteurs et nourries avec des nutriments, des vitamines, des sels minéraux, Vital Meat a déjà réussi à produire 30 kg de poulet cultivé en 2022. « Ce n’est plus de la fiction mais une réalité. Nous avons goûté et c’est bon. Ce n’est pas de la viande mais une protéine animale complémentaire à ce que l’on sait faire par ailleurs avec nos animaux. Cela permet ainsi d’avoir deux types d’alimentation pour faire face aux besoins globaux. En termes nutritifs, c’est identique à la viande. »
Dirigeante-fondatrice de Keto M+, une start-up basée au Mans et spécialisée dans la nutrition médicale via des produits sans sucre, Sybille Bellamy voit, elle, un autre intérêt dans les protéines cultivées. « Elles pourraient servir à alimenter une certaine partie de la population, âgée ou handicapée, qui peut avoir des difficultés de déglutition. Pourquoi ne pas envisager d’utiliser ce genre de protéines, bonnes car complètes, pour les intégrer dans des préparations ? Aujourd’hui, ces personnes ont accès à des produits qui ne sont pas du tout de bonne qualité. »
Satisfaire les attentes des consommateurs
L’alimentation de demain s’inscrit dans un contexte d’attentes sociétales et environnementales fortes, accentuées par une inflation marquée. Alors pour nourrir le plus grand nombre avec des aliments de qualité, à des prix accessibles et conformes aux exigences multiples des consommateurs, les entreprises collaborent de plus en plus avec les start-up.
« Quand on parle innovation produit, d’un côté il faut regarder les besoins du consommateur pour les comprendre et anticiper ses attentes futures. De l’autre, il faut prendre en compte les enjeux de développement durable, explique Arnaud Dubreuil, open innovation manager chez Sodebo. La R&D a toujours été au cœur de notre entreprise mais elle a besoin de s’enrichir et de pouvoir intégrer de nouveaux savoir-faire, qu’ils soient culinaires ou techniques. D’où l’idée de se rapprocher de start-up pour trouver des solutions rapides et agiles. »
« Travailler avec les start-up, c’est franchir un cap, complète Fabien Lomet, chef de projet R&D chez Brioches Fonteneau. Elles bousculent notre façon de travailler : elles ont besoin d’avancer très vite alors que nous avons des processus internes parfois assez longs. Mais c’est pour la bonne cause. »
Avec la charcuterie industrielle Petigas, Brioches Fonteneau et Sodebo ont lancé en 2021 FuturaGrow, un programme d’accélération foodtech. Objectif : imaginer ensemble une industrie agroalimentaire plus juste, plus durable et plus responsable en accompagnant des start-up qui ont une solution commercialisable mais pas encore au stade industriel.
« L’idée avec ce programme, c’était de s’ouvrir à des innovations centrées sur les enjeux environnementaux comme celui de l’emballage, complète Arnaud Dubreuil pour Sodebo. Lors de la première saison, nous avons travaillé avec la start-up Berny pour trouver des alternatives au plastique et développer un emballage réemployable et consigné. » De son côté, Brioches Fonteneau a choisi de collaborer avec Outlander Materials pour créer de nouveaux emballages compostables à partir de déchets alimentaires, issus de l’industrie alimentaire, de sous-produits et de déchets de brasserie. Avec Carbiolice, autre finaliste de la saison 1, la PME de Boufféré a également développé un emballage plastique compostable.
Si agriculteurs, industriels et start-up ont bien compris l’intérêt d’unir leurs forces pour repenser notre façon de nous alimenter, devront-ils pour autant vraiment nourrir 10 milliards d’individus comme l’annonce l’Onu ? Pour Sybille Bellamy de KetoM+, qui a vécu 25 ans aux États-Unis, rien n’est moins sûr car cela impliquerait que l’espérance de vie soit au moins aussi forte qu’aujourd’hui. « Avec, en France, près d’un adulte sur deux obèses ou en surpoids et des enfants qui sont déjà en état d’obésité, ce ne sera pas le cas. C’est déjà ce qui se passe aux États-Unis, où dans certains États, l’obésité réduit l’espérance de vie parfois à 40 ans !1 »
[1] En août 2022, les autorités sanitaires américaines ont annoncé que l’espérance de vie des Américains avait diminué de presque un an en 2021 et de 2,7 ans en deux ans. À titre de comparaison, l’espérance de vie en France est de 85,5 ans pour les femmes et de 79,4 ans pour les hommes.