Vous organisez en juin un événement visant à positionner l’industrie sur le terrain de l’écoresponsabilité. L’industrie revient-elle enfin au premier plan ?
Si l’industrie semble aujourd’hui au cœur des préoccupations, notamment de nos politiques, ça n’a pas toujours été le cas. On sort d’une phase de désamour qui a été assez importante et qui a duré une bonne trentaine d’années. Le patron d’Alcatel de l’époque avait fait beaucoup de mal en pensant qu’on pouvait décorréler la production à la fois de la conception et du marketing/vente. Ce qui est sûr c’est que ça a permis à la Chine de prendre son envol économique et de monter en compétences. On s’est constitué notre plus gros concurrent !
Heureusement, on revient là-dessus aujourd’hui en imaginant plutôt que c’est en liant la partie industrielle avec l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise que l’on peut maintenir la valeur et finalement l’emploi sur notre territoire. Et toutes les entreprises ne s’étaient pas inscrites dans cette logique. Si on prend l’exemple d’Airbus, elle n’est jamais rentrée dans une logique de sous-traitance de l’industrie. Au contraire, c’est une entreprise qui a toujours cherché à maîtriser son flux de production, avec des stratégies parfois assez éloignées de Boeing… Et aujourd’hui on voit la différence, avec une société qui se porte bien mieux que son concurrent.
C’est dans cette période de « désamour pour l’industrie » qu’a pourtant été créé le Pôle EMC2 en 2005…
Le pôle a été créé sur l’idée d’un certain nombre d’entreprises – Airbus, Les Chantiers de l’Atlantique et Naval group – qu’il y avait quand même des travaux à mener dans le cadre de la production et que ces travaux devaient être faits en mutualisation. On a ainsi beaucoup travaillé sur les composites, ce qui a donné lieu à la naissance du Technocampus composites.
La création de ce pôle de compétitivité a-t-elle été compliquée à mettre en œuvre à l’époque ?
Je pense qu’il n’aurait pas vu le jour si on s’en était tenus aux règles de création des pôles de compétitivité au départ. Le fait de mettre l’aéronautique, les industries de la mer, puis les énergies ensemble, tout cela a créé une problématique car en France on travaille beaucoup en silos filières. Non seulement on voulait travailler sur l’industrie qui n’était pas le sujet à la mode du moment, mais en plus on fonctionnait en transfilières. Et honnêtement, ça a été une vraie problématique : on a par exemple eu beaucoup de mal à se faire entendre sur les appels à projet. Il a fallu passer du temps à convaincre que, sur le soudage métallique par exemple, il y avait encore beaucoup à faire : ce n’est pas parce que c’est la technologie majeure de l’industrie depuis des dizaines d’années qu’il ne faut pas se poser la question de l’innovation !
À quel moment avez-vous senti qu’une étape était franchie ?
Juste après la crise financière de 2008, il y a eu une prise de conscience que l’industrie était en train de nous échapper. Des initiatives sont nées dans de nombreux pays occidentaux autour de l’industrie du futur. EMC2 a même été, je pense, précurseur… À partir de là, on a été plus à l’aise et cela nous a permis de remettre nos travaux en perspective de cette innovation que l’on recherchait. C’est d’ailleurs à ce moment-là que l’on a créé l’IRT Jules Verne qui représente aujourd’hui 25 M€ de projets par an. Outre les composites, on a beaucoup travaillé sur la robotisation, la fabrication additive, sachant que ce qui caractérise toutes ces technologies, c’est qu’elles nécessitent de tout repenser : la conception du produit, mais aussi l’offre de service.
À ce moment-là, on ne parle pas encore d’industrie durable…
L’idée à cette époque, dans les années 2012-2018, c’est d’amener les entreprises qui produisent en France, à être le plus efficientes, compétitives et rentables possible. Pour autant, notre feuille de route a intégré les problématiques environnementale, humaine et numérique dès 2016 et on l’a conceptualisé vraiment en 2018 pour la nouvelle phase des pôles de compétitivité qui intervient tous les trois ou quatre ans. On en était là quand la crise Covid est arrivée…
Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eu ?
Les grosses boîtes ont tout de suite réduit la voilure, mais est-ce que c’était une précaution? Est-ce que c’était le marché? En fait, rapidement, tout a été confondu : la crise sanitaire, l’urgence climatique et on a beaucoup pointé du doigt l’industrie et plus particulièrement l’aéronautique et les bâtiments de croisière : c’était forcément la faute des moyens de transport! Tout ça couplé au désintérêt pour l’industrie depuis longtemps… À ce moment-là on s’est dit qu’il fallait qu’on reprenne le lead pour aider nos adhérents. C’est là que l’on a décidé de formaliser le Manifeste pour une industrie écoresponsable.
Le ton de ce manifeste publié en juin 2020 était très engagé, avec une vraie volonté d’agir…
Ce Manifeste, qui a d’emblée réuni 80 signataires, prévoyait cinq axes. Le premier pour moi, c’est la compétitivité, c’est là que l’on retrouve tout ce que l’on faisait dans le pôle les années précédentes. Et puis il y a l’environnement, l’humain, qui me tient particulièrement à cœur, l’axe de l’industrie collaborative et solidaire et, enfin, l’industrie souveraine.
Deux ans plus tard, quel bilan dressez-vous ?
Cette ambition s’est traduite comme à chaque fois par les projets menés avec nos adhérents. La première réponse concrète que l’on a apportée c’est que le conseil d’administration nous a positionnés non plus seulement sur les projets d’innovation, mais aussi sur les projets de transformation pour aider les entreprises à franchir des caps. On reste majoritairement drivés par la technologie, mais typiquement, sur le sujet environnemental, on étudie comment travailler sur nos machines, soit pour réduire la consommation d’énergie, soit pour en récupérer pour faire autre chose.
On n’a pas suffisamment de recul encore pour dresser un bilan, 2020 et 2021 ayant été des années compliquées pour les entreprises. Mais on a cherché à animer cette ambition. On organise des manifestations en faisant intervenir les signataires. Notre travail, c’est de dire qu’il y a des réponses technologiques à chaque étape. Par exemple, les exosquelettes ou les bras zéro gravité sont une manière d’équilibrer les forces, ce qui permet de travailler sur la parité ou le handicap.
Tout le monde est d’accord pour dire que les emplois c’est bien, mais personne ne l’est pour accueillir des entreprises
De quelle manière l’industrie du grand Ouest s’est-elle emparée de ces sujets ?
Aujourd’hui, on est encore dans un modèle où l’on dit aux entreprises que ça va être compliqué de faire avec toutes ces thématiques. Avant, si je résume, on leur demandait d’innover et d’exporter. Aujourd’hui, il n’y a pas une journée sans une nouvelle injonction. Ça devient vite compliqué !
Et puis on est dans un contexte de sentiment assez ambivalent de la population vis-à-vis de l’industrie. Tout le monde est d’accord pour dire que les emplois c’est bien, mais personne ne l’est pour accueillir des entreprises, on est dans le zéro artificialisation des sols et les parents n’envoient pas leurs enfants vers les métiers industriels.
C’est évident qu’il va falloir passer par la contrainte sinon ça n’ira jamais assez vite, mais on aimerait quand même changer cet état d’esprit et faire en sorte que les entreprises s’emparent des sujets non pas parce qu’on le leur impose, mais parce qu’elles y croient. De toute façon, les jeunes sont beaucoup plus radicaux sur ces sujets-là et vont nous pousser, il ne faudra pas faire semblant.
Les PME disent souvent qu’elles veulent bien être plus écoresponsables mais ne savent pas comment s’y prendre. Avez-vous ce même retour ?
C’est clairement le cas et c’est aussi le discours qu’elles ont depuis longtemps sur l’innovation. Et c’est pourquoi l’exemplarité est quelque chose d’important. Car autant il est difficile pour une PME de s’identifier à Airbus avec son avion zéro émission, autant des exemples comme Idéa sont pertinents au niveau d’une PME. Sans oublier qu’un travail collaboratif peut être mené.
Le 2 juin, se tiendra Ride. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire cet événement et pourquoi le choix de La Baule ?
On peut se permettre de se projeter un peu dans l’avenir, à partir du moment où cela se transforme derrière en opérations concrètes.
On a initié un sujet avec le Manifeste, mais on ne veut pas qu’il nous appartienne. En revanche, je veux que l’on préempte le sujet pour notre territoire, que l’on apparaisse aussi comme une référence dans un contexte de concurrence entre les territoires. Ride, c’est une déclaration d’ambition !
On l’envisage comme un événement national. On voit qu’on est à l’aube d’une nouvelle dynamique sur l’industrie avec ces problématiques de relocalisation, réindustrialisation, d’économie circulaire qui vont être beaucoup plus structurantes que ça a pu être le cas par le passé. Les « inputs » (intrants) sont différents, avec de nouveaux acteurs, mais ce qui ne l’est pas c’est qu’on a toujours besoin de travailler ensemble et qu’on sait le faire sur notre territoire.
Quant au choix de La Baule, c’est parce que l’on croit que l’industrie ne doit pas être cantonnée à certains endroits. Cela va aussi nous aider à faire un pas de côté.
On souhaite que ride soit une caisse de résonnance pour l’ensemble des initiatives locales et nationales
Vous souhaitez en faire un événement récurrent ?
Oui, on veut que Ride soit une caisse de résonnance pour l’ensemble des initiatives locales et nationales et qu’on ait aussi le sentiment d’avancer.
On est bien placés, même au niveau européen on est bien identifiés, mais très clairement, mon objectif est de capter plus de financements nationaux et européens que les territoires voisins. Ça a marché sur France relance d’ailleurs : on a été la troisième région sur le plan national ! Il faut que l’on change à la fois de braquet mais aussi la manière dont le projecteur est braqué sur nous : notre territoire ne se restreint pas à du manufacturing classique qui se réinvente de temps en temps, on est à l’origine de certaines des révolutions que l’on peut voir dans l’industrie aujourd’hui ! Si on prend la construction navale, l’aéronautique, même l’énergie, la robotique, on fait partie des principaux innovateurs. Et sur les composites, on est la première région en France !
Qu’est-ce que les entreprises trouveront à Ride ?
D’abord cela leur permettra de mieux comprendre ces enjeux car on en est encore à ce stade. Il ne faut pas non plus avoir peur de répéter. Si on prend le sujet de la relocalisation, c’est un sujet extrêmement complexe à mettre en œuvre. Le gouvernement va mettre de l’argent mais, une fois encore, quels sont les territoires qui vont accepter de voir l’industrie revenir ? Il suffit de voir les manifestations quand Amazon veut s’installer quelque part… Il faut non seulement poser les sujets, mais commencer à agir. Idem sur l’inclusion, la captation des financements européens…
Et puis, chaque fois qu’on discute de ces sujets, c’est une manière pour les uns et les autres de s’impliquer. Par exemple, on va avoir une table-ronde avec le patron d’Airbus atlantic et le patron de l’innovation monde de Naval group.
Deuxième intérêt pour les entreprises : la partie réseautage, les échanges. Les gens en ont besoin. On a donc prévu des temps longs de networking et un dîner de gala.
Enfin, on aura une partie démonstration avec des acteurs qui vont présenter des solutions concrètes à acheter. Elles seront réparties par axes et on essaie aussi de mettre en place un parcours pour l’entreprise, charge à elle ensuite de faire son mix.
Dans le Manifeste, vous évoquiez le « dirigeant du futur ». À quoi doit-il ressembler si on veut redorer l’industrie française ?
Pour moi le dirigeant du futur est d’abord et avant tout super agile! Il tient compte des règles bien sûr, mais il sait s’adapter aux éléments qui viennent de l’extérieur. Il est aussi en capacité d’intégrer les appétences des plus jeunes. Après, je pense que ce qui restera toujours dans le dirigeant c’est la prise de responsabilité, la vision stratégique et sa capacité à embarquer une population de collaborateurs très différents.
Qui incarne le mieux à vos yeux ce dirigeant du futur aujourd’hui ?
Pour moi, ceux qui incarnent aujourd’hui les dirigeants du futur, c’est Bruno Hug de Larauze, Grégory Flipo ou encore François Guérin chez les hommes. Côté femmes, je trouve Alexandra Miailhe, Anne-Marie Haute ou Sophie Péan inspirantes.
Les Rencontres pour une industrie durable et écoresponsable (Ride)
L’événement se tiendra le 2 juin au Palais des congrès Atlantia de La Baule. Il ambitionne d’être « un rendez-vous incontournable pour tous les décideurs de l’industrie», non seulement à destination des acteurs du grand Ouest, mais plus globalement au niveau national.
Ride a pour objectif d’inviter ses participants à nourrir leurs réflexions autour de nouveaux paradigmes et d’engager la mutation industrielle nécessaire pour demain.
À l’occasion de cette première édition, plus de 35 intervenants s’exprimeront via des conférences, des tables-rondes ou encore sous forme d’interviews. Un espace d’exposition réunira près de 40 entreprises qui présenteront leurs dernières innovations et partageront leurs solutions.
Programme et inscription : Ride-events.com
LE PÔLE EMC2 en chiffres
890 adhérents depuis 2005 (385 en 2021)
716 projets accompagnés depuis 2005 (63 en 2021)
396 projets financés représentant plus de 1,8 Md€ depuis 2005 (45 projets financés en 2021)