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Entretien avec Richard Thiriet : « l’engagement, c’est un choix de vie »

À la tête de plusieurs entreprises industrielles (CNI, Metalmade, SMIB) à Montoir et à Saint-Nazaire, Richard Thiriet se définit lui-même comme un entrepreneur engagé. Un engagement qui a pris plusieurs formes au fil des années. D’abord, au service de la communauté entrepreneuriale via le Centre des jeunes dirigeants (CJD) puis, plus récemment, à travers plusieurs mandats politiques, à Nantes et à la Région. Échanges sur ses différentes expériences…

Richard Thiriet

Richard Thiriet, Entrepreneur et homme politique © Benjamin Lachenal

Quelle définition faites-vous de l’engagement ?

Je dirais que c’est répondre à des aspirations personnelles pour rendre service à une collectivité, un ensemble de personnes, qui peut être professionnel, personnel ou sociétal. On le fait donc à la fois pour soi et pour les autres.

Vous avez expérimenté différentes formes d’engagement. La première, c’était avec le CJD ?

En fait, mon premier engagement a été familial ! En termes d’engagement, c’est d’ailleurs le plus long, celui qui vous tient tout une vie, en particulier avec les enfants. Et c’est sans doute aussi le plus difficile à rompre, que ce soit avec ses parents, ses enfants ou son conjoint…

Après, le deuxième engagement, c’est l’engagement professionnel. Je dis toujours que l’entrepreneur a une grande liberté et en même temps c’est celui qui est le plus contraint par son travail. C’est le seul qui ne peut pas démissionner : s’il en a ras-le-bol, il continue quand même. Il prend les bons côtés et les mauvais et les mauvais sont parfois très mauvais ! Il tient la barre quand il y a une tempête, met en jeu son patrimoine quand il le faut, prend le plus de risques. C’est aussi celui, et c’est mon cas, qui peut se permettre de faire autre chose quand ça va bien. Je n’aurais pas pu m’engager ailleurs si je n’avais pas organisé mes entreprises comme je l’ai fait. Et ça, c’est un choix de vie. Il y a d’autres entrepreneurs qui sont passionnés par leur métier et qui ne comprennent pas ma façon de fonctionner. Je ne suis pas un serrurier, je ne suis pas un chaudronnier… je suis un entrepreneur dans l’industrie, qui fonde des entreprises, les fait fonctionner. Et comme je ne suis pas un spécialiste de ces métiers, je m’associe à des personnes aux compétences clés dans ce domaine. Puis, une fois que ça fonctionne, je pars faire autre chose.

Qu’est-ce qui a motivé votre engagement au CJD comme président national ?

J’étais arrivé à une maturité personnelle et professionnelle qui me permettait de « consacrer du temps à ». On se dit que c’est le moment parce qu’on appartient à un groupe, qui peut être très étendu ou très rétréci, et que l’on a envie de faire évoluer les choses au sein de ce groupe, d’y consacrer du temps. De prendre sa place.

Comment avez-vous vécu cette transition ?

L’engagement, c’est aussi trouver le juste équilibre de vie au moment où l’on prend cet engagement. En 2013, quand je me suis engagé pour la présidence du CJD France, j’étais investi dans l’association depuis dix ans, mais j’ai dû annoncer aux gens autour de moi que j’allais être absent quatre jours par semaine. Donc d’abord vous demandez l’autorisation, à votre famille et à votre entreprise, vos collaborateurs, d’y aller. Comme ils me connaissent, ils m’ont dit oui parce qu’ils savent que ça fait partie de mon équilibre. Pour autant, ce n’est pas forcément facile à assumer ! L’éducation, les schémas que vous avez dans votre jeunesse sont parfois difficiles à casser même si, avec le temps, les gens comprennent.

Et puis il y a le deuxième tour, à la fin du mandat ! Vous avez été absent quatre jours par semaine et, forcément, votre famille, vos collaborateurs, ont pris des habitudes… Professionnellement, je ne pouvais plus faire ce que je faisais avant le CJD puisque d’autres avaient pris la place. Et donc je suis passé d’un agenda extrêmement rempli de six, sept jours par semaine, à un ou deux jours… Que faire du temps restant ? Où m’installer pour travailler ? Comme je suis un entrepreneur, je me suis dit que je ne devais pas être le seul et j’ai créé un espace de co-living de bureaux, l’Appartement, à Nantes, pour des gens comme moi.

Richard Thiriet

En 2019, Richard Thiriet avait axé sa participation au TEDx La Baule sur le sens de l’engagement © TEDx La Baule

Quand vous prenez le mandat national en 2014, vous savez qu’il va s’arrêter au bout de deux ans. Comment avez-vous anticipé l’après ?

Ce qui m’a fait peur c’est l’entrée comme président du CJD France, c’est cet agenda où je n’allais plus me retrouver maître de rien pour aller aux quatre coins de la France toute la semaine ! Je me suis dit : « tu ne vas pas y arriver, qu’est-ce que tu fous là ? »

À l’inverse, j’ai très vite été conscient de ce précipice au bout des deux ans et je l’ai très bien vécu parce que j’avais ces entreprises, que très vite j’ai mis en place ce projet de co-living de bureaux, que je suis également dans un fonds d’investissement 1… J’avais plein de choses qui « m’attendaient ». Mais je connais d’autres entrepreneurs qui ont pris la présidence du CJD avec un enthousiasme de dingue – alors que moi je l’ai fait avec une peur de dingue – se sont retrouvés à délaisser leur seule entreprise et à avoir beaucoup de mal à se remettre dans le quotidien…

Comment en êtes-vous venu à vous engager politiquement ?

En 2017, une fois que j’ai mis en place ma réorganisation personnelle, je me suis dit : « Et maintenant, qu’est-ce que je fais ? » Ça faisait vingt ans que j’étais dans le monde de l’entrepreneuriat, et avec le mandat au CJD je m’étais ouvert à d’autres mondes : l’associatif, le syndicalisme, le politique, le journalisme… Je voyais des gens qui fonctionnaient autrement et je me demandais quel nouvel engagement je pourrais expérimenter, qui pourrait faire sens et me sortir de ce silo dans lequel je fonctionnais. J’ai alors choisi l’engagement politique.

Vous êtes conseiller municipal et conseiller métropolitain dans l’opposition et, depuis juin, élu du Conseil régional dans la majorité.

Comment abordez-vous ces engagements ?

S’il y a un truc que je n’aime pas, c’est l’inaction, ne pas avoir la possibilité de faire évoluer les choses. Et pour cela, être dans l’opposition, je peux vous dire que ce n’est pas très agréable à vivre… Vous vous sentez utile vis-à-vis de ceux qui vous ont fait confiance et de votre ville car il y a quand même 80 % des décisions qui sont votées en conseil municipal. Mais, après, il y a tout un jeu de cirque autour de certains sujets qui fait que l’on n’est pas informé des décisions et du fond des sujets, ce qui est assez compliqué pour moi. Et puis, l’expression de l’opposition ou la nouvelle idée est certes entendue, mais ensuite oubliée. Ça aussi c’est compliqué car ça n’est pas comme ça que je fonctionne.

C’est frustrant, mais ça permet aussi d’avoir une certaine humilité sur sa capacité à faire évoluer les choses ! Et c’est aussi la raison pour laquelle j’ai choisi de m’engager à la Région. J’espérais que l’on puisse être élus et ainsi se retrouver en capacité de décider – même si les décisions sont prises par la collectivité des élus -, d’être davantage aux manettes. Ce n’est pas plus simple, mais c’est plus agréable d’être un pilote dans le système que de le regarder.

J’ai du mal à imaginer l’engagement comme une aventure individuelle. Même si au départ il y a une aspiration personnelle, c’est ensuite une aventure collective.

Quelles sont les qualités, les aptitudes nécessaires à l’engagement selon vous ?

Cela demande de l’organisation, de l’adaptation, de la prise de recul, du travail aussi. Il faut être capable de prendre des risques, de se mettre en risque. Le facteur déclencheur d’un engagement c’est une envie d’y aller, de se trouver dans une équipe avec laquelle on veut bosser. J’ai du mal à imaginer l’engagement comme une aventure individuelle. Même si au départ il y a une aspiration personnelle, c’est ensuite une aventure collective.

Autant de qualités que l’on prête aux entrepreneurs ! Comment expliquer dès lors qu’il n’y en ait pas davantage qui s’engagent en politique ?

La première raison, c’est le temps. Je fais partie de ces entrepreneurs qui ont bâti leur mode de fonctionnement sur le travail avec les autres et leur responsabilisation, ce qui me génère du temps.

La deuxième, c’est l’exposition. On peut être montré du doigt pour telle ou telle raison, avec les répercussions que ça peut avoir pour l’entreprise. C’est le défaut du monde politique tel qu’il est aujourd’hui, beaucoup basé sur le fait de se donner des coups.

Après, il y a le positionnement politique que vous prenez et qui, a priori en France, n’est pas partagé par quatre personnes sur cinq et qui fait que l’entrepreneur ou sa société peuvent être catalogués.

Je pense aussi que c’est par manque d’intérêt pour s’impliquer dans la chose publique. Je vois bien que le mode de fonctionnement des appareils de gouvernance n’est pas du tout le même que celui des entreprises. Le critère temps dans la prise de décision non plus, ni le niveau de confiance par rapport à la décision… Mais, inversement, si vous n’y allez pas, comment faites-vous pour faire évoluer les choses ?

Un certain nombre d’entrepreneurs ne s’engagent pas en politique mais sont, malgré tout, engagés politiquement…

Effectivement, et moi-même j’ai eu cet engagement. Quand vous accompagnez des entreprises pour les aider à s’améliorer dans leur quotidien, ce qui est une des vocations du CJD, pour mettre l’économie au service de l’Homme, vous êtes engagé. S’engager pour influencer est d’ailleurs un des piliers du CJD. Si je me suis engagé en politique, c’est parce que je pense que ça peut être bien de mélanger les genres en étant un entrepreneur en politique. Je suis rentré dans le cœur du système pour y apporter ma pierre. Avec l’humilité qu’il faut, parce que de toute façon c’est à vous de vous adapter à un mode de fonctionnement, mais aussi avec l’ambition de me dire que peut-être je pourrai faire un peu autrement et inspirer d’autres personnes. Je pense que ça peut servir le territoire.

Quelles sont les idées, les valeurs, qui vous animent ?

Je n’ai jamais pris de carte dans aucun parti et j’ai toujours voté à droite. Après, je suis avant tout un entrepreneur. J’ai des idées politiques, pour autant je ne suis pas rentré en politique pour porter des idées de façon forte, véhémente, mais pour être impliqué, faire avancer les choses, en m’appuyant sur des idées. Je ne suis pas là pour faire du « à tout prix ».

Ce qui fonde mon engagement, c’est l’accompagnement de l’évolution d’un territoire pour répondre aux défis du moment. Évidemment, je vais soutenir tout ce qui a trait aux autres sujets liés aux responsabilités de la Région, mais je vais surtout me focaliser sur les enjeux liés à l’économie et à l’industrie. À savoir, la transition numérique, le besoin que l’on a de faire évoluer le mode de fonctionnement des entreprises et de les accompagner dans la transition. Et certainement pas en prônant la décroissance ! Ça doit se faire en conjuguant les enjeux économiques, sociaux et écologiques, dans une croissance responsable. D’autres ont envie de faire exploser le système, moi j’ai envie de le faire perdurer en le faisant évoluer pour que tout le monde y trouve sa place.

D’autres entrepreneurs se sont essayés à la politique et en sont ressortis échaudés. Vous verriez-vous faire marche arrière et quitter cet engagement ?

Il y a en effet quelques entrepreneurs connus qui se sont engagés en politique et qui ont arrêté parce qu’ils en ont eu marre. Moi je suis loin d’avoir tout exploré sur ce champ-là, je suis loin de la lassitude. Et la frustration nantaise est aujourd’hui largement dépassée par l’engagement que je prends au niveau de la Région. Et par ailleurs je suis en train de mettre cette frustration au service du groupe nantais pour qu’il soit en capacité d’être élu parce que crédible.

Après, ce qui pourrait me lasser aussi, c’est de ne vivre la politique qu’à travers cette pratique qui fait que le plus fort est celui qui a donné le plus de coups. Ça, ça ne m’intéresse pas du tout.

Vous parlez de coups en politique, mais les entrepreneurs engagés peuvent aussi en prendre. Que vous inspire le récent exemple d’Emmanuel Faber, l’ancien patron de Danone ?

Je crois qu’il ne faut peut-être pas regarder le micro-événement de la séparation mais plutôt tout ce qui a été fait avant, par cet homme et par toutes les personnes qui ont gravité autour. Durant ces années, il a fait énormément évoluer l’entreprise, a prôné une nouvelle vision, peut-être dix ans avant toutes les autres. Il a été utile au groupe, il a été interpellant, inspirant. Après, il faut trouver le juste équilibre entre la vision, les enjeux écologiques et la réalité économique.

Il y a peut-être un moment où il était allé trop loin sur la partie environnementale.

Est-ce que ce qui lui est arrivé était juste ?

Ce qui est extrêmement injuste ce sont les messages passés derrière et le fait que l’on ne se souvienne que de cette dernière période. Il méritait certainement une mise en valeur de son travail autrement que celle-là.

Est-ce que ce n’est pas un mauvais signal pour les entrepreneurs engagés ?

Quand on s’engage dans un groupe, il faut en respecter les règles et il faut le faire en se disant qu’on peut les faire évoluer au service d’une cause, avec du sens. Ce qu’a très bien fait Emmanuel Faber, en parfaite cohérence avec le groupe Danone d’ailleurs, sinon on ne l’aurait pas laissé faire. Après, s’il y a un moment où vous vous apercevez que vous ne pouvez plus faire évoluer les règles, que vous ne prenez plus de plaisir et que ça n’a plus de sens, soit vous partez de vous-même, soit vous vous faites sortir…

 

  1. Bamboo, fonds d’investissement qui accompagne les entreprises innovantes des Pays de la Loire