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La réversibilité des constructions : mythe ou réalité ?

Les outils créés par le législateur pour favoriser la réversibilité des constructions sont-ils suffisants compte tenu des nombreux freins empêchant l’évolution de l’usage des bâtiments dans le temps ?

Cabinet Racine

Ève NICOLAS, avocat associée et Pierre BARBOTEAU, avocat conseil, cabinet Racine. © Cabinet Racine

Pour la première fois, en mai 2023, un permis de construire “sans destination“ a été délivré pour la construction d’un immeuble réversible à usage de bureau ou de logement. Ce projet s’est concrétisé dans le cadre de l’Opération d’intérêt national (OIN) Bordeaux Euratlantique, de renouvellement des deux rives de la Garonne.

En fonction des besoins, cet immeuble pourra évoluer en bureau ou logement sans qu’une autorisation soit nécessaire grâce au mécanisme du permis d’innover, dérogeant ainsi au droit de l’urbanisme français qui n’envisage la construction qu’avec une destination unique dans le temps.

Le code de l’urbanisme définit cinq destinations et vingt-quatre sous-destinations (articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme) et chaque permis de construire doit préciser la destination de chaque partie de l’immeuble.

Si l’immeuble peut avoir plusieurs destinations, comme un rez-de-chaussée à des fins d’activités, plusieurs étages de bureaux puis des logements, ces parties ne peuvent pas être transformées librement en fonction de l’évolution des besoins sociaux ou économiques. Il est nécessaire d’obtenir une autorisation d’urbanisme pour une nouvelle destination, celle-ci pouvant induire de réaliser des travaux importants de mise aux normes (sécurité-incendie, accessibilité, etc.).

La délivrance de ce permis de construire “sans destination“ interroge sur la possibilité de décliner, hors cadre d’une OIN, la réversibilité des constructions pour qu’un bâtiment puisse, dans le temps, accueillir différentes destinations sans autorisations ou modifications futures.

Les permis d’innover et d’expérimenter

Afin de donner un cadre juridique aux innovations en matière de construction, le législateur a créé deux outils : le permis d’innover et le permis d’expérimenter par la loi Liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016.

  • Le permis d’innover permet ainsi de déroger à l’ensemble des règles de construction normalement applicables au projet. Il ne peut toutefois être utilisé que pour des constructions situées au sein d’une OIN, d’une grande opération d’urbanisme ou d’une opération de revitalisation de territoire.

Le maître d’ouvrage doit faire une demande de dérogation sous la forme d’une étude démontrant que les moyens mis en œuvre permettent d’atteindre des résultats équivalents à ceux prévus par les textes. L’obtention de l’autorisation d’urbanisme vaut approbation de la dérogation.

Ce mécanisme, qui est actuellement en expérimentation pendant une période de sept ans depuis novembre 2018, pourrait par la suite être généralisé et pérennisé en fonction de son succès.

  • Le permis d’expérimenter, prévu à l’article L. 112-4 du code de la construction et de l’habitation, peut être mis en œuvre par tous les maîtres d’ouvrage sur l’ensemble du territoire.

Il permet de déroger à certaines règles dans les domaines notamment de la sécurité et de la protection contre l’incendie ou encore de la performance et des caractéristiques énergétiques et environnementales. L’objectif est de permettre au maître d’ouvrage de proposer une solution technique permettant d’aboutir à des résultats équivalents à ceux prévus par la norme usuellement applicable. Le dossier de demande de permis de construire doit comporter une attestation d’effet équivalent réalisée par un organisme tiers (contrôleur technique, Centre scientifique et technique du bâtiment, etc.).

Ces deux mécanismes posent néanmoins encore de nombreuses questions freinant leur développement, notamment en termes de fiscalité et d’assurance, avec notamment la question de la responsabilité en cas de sinistre des procédés innovants et de leur certification.

Le permis de construire à double état

Le législateur a également créé, avec la loi du 26 mars 2018 sur les Jeux olympiques 2024, le “permis de construire à double état“ autorisant dans un même permis, un état provisoire pour les JO et un état définitif à l’issue des jeux, par exemple des bureaux et du logement.

Le dossier de permis de construire fait ainsi apparaître les deux destinations et le bénéficiaire aura trois ans à compter de la cérémonie de clôture des Jeux pour réaliser le changement, sous peine de devoir remettre le terrain en l’état initial.

L’objectif est ainsi de sécuriser la destination future des immeubles construits dans une zone où le foncier est rare.

La généralisation d’un tel processus se pose afin de faciliter l’évolution des constructions dans le temps. La difficulté étant toutefois que peu de constructions sont concernées par une telle évolution programmée.

Des règles d’urbanisme adaptées au niveau local

La réversibilité des constructions se heurte aussi aux normes d’urbanisme locales qui prévoient souvent des règles spécifiques en fonction de la destination des bâtiments (stationnement, hauteur de la construction…).

Les collectivités territoriales ont donc un rôle essentiel à jouer afin de faciliter la réversibilité des immeubles en évitant de multiplier les règles particulières d’urbanisme selon la destination.

Enfin, pour rendre la réversibilité efficiente, il est nécessaire également de la prévoir dans les différents actes organisant la transmission et/ou le fonctionnement de l’immeuble notamment par exemple au travers des règlements de copropriété, ou encore des statuts d’Association syndicale libre (ASL).

Si des outils existent, la réversibilité des constructions est encore à son balbutiement. Au regard des enjeux environnementaux et de l’entrée en vigueur du Zan (Zéro artificialisation nette), l’optimisation des constructions actuelles et futures est un enjeu crucial. L’ensemble des acteurs de la construction (législateur, architectes, constructeurs, etc.) ont ainsi un rôle essentiel afin que la réversibilité devienne la norme.

Racine Nantes est un cabinet pluridisciplinaire de droit des affaires qui accompagne ses clients tant en conseil qu’en contentieux, dans les différentes étapes de la vie juridique de leurs activités.