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Incapacité et décès du dirigeant : anticiper la paralysie de l’entreprise (1/2)

La crise sanitaire que nous vivons rappelle aux dirigeants à quel point ils sont vulnérables et le notaire ne leur conseillera jamais assez la nécessité impérieuse d’anticiper les conséquences d’événements mettant en péril la pérennité de l’entreprise. Zoom, cette semaine, sur le mandat de protection future et à effet posthume.

Johann Queinnec

Johann Queinnec © Benjamin Lachenal

LA QUALITÉ D’ASSOCIÉ : RÉGULARISATION DE MANDATS DE PROTECTION FUTURE ET À EFFET POSTHUME

À titre liminaire, il est important de rappeler que les régimes légaux de protection offerts par le Code civil permettent de protéger la personne vulnérable en fonction de son état (sauvegarde de justice, curatelle et tutelle) avec l’intervention d’un juge des tutelles et l’aléa qui en découle. Peut-on, en effet, imaginer les conséquences d’une absence pendant six mois sur le futur de l’entreprise ? Pire, qu’en serait-il en cas de décès ? De même, le mécanisme de représentation par le régime matrimonial ou l’habilitation familiale n’apportent pas toujours de réponse lorsqu’il est impératif d’avoir une personne avec une compétence particulière liée à l’activité de l’entreprise.

Pour y remédier, il peut être envisagé deux techniques complémentaires liées soit à la qualité d’associé, objet du présent article, soit à la qualité de dirigeant de société, objet d’un prochain article.

Le mandat de protection future permet au dirigeant de désigner, sans intervention judiciaire, une ou plusieurs personnes chargées de gérer et de disposer de son patrimoine au cas où il ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts.

Le mandat à effet posthume permet de prévoir l’administration, la gestion des biens de sa succession pour le compte et dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers identifiés.

Les deux mandats ont un fonctionnement assez proche et leur régularisation s’envisagent d’ailleurs concomitamment.

LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DES MANDATS DE PROTECTION FUTURE ET À EFFET POSTHUME

  • En ce qui concerne le mandat de protection future :
    1. un large choix d’organisation (désignation d’un mandataire pour le patrimoine personnel et un mandataire pour le patrimoine professionnel) ;
    2. la révocation du mandat à tout moment avant son entrée en vigueur sauf l’inconvénient d’une révocation entre l’apparition des symptômes du mandant et l’activation du mandat) ;
    3. le contrôle résiduel du juge pour certaines opérations prévues par la loi ou en cas de sollicitation volontaire du mandataire ;
    4. la formation d’un collège de mandataires ou d’un comité pourra permettre d’écarter le risque de conflit d’intérêt.
    5. prévoir l’intervention d’expert(s) en présence de situation d’une complexité particulière.
    6. en la forme authentique (devant notaire), le mandat autorise le mandant à conférer des pouvoirs plus étendus de disposition comme la vente.

La signature du mandat sera idéalement précédée d’un audit des statuts visant notamment à déterminer les conditions de prises de décisions qui seront à répartir entre les mandataires.

  • En ce qui concerne le mandat à effet posthume :
    1. le mandat à effet posthume ne permet pas au mandataire de disposer du patrimoine successoral, qui reste appartenir aux héritiers ;
    2. il a une durée limitée, renouvelable par décision de justice si les conditions ayant présidé à sa conclusion restent d’actualité ;
    3. le mandat à effet posthume doit nécessairement être reçu devant notaire en la forme authentique.

Ces outils peuvent répondre à l’attente du dirigeant soucieux du devenir de son entreprise. Ces mandats impliquent toutefois une réelle coordination avec les instruments traditionnels, pour une protection civile efficiente. Il ne restera alors plus au dirigeant qu’à organiser la protection financière et fiscale de son entreprise.

 

LES FAIBLESSES DES MANDATS DE PROTECTION FUTURE ET À EFFET POSTHUME

  • En ce qui concerne le mandat de protection future :
    1. aucune mesure de publicité, ni à l’égard des tiers, ni à l’égard de la société elle-même. Prévoir impérativement l’obligation pour le mandataire d’informer la société.
    2. Impossibilité de confier la fonction de direction. Le mandataire ne peut représenter la société à la place du mandant dirigeant dont la désignation est organisée par la loi ou les Ainsi, le mandataire n’exerce pas les droits de la personne dirigeante, mais uniquement les droits de votes attachés au mandant associé.
  • En ce qui concerne le mandat à effet posthume :
    1. tant que les héritiers n’auront pas accepté la succession, le mandataire ne pourra réaliser que des actes purement conservatoires, de surveillance et des actes d’administration provisoire, ce qui ne permettra pas toujours une gestion efficace de l’entreprise. Cela est accentué par l’impossibilité pour le mandataire de sommer les héritiers à accepter la succession rapidement. Une fois celle-ci acceptée, les prérogatives du mandataire sont élargies à la gestion et à l’administration de l’entreprise.
    2. les héritiers du dirigeant ont la possibilité de mettre un terme au mandat à effet posthume tout simplement en cédant l’entreprise. Ainsi, le mandataire désigné pour pallier l’incapacité des héritiers, tant en raison de leur jeune âge que de leur incompétence professionnelle à gérer une entreprise, risque fort de se trouver en difficulté pour agir. Plus encore, en évinçant le mandataire, les héritiers prennent le risque de réaliser une opération peu rentable, par exemple, en décidant de céder l’entreprise trop tôt ou trop tard au regard des conditions du marché.
    3. la durée limitée du mandat à effet posthume peut poser des difficultés en cas de conflits successoraux qui s’éternisent.
    4. la justification de l’intérêt sérieux et légitime exigée par loi dans le cadre du mandat à effet posthume doit être parfaitement argumentée sous peine de contestation.

 

Nous venons de démontrer que le seul recours aux mandats de protection future et à effet posthume n’est pas suffisant et doit être complété par d’autres mesures protectrices.

Parmi ces autres mesures protectrices, nous étudierons dans un prochain numéro la gestion de la fonction de direction et l’adaptation des statuts de société.

 

À lire la semaine prochaine : La gestion de la fonction de dirigeant en cas de décès ou d’incapacité.

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