La lutte contre le dérèglement climatique et pour la préservation de l’environnement impose de repenser urgemment le modèle de développement qui prévalait jusqu’alors. De façon évidente, l’équation entre expansion économique et injonction écologique exige une frugalité substantielle (énergétique et consumériste avant tout…). Suggère-t-elle, pour autant, que la décroissance soit une réponse viable ? Loin s’en faut. Une telle hypothèse pourrait avoir pour conséquence la mise en péril de certaines avancées sociales fondamentales (notamment en matière de santé ou d’enseignement…) et, de fait, une régression de notre modèle sociétal. Elle se traduirait en effet par un tarissement des investissements nécessaires à la construction d’un vrai modèle alternatif, seule véritable issue à la problématique à laquelle nous sommes collectivement confrontés. Cette option de nature coercitive serait par ailleurs d’autant moins plausible qu’elle serait difficile à globaliser à l’échelle de l’humanité. Aussi, mieux vaut transformer le système existant que l’annihiler.
Des idées reçues
D’autant qu’en dépit de la dynamique économique des trente dernières années, la décarbonisation mondiale est passée de 0,7 kg de CO2 par dollar de PIB en 1990 à 0,3 kg en 2019[1]. Dans les faits, croissance et développement durable sont donc loin d’être antinomiques. Bien au contraire, s’appuyant sur l’innovation, la première peut être façonnée pour servir la seconde. Que ce soit en matière d’énergies propres, de chasse au carbone ou d’économie d’énergies « traditionnelles », les projets porteurs à la fois de croissance et de sens écologique sont désormais légion. Et ils ne datent pas d’hier. Un réfrigérateur consomme aujourd’hui trois fois moins que les 320 kWh/an nécessaires à son fonctionnement il y a une douzaine d’années. Partant de cet exemple, nul doute que la recherche actuelle permettra d’ici cinq ans la création de batteries longue durée et, à terme, de les concevoir sans matériaux rares. Pourtant, en dépit des vertus économiques du développement durable, celui-ci reste encore trop souvent considéré à travers le prisme du coût plutôt que celui d’un investissement rentable financièrement et différentiant compétitivement. Selon une étude du Capgemini Research Institute, 53 % des entreprises interrogées estiment que les coûts liés à la mise en œuvre d’initiatives de cette nature sont supérieurs aux avantages potentiels. Un a priori d’autant plus contestable qu’il tend à freiner l’action des entreprises en matière de réduction de leur empreinte carbone. La réalité est, en fait, bien différente puisque développement durable et performances financières vont souvent de pair. La même étude fait en effet ressortir que les « pionniers » – à savoir les premières organisations à avoir mis en œuvre des pratiques durables (ne représentant que 11 % du panel d’entreprises interrogées) – ont vu leurs revenus par employé augmenter de 83 % entre 2020 et 2021. Sur la même période, les « novices » en développement durable (26 % du panel) ont réalisé un revenu par employé inférieur de 13 %.
Ce constat chiffré montre que le développement durable peut être l’opportunité de capter de nouveaux business ou de faire évoluer le sien en un modèle plus vertueux.
Le projet Train léger innovant, porté par la SNCF sera un excellent moyen pour augmenter ses parts de marché. Afin de redynamiser les lignes de desserte fine du territoire jugées non rentables et dont l’exploitation a été suspendue, l’initiative mise sur un nouveau concept de mobilité durable frugal, propulsé électriquement par batteries et hydrogène.
Les vertus économiques du développement durable
Le développement durable est également un levier efficace de performance opérationnelle. Dans l’industrie du luxe, la traçabilité est désormais un atout commercial vis-à-vis de clients finaux toujours plus regardants. La valorisation de cette traçabilité permettra potentiellement a minima d’absorber la hausse des matières premières achetées auprès des fournisseurs et le plus souvent d’accroître les marges. Dans un autre registre, le constructeur automobile Renault vient de porter à 36 % la part de matériaux recyclés dans ses véhicules vendus en Europe.
En dépit de ces évidentes opportunités, dans une majorité des cas (57 % du panel interrogé dans le cadre de l’étude de Capgemini Research Institute), les entreprises qui se lancent sur cette voie le font encore pour se prémunir contre une réglementation future plus stricte. En Europe, la volonté d’imposer à ces dernières des objectifs en lien avec le scope 3, engageant leur responsabilité sur l’intégralité de la vie d’un produit ou d’un service (des fournisseurs aux distributeurs), rend ce mouvement irréversible. Par conséquent, nul doute que l’évitement des risques réglementaires sera progressivement transformé en opportunité de croissance ou de performance par les acteurs économiques.
Battant en brèche l’idée selon laquelle seule la décroissance serait un vecteur de pérennité, les vertus économiques du développement durable sur la croissance des entreprises s’imposent. D’autant plus que cet axe de développement est propre à attirer, par ailleurs, les investissements, les clients et les talents. De nombreux atouts qu’il convient de mieux promouvoir au risque de freiner la transformation – pourtant inéluctable – vers un modèle économique alternatif.
[1] Source : La Banque mondiale