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« Je fais le vœu d’aller vers le statut d’un avocat pluriel »

Le 2 janvier 2021, à l’aube de ses trente ans de carrière, Maître Christine Julienne sera la troisième femme bâtonnier de Nantes.

© Benjamin Lachenal

Quel a été votre parcours pour arriver au droit ?

Originaire de Rezé, j’ai des origines modestes : un père ouvrier et une mère au foyer. J’ai fait mes études à Nantes. Au départ, je voulais faire du marketing, mais je n’ai pas eu la prépa à cause du droit. Du coup, j’ai voulu faire du droit pour combler mes lacunes… Ça m’a plu, j’y suis donc restée et je ne l’ai jamais regretté.

Jeune étudiante en droit, vous avez connu un événement marquant…

J’ai fait partie de la prise d’otages par Georges Courtois, au Palais de Justice de Nantes en 1985. J’étais venue parce qu’un de mes chargés de TD nous avait poussés à venir assister à un procès. Une heure après le début du deuxième jour, la prise d’otage a eu lieu. Ça a été un traumatisme car je me suis sentie à la fois prisonnière de ceux qui nous prenaient en otage et de ceux autour qui menaçaient d’intervenir. Mais les cellules psychologiques n’existaient pas, alors.

Je ne peux pas dire si c’est cet événement qui m’a finalement donné envie d’être avocat. En tout cas, je n’ai pas choisi le droit pénal et je n’ai jamais remis le pied dans une cour d’assise après avoir été sélectionnée comme témoin de la défense. Son avocat souhaitait montrer que Courtois n’avait pas maltraité les otages…

Qu’est-ce que vous aimez dans votre métier ?

Ce que j’aime, c’est l’humanité que doit avoir un avocat, la relation entre celui-ci et son client. Ce n’est pas seulement de l’empathie, de l’accompagnement social : avant tout, l’avocat est un stratège qui ne peut se contenter des pièces ou des éléments dont il dispose. Le savoir-faire de l’avocat, c’est l’orientation stratégique donnée à un dossier.

Aujourd’hui, la technique a pris le pas sur la plaidoirie, désormais réservée à certains domaines. Le droit du travail, notamment, est devenu très technique. Idem pour le droit médical. Il y a une effervescence de la législation. C’est pour cela que les avocats se spécialisent. Sans être spécialiste, j’ai deux activités dominantes. Une en droit de la santé et notamment en droit disciplinaire auprès des professionnels de la santé. Et la seconde en droit du travail, droit social.

En ouverture de votre lettre de candidature au bâtonnat, vous aviez intégré une citation de Simone Veil évoquant la rébellion*. Que dit-elle de vous ?

J’aime bien les citations et Simone Veil était une femme d’exception. Je me retrouve dans ces propos car c’est ce vers quoi je tends : ne pas rester dans le moule et avoir un sens de l’écoute.

Qu’est-ce qui vous a poussée à être candidate ?

L’une de mes motivations, c’est d’arrêter d’entendre la distinction entre le barreau d’affaires et le barreau judiciaire : on est avocat ! Le feu sacré, on l’a tous, que l’on soit en conseil ou en contentieux. Dans ma profession de foi, qui est un exercice particulier, j’y ai donc fais le vœu d’aller vers le statut d’un avocat pluriel.

Je deviendrai bâtonnier le 2 janvier 2021, à l’aube de mes trente ans d’exercice. D’ici là, je suis en apprentissage et j’ai la chance qu’avec Bruno Cariou (actuel bâtonnier de Nantes, NDLR), nous fonctionnons avec le même souci du collectif et l’optique de faire quelque chose à plus long terme. En effet, les bâtonniers se succèdent, laissent leur empreinte, mais il n’y n’a pas de projet à moyen terme. On y travaille avec Bruno. Car deux ans, c’est très long quand on a une activité à poursuivre, mais c’est aussi très court. Et quand on se trouve en prise avec une réalité de réforme, certains bâtonniers peuvent être frustrés de ne pas avoir pu faire autre chose que gérer des crises. Je suis lucide : l’année prochaine, je verrai sûrement que je n’ai pas de baguette magique.

« L’avocat est une éponge. Il absorbe les difficultés de
ses clients, il est parfois en bisbille avec le juge, parfois
il a des difficultés financières »
(Christine Julienne)

Quels sont vos projets ?

J’ai pour projet d’élargir la conciliation à d’autres domaines que les litiges entre avocats. Ainsi, c’est très lourd à mettre en place, mais je pense qu’on se grandirait à avoir une étape où le client mécontent de son avocat pourrait s’exprimer. Il y a beaucoup de procès qui partent à cause d’un défaut d’infor­mation. Il faudrait cette étape de conciliation, comme chez les médecins.

Par ailleurs, il y a énormément d’avocats en burn out. On sait, notamment grâce à un observatoire de la profession, que beaucoup de jeunes arrêtent dans les deux à trois ans. C’est en partie parce qu’ils s’aperçoivent que le métier n’est pas fait pour eux ou parce qu’ils vivent une collaboration difficile. Mais c’est aussi parce qu’un certain nombre n’arrivent pas à faire face et finissent par faire un burn out.

Il existe bien une commission Prévention aujourd’hui, mais face à l’épuisement professionnel, il n’y a pas de cellule à proprement parler pour prendre en charge les troubles psycho-sociaux alors que l’avocat est une éponge. Il absorbe les difficultés de ses clients, il est parfois en bisbille avec le juge, parfois il a des difficultés financières et quand tous ces feux se mettent à flamber ensemble, il y a épuisement.

Mon bureau est ouvert à mes confrères en difficultés. Ils savent qu’ils peuvent me trouver et c’est sans doute ce qui a été le tremplin à ma candidature.

Enfin, on est des avocats entrepreneurs. Or, on ne nous apprend pas à devenir des entrepreneurs. On devrait également se former sur le management car ce n’est pas inné ! 

*« Je suis toujours rebelle ! C’est presque un réflexe : quand on me dit quelque chose, immédiatement j’ai envie de dire le contraire. Après j’essaye d’imaginer les choses autrement que de mon point de vue. J’essaye toujours de me mettre à la place des autres. » (Simone Veil – 25 octobre 2017)