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Entretien avec Thierry RICCI, Natéosanté : « On n’imaginait pas qu’on serait à ce point utiles ! »

Acteur de la qualité de l’air intérieur, Natéosanté est spécialiste des environnements professionnels complexes. Implantée à Saint-Hilaire-de- Chaléons, entre Nantes et Pornic, la PME a vu ses ventes de purificateurs d’air exploser avec l’épidémie de Covid. Pour Thierry Ricci, qui a lancé son activité en 2009 sous le régime auto-entrepreneur, le chemin parcouru en quelques mois était tout bonnement inimaginable. Pour nous, il revient sur une période hors norme à tout point de vue…

Thierry Ricci Natéosanté

Thierry Ricci, Fondateur et dirigeant de Natéosanté © Benjamin Lachenal

La pandémie a mis en lumière de manière aussi vive que soudaine votre activité. En 2020, quand l’épidémie a commencé à se propager, comment avez-vous réagi ?

En février 2020, la première chose que j’ai pensé quand j’ai vu les choses arriver, c’est : « si seulement les gens pouvaient savoir qu’on a la technologie qui convient depuis plusieurs années… » Un mois après, on était identifiés par French Healthcare 1 pour endiguer la pandémie de Covid-19 et, dans la foulée, on a commencé à équiper les chambres de réanimation, en France, puis à l’étranger.

  1. L’Association fédère depuis 2018 les entreprises, établissements de santé, instituts de recherche et de formation français pour promouvoir leurs activités à l’international.

Vous avez pourtant dû affronter très vite une polémique sur l’utilité des purificateurs d’air…

Oui, de la même manière que l’on a entendu pendant un moment que les masques étaient inutiles… Avec le recul, on comprend que cela prend du temps d’acculturer les populations à des usages. Nous, on s’est battus pendant des années pour expliquer que la qualité de l’air est la première ressource vitale, un adulte respirant quotidiennement entre 15 000 et 18 000 litres. Si cet air est malsain, forcément il a des conséquences sur notre santé. Mais c’est tellement compliqué d’expliquer quelque chose qui ne se voit pas, ne se ressent pas ! Avant la pandémie, personne ne parlait de charge virale par exemple. Cette période a donc permis une forme d’apprentissage accéléré. Les gens ont compris qu’il fallait contrôler la qualité de l’air intérieur. Et ainsi, début 2021, il y a eu des initiatives assez fortes des régions Hauts-de-France puis Île-de-France qui nous ont permises d’être reconnus pour notre compétence.

Comment s’est traduite la hausse d’activité ?

On a fait plus que x10 par rapport à l’avant Covid et on est passés de 10 à 18 pour l’effectif. On aurait pu se perdre… Mais les collaborateurs qui nous ont rejoints ne sont pas venus chez nous par hasard mais parce qu’ils cherchaient de la cohérence, de l’impact, de l’authenticité. On n’annonce, on n’écrit que ce qui a été vérifié. Nos clients, qui sont des hôpitaux, des écoles, des institutions, nous demandent des documents et c’est normal ! Ils ne peuvent pas se payer le luxe d’être dans des hypothèses ! Avant la pandémie, on était un peu seuls sur ce marché professionnel et depuis plus d’un an, on voit sans cesse apparaître des gens qui se revendiquent experts. On a eu du mal à décoller parce qu’on était plus dans la validation scientifique, ce qui à mes yeux était une vraie force, mais ce qui d’un point de vue du développement de l’entreprise pouvait être perçu parfois comme une faiblesse. Aujourd’hui, ces fondamentaux nous permettent de répondre à des attentes très fortes sur des enjeux de santé alors que les utilisateurs sont envahis de propositions et en quête de références.

Finalement, vous avez tiré le bénéfice de tout le travail entrepris depuis des années ?

Dans ce brouillard, on bénéficie de notre antériorité, de notre sérieux. On a pu acquérir et rôder la transmission de notre savoir à travers ces longues années. On a pu identifier ce que les gens avaient besoin de comprendre ou de ressentir. Sachant qu’on ne veut pas faire peur, aller dans l’émotion. On n’est pas dans ce registre. On donne des éléments techniques, scientifiques, ce qui est plus compliqué car on ne parle pas qu’à des ingénieurs…

Bien évidemment, le contexte a sensibilisé de manière très accélérée au sujet de la qualité de l’air intérieur. C’est plus facile pour nous maintenant d’aborder ce sujet. Il y a deux ans, la plupart des gens n’y connaissait rien, les termes « purificateur d’air » étaient inconnus.

Pour autant, ce n’est pas forcément évident d’être gagnants dans une crise comme celle-ci. Comment l’avez-vous vécu ?

On ne le vit pas comme ça, mais comme une forme de reconnaissance par rapport à un travail profond et sincère mené depuis des années, pour lequel on n’a jamais ménagé nos efforts. On était même dans un combat un peu utopique avant la pandémie ! J’ai fondé cette entreprise parce que j’ai mes propres souffrances par rapport à la qualité de l’air et qu’un jour j’ai fait le choix de ne plus vouloir de médicaments pour aider mon corps à lutter contre les éléments polluants que je respire. Quand on a créé cette entreprise avec mon épouse, il y a plus de dix ans, on n’imaginait pas qu’on serait un jour à ce point utiles ! On était jusque-là plutôt dans l’amélioration du quotidien, la prévention. Alors, oui, pendant quelques semaines, on n’a pas forcément été à l’aise car l’entreprise n’avait pas vocation à répondre à de tels niveaux d’enjeux ! On n’était pas non plus préparés à être autant en visibilité ! Il a fallu apprendre à communiquer sur nos valeurs dans un contexte aussi difficile, notre démarche étant authentique, sincère.

Et puis c’est une satisfaction aussi de se dire que les fondamentaux que l’on cultive depuis des années sont enfin reconnus… Le produit que l’on propose aujourd’hui est d’ailleurs identique à celui vendu depuis le début de sa commercialisation en 2016. La seule chose qui a changé, c’est que l’on a fait valider la performance de notre purificateur d’air sur la famille des coronavirus par le seul laboratoire français référent en microbiologie. Car on devinait qu’il y aurait des variants. Et cette performance a été validée à 99,6 % en novembre 2020.

Tout le monde était fermé et, chez nous, le téléphone sonnait toute la journée ! Il fallait qu’on produise et qu’on livre en s’engageant sur des dates, qu’on se mette en ordre de marche pour faire x10. C’était irréel…

Natéosanté

Natéosanté © Benjamin Lachenal

Quels ont été les impacts de cette période hors norme pour votre entreprise ?

Il faut se rappeler que lors du premier confinement tout s’était arrêté et les messages qui étaient délivrés c’était : « restez chez vous, soyez un bon citoyen, à l’extérieur, c’est la guerre ». On avait tellement peu de connaissances, il y avait la peur aussi… Tout le monde était fermé et, chez nous, le téléphone sonnait toute la journée ! Il fallait qu’on produise et qu’on livre en s’engageant sur des dates, qu’on se mette en ordre de marche pour faire x10. C’était irréel… Tout a reposé sur la volonté des femmes et des hommes de Natéosanté car, il faut être honnête, nos outils ne permettaient pas de faire face à la situation. Ici, on est restés à trois, la directrice des opérations, le logisticien et moi. Tous les autres étaient en télétravail. En même temps, il a fallu recruter, trouver des distributeurs un peu partout dans le monde, tout cela en visio. L’essentiel s’est joué sur la volonté, l’énergie. Celle des collaborateurs et celle de nos partenaires que nous avons appelés en leur demandant de rouvrir une ligne de production pour nous, parce qu’on avait des urgences ! Et il y a eu un élan de solidarité à la fois naturel et exceptionnel. Ils auraient été au bout de la planète, vous imaginez bien que ça n’aurait pas eu le même impact… Dans un parcours d’entrepreneur, c’est exceptionnel à vivre. On n’est plus dans le travail, on a une mission, un rôle à jouer. C’est une expérience humaine extraordinaire !

Quels sont vos objectifs désormais ?

L’enjeu est maintenant de répondre à toutes les demandes des professionnels exigeants. Aujourd’hui, on a du mal car le périmètre est large. À l’échelle de la France, le marché de la purification de l’air représente 500 M€ tout confondu, grand public et professionnels. Sur ce marché on est désormais bien positionnés mais ce que l’on veut c’est rayonner en Europe, sachant que les pays frontaliers nous ont bien identifiés. On capte aussi du grand export en appels entrants, mais c’est en Europe que l’on veut mettre notre énergie. Le problème, c’est que l’on recherche une ou deux assistantes bilingues, mais on ne reçoit pas de CV !

Que représente l’export dans votre activité ?

Cette année on va faire 30 à 35 % à l’export contre 50 % en 2020, car les pouvoirs politiques accélèrent sur l’intégration dans les établissements scolaires. Mais, très clairement, nos investissements, nos ressources vont être positionnées sur l’export. On vend aujourd’hui dans 50 pays au travers de réseaux de distributeurs. Ce qui les intéresse ce sont nos certifications, nos normes, la traçabilité de nos produits, le suivi, mais aussi tout ce qui a trait à l’écoresponsabilité, un de ses effets étant la durabilité et la réparabilité. Et pour un distributeur qui se trouve à 6 000 ou 8 000 kilomètres, on devine que c’est important sur des enjeux de santé…

La pénurie de matières premières perturbe-t-elle votre activité ?

Je ne dis pas qu’on ne souffre pas, mais on a pu suffisamment anticiper pour tenir nos engagements de délais. Le fait d’avoir des partenaires de proximité et une conception en Pays de la Loire nous permet de continuer à produire et à livrer. Pas plus tard que la semaine dernière, un très gros distributeur nous expliquait qu’il était très dépendant de la Chine et qu’il ne pouvait quasiment plus rien livrer. Alors que le modèle économique par excellence depuis vingt, trente ans, était assis sur le flux tendu, le zéro stock, nous, on a toujours été convaincus de la valeur ajoutée d’une fabrication locale permettant de mieux maîtriser notre chaîne de valeur. Car, aujourd’hui, non seulement il y a des problèmes de livraison pour les entreprises dépendantes de l’Asie, mais il faut aussi être livré de ce qu’on a commandé.

Quelle est votre stratégie ?

On embarque beaucoup d’électronique dans notre produit phare mais on ne reçoit de Chine que les composants électroniques. Tout le reste est fabriqué localement. C’est pour cela qu’au printemps on a identifié les composants en pénurie. Puis on a profité de l’été pour reconcevoir nos produits en fonction des composants sur lesquels on avait de la visibilité en termes de disponibilité et de coût et on a acheté ces composants-là en quantités suffisantes pour nous permettre de tenir jusqu’en mars 2022. Ce n’était pas simple car la fenêtre de tir était réduite, sur l’électronique il y a des fluctuations assez compliquées. À un moment donné, il faut être capable de prendre une décision tout de suite. C’est le pari que l’on a fait pour pouvoir livrer nos clients dans des conditions optimales avec des volumes en forte augmentation. Et c’est notre taille de structure qui permet cette anticipation car la chaîne de décision est courte. C’est l’agilité de notre PME.

Il est donc possible de faire autrement ?

Oui ! Et on s’aperçoit que nos distributeurs souhaitent aujourd’hui s’engager auprès de leurs clients en faisant autrement, sans subir. Au travers de cette expérience, on vient conforter le « made in local», nos promesses en matière de performance. On peut s’engager sur une livraison à trois semaines, un mois. Alors qu’en ce moment, si vous voulez un vélo, vous ne pouvez même pas avoir de date de livraison…

Pour autant, ce n’est pas un long fleuve tranquille, c’est un combat quand même… D’autant qu’on a décidé de ne pas augmenter nos prix de vente. C’est un effort partiel, aussi parce qu’on a des fournisseurs très impliqués dans la mission que nous menons. On travaille en gestion maîtrisée, c’est-à-dire que l’on s’engage ensemble. Alors que lorsqu’une personne à 8000 kilomètres vous dit qu’elle augmente ses prix de 60 % et que vous n’avez pas le choix, vous êtes obligé de payer.