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« Dans la compétition portuaire, Nantes Saint-Nazaire a sa place »

À la tête de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar) depuis 2002, Paul Tourret est un expert des questions liées au développement maritime, portuaire et naval. Dans le contexte social tendu du port de Nantes Saint-Nazaire, il nous livre sa vision
des enjeux pour cet outil clé de notre territoire.

Quel est le rôle de l’Isemar ?

On assiste les collectivités locales, la CCI, l’Union maritime et le Grand Port Maritime par notre vision à la fois de compréhension des enjeux d’ici, mais surtout de notre expérience de la façon dont ça se passe ailleurs. 

On est un observatoire et on produit beaucoup d’études, à l’échelle locale, nationale ou internationale. Ça nous permet d’avoir une connaissance globale. Pour résumer, on est au service de notre territoire en essayant d’avoir une lecture pragmatique des questions portuaires. Ça veut dire bien comprendre à la fois ce qui se passe à Cheviré, à Montoir, à Donges, à Saint-Nazaire, ce que veulent les entreprises, les collectivités, le contexte social… 

Cet institut, c’est donc une particularité de Nantes Saint-Nazaire et il a permis aux acteurs de bien connaître leur port. Ça explique aussi l’engagement qu’il peut y avoir, tant de la CARENE, de Nantes Métropole, du Département et désormais de la Région. 

Le port industriel réunit tout ce que font les chantiers de l’Atlantique dans les bassins nazairiens et des trafics autour des moteurs, les EMR, l’aéronautique.
© D.R.

Quel est le visage du port de Nantes Saint-Nazaire aujourd’hui ?

Il y a en fait quatre ports. D’abord, un port énergétique autour du pétrole, du gaz et du charbon. Il a, dans ce cadre, une dimension plutôt interrégionale : on fournit les Pays de la Loire et la Bretagne en électricité, en gaz et en carburant. C’est aussi celui qui est le plus en danger car on ne connaît pas l’avenir sur le long terme de la raffinerie et la centrale de Cordemais est menacée à court terme.

Ensuite, on a un autre port de dimension interrégionale que l’on appelle le port agricole. Aujourd’hui, ce sont les sorties de céréales qui représentent, en gros, les bonnes années, un million de tonnes. Et, à l’inverse, on fait rentrer des nourritures pour animaux, essentiellement du soja, jusqu’à 1,3 million de tonnes, pour les Pays de la Loire et la Bretagne. Les problématiques du port agricole sont essentiellement liées à celles de l’agriculture française. C’est le réchauffement climatique qui nous fait faire de plus en plus de blé, l’impact du bio, la question de notre performance à l’international et l’avenir de la filière agricole d’élevage.

Le port s’était construit depuis les années 1970 sur ces deux dimensions, l’énergie et l’agricole. Mais, depuis dix ans, tout cela est fragilisé.

Le troisième port, c’est le port industriel : cela réunit tout ce que font les chantiers de l’Atlantique dans les bassins nazairiens et des trafics autour des moteurs, les EMR, l’aéronautique. Ce ne sont pas de gros volumes, mais c’est stratégique pour les filières.

Le quatrième port logistique, enfin, ce sont essentiellement, à Montoir, les voitures neuves et les conteneurs. 

Le problème des conteneurs, c’est qu’on en a un peu moins de 200 000 unités et qu’on est sur un bassin industriel qui produit peu de conteneurs à l’export alors qu’on est concurrencé par Le Havre à l’import.

Par comparaison, Dunkerque monte aujourd’hui vers les 500 000 unités et le moindre petit port européen, même mal placé, en fait autant. L’hinterland des conteneurs de Nantes Saint-Nazaire s’arrête à Carquefou, peut-être même à Carquefou Ouest. 

Comment définiriez-vous la situation du port en ce moment ?

Si on devait prendre une image, on pourrait prendre celle d’un œuf : le Grand Port Maritime est le jaune et il a ses problématiques, de gouvernance, de stratégie. Si on prend le jaune et le blanc qu’est l’économie portuaire, la situation est plutôt correcte. Et tout ça fonctionne dans une poêle, le territoire de Nantes Saint-Nazaire et la région, qui vont bien.

Le problème, c’est que le mouvement social contre la réforme des retraites dégrade beaucoup les choses : on en arrive à l’idée que la sur-mobilisation syndicale est préjudiciable pour les affaires, casse l’outil, met en cause ce qui a été construit, nourrit la défiance du tissu économique envers le port, etc. Si le port était un individu, on dirait qu’il est hyper­sensible. 

Le pire c’est que tout allait bien en octobre et là, l’entrepreneuriat portuaire a l’impression de retourner en arrière. Et ça accentue les préjugés et la défiance alors qu’on ne le mérite pas.

Parfois, on a l’impression que ce territoire manque d’attachement à son port.

Paul Tourret, directeur de l’ISEMAR

Comme je le disais, on a un volume de conteneurs relativement faible. Or, les conteneurs génèrent de l’emploi portuaire. Marseille a perdu deux raffineries mais gagné plus de 700 000 conteneurs en une dizaine d’années, par exemple. 

Un des enjeux aujourd’hui pour nous, ce sont les entrepôts qui sont un moyen de fixer la marchandise. Dans les plus grands ports, il y a une partie des conteneurs qui partent en camion pas très loin, en ferroviaire ou en barge un peu plus loin, mais il y a beaucoup de conteneurs qui sont chargés et déchargés dans la zone de logistique. Or, on a non seulement un déficit d’entrepôts logistiques, mais aussi un émiettement. C’est lié à la métropole :
il y en a à Saint-Herblain, à Carquefou, autour de l’aéroport… Tout cela parce que le port n’a jamais été une porte d’entrée.

Ce qu’on défend, ce n’est pas de chercher un grand logisticien qui va aller sur un entrepôt unique, mais d’essayer de retrouver des sortes de « magasins généraux », avec des cellules logistiques adaptées aux besoins des importateurs et des exportateurs. On se dit que c’est le plus intéressant et comme ça ne se fait pas ailleurs, ça permettrait d’avoir une offre complémentaire. L’idée serait de proposer une sorte de couteau suisse. On ne l’a jamais vraiment essayé. On a failli en 2007, il y avait deux projets sur Montoir et puis la crise est arrivée et on a tout arrêté.

Après, est-ce qu’il faut le faire à Montoir, à Nantes, à Savenay… c’est la question. On est dans une période où l’on se cherche. Peut-être que ça pourrait être dans le prochain projet stratégique 2020-2025.

Quelle est votre vision de la place du port demain ?

On doit avoir un port au service de deux besoins essentiels qui sont notre vocation nationale, l’agriculture du grand Ouest et l’énergie, auxquels on ajoute l’industrie nazairienne. Et un quatrième au service de la globalisation.

Avoir un port, c’est un atout, surtout face aux enjeux environnementaux qui sont les nôtres.

Le « home port » doit servir ce territoire. Or, parfois, on a l’impression que ce territoire manque d’attachement à son port. Il y a des pays par exemple où l’entrepreneuriat est très associé à son fonctionnement. 

On a les moyens de faire en sorte qu’il soit beaucoup plus au service de l’économie interrégionale qu’il ne l’est aujourd’hui. Dans la compétition portuaire française, Nantes Saint-Nazaire
a sa place. Mais c’est une compétition, sur les produits agricoles, sur les conteneurs… Il faut se battre. Il faut aller prospecter, travailler les marchés et les premières terres de conquête ce sont le Maine-et-Loire et la Vendée. Il y a 400 000 conteneurs à récupérer au maximum dans le grand Ouest, comment peut-on faire ? C’est un combat collectif qui rassemble aujourd’hui, le port, la communauté portuaire et le territoire.