Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Entretien avec Christine Denis et Frédéric Monnier, codirigeants de Midi et Demi : « L’agilité nous apporte une grande efficacité »

Fondé en 2006, le groupe Midi et Demi (90 collaborateurs, 4,8 M€ de CA en 2019) s’articule autour de plusieurs pôles d’activité qui ont subi de plein fouet la crise sanitaire, avec une activité événementiel/traiteur, restauration commerciale et d’entreprise. Loin de baisser les bras, Christine Denis, sa fondatrice, et Frédéric Monnier qui l’a rejointe en 2010, évoquent la stratégie de rebond mise en place sur la partie restauration d’entreprise.

Frédéric Monnier et Christine Denis - 5 allege

Christine DENIS Fondatrice de Midi et Demi Frédéric MONNIER Codirigeant de Midi et Demi © Benjamin Lachenal

Comment avez-vous vécu cette année ?

Frédéric Monnier : Pour nous ça a été une année de crise émotionnelle et financière. On a vu que tout peut basculer du jour au lendemain et qu’il faut, par rapport à cela, avoir une vraie capacité de résilience… 2020 nous a permis de remettre un certain nombre de choses à plat, tant sur le plan interne qu’externe, mais il est grand temps qu’on sorte de cette crise ! On espère que septembre sera l’occasion de nous relancer vraiment.

Christine Denis : En février 2020 on était à +30%. Au premier confinement, on s’est tous arrêtés, on était abattus. De mars à juillet, on a perdu 1,5 M€ de chiffre d’affaires. Mais on est repartis. En septembre et octobre, on a réussi à faire 65% de notre CA. Sauf qu’après, il y a eu le deuxième confinement. On a dû tout refermer et là on a senti qu’on commençait à s’essouffler. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de partir en séminaire trois jours avec tout le monde, ce qu’on n’aurait jamais pu faire sinon.

Frédéric Monnier : Il y avait deux solutions : soit on restait assis et on se regardait mourir, soit on se disait : « pourquoi mourir à l’âge que l’on a ? » On est une jeune entreprise qui ne peut que grandir !

Il y avait deux solutions : soit on restait assis et on se regardait mourir, soit on se disait : “pourquoi mourir à l’âge que l’on a ?” – Frédéric Monnier

Quels ont été les axes de travail de ce « séminaire extraordinaire » ?

Christine Denis : On a voulu réfléchir avec un coach sur la manière dont chacun avait vécu les confinements et répondre à la question : « comment voyez-vous Midi et Demi demain ? » Car, entre le télétravail et les façons de consommer qui changent, on a compris que ce qui faisait l’entreprise hier ne ferait plus celle de demain.

Frédéric Monnier : On voit bien que, même si on revient au présentiel, ce ne sera plus comme avant. Tous ceux qui ont testé le télétravail disent que globalement ça fonctionne. Et pour nous, mécaniquement, ça veut dire du chiffre en moins : il fallait qu’on se réajuste.

Christine Denis : Durant ce séminaire on a déterminé la stratégie, on l’a retravaillée et on a donné du sens. Et ça a donné beaucoup d’énergie car, au lieu de subir, on a décidé de ce que serait notre avenir. On a su profiter du mauvais temps pour en faire un bon temps.

Frédéric Monnier : Comme on ne pouvait pas agir sur l’extérieur, on l’a fait sur l’intérieur. On a substitué l’attention portée au client au partage avec nos collaborateurs. Et il faut dire qu’ils nous ont franchement aidés à garder la tête haute, à continuer tous ensemble, à porter le projet avec nous ! Avant, on avait tendance à avancer puis on voyait comment faire adhérer les collaborateurs. Aujourd’hui, on fonctionne en mode projet avec tout le monde, on leur demande de faire ensemble et comment on peut faire ensemble. Et ça change considérablement la manière de gérer le potentiel humain de l’entreprise ! On pourrait penser que la communication et le marketing sont les sachants qui imagineront l’innovation de demain et, en fait, pas du tout ! Quand on rentre dans cette boucle un peu vertueuse, on se rend compte que ceux qui sont en RH ou en administratif par exemple ont un potentiel inexploité. Et quand on l’utilise, ça change la vie !

Qu’est-ce que cela a changé pour votre activité ?

Restaurant Atelier Louis Vuitton à Beaulieu-sur-Layon (49)

Restaurant Atelier Louis Vuitton à Beaulieu-sur-Layon (49) © Midi et Demi

Christine Denis : On a par exemple investi de nouvelles cibles, comme les seniors. Jamais on n’avait eu cette idée et là on vient de signer deux résidences seniors à Nantes et à Rennes. On a même trouvé la personne qui a eu envie de porter ce projet : c’est une de nos animatrices réseau qui le mène désormais.

Frédéric Monnier : Ça nous a boosté et notre état d’esprit a un peu changé. Désormais, on est moins dans un process de marchés, même si on est évidemment toujours à la recherche de chiffre d’affaires. Ce que l’on cherche surtout maintenant, c’est la cohérence à tous les niveaux : dans l’étude de la faisabilité d’un nouveau marché, du format que l’on peut proposer, des équipes qui vont accompagner ce projet. Et cette cohérence-là fait que cela fonctionne beaucoup mieux.

Christine Denis : On s’est aperçu que notre concept fonctionnait aussi bien dans une entreprise, une résidence senior, un campus ou un coworking : il est modulable !

Qu’est-il ressorti d’autre de ces trois jours de réflexion collective ?

Christine Denis : Jusque-là, on ne voulait pas aller sur la digitalisation de notre activité car notre ADN c’est l’humain avant tout. Sauf que là, on s’est dit que le télétravail allait continuer d’exister dans le tertiaire même après la crise et donc qu’il fallait y aller à fond. On le voit désormais comme un outil, un moyen supplémentaire de faire venir ou revenir les gens. Au lieu de faire 100% de notre chiffre d’affaires en présentiel, ce sera 65% et les 25% restants ce sera en click & collect et autres.

On a aussi mis en place la possibilité de pouvoir acheter ses repas pour les jours de télétravail et des « plats couvre-feu » : les gens ont pu, en passant le midi, réserver leur plat pour le soir. L’agilité nous apporte une grande efficacité.

Vous communiquez aussi sur le concept de restaurant d’entreprise comme lieu de vie. Quel en est le concept ?

Christine Denis : On s’était rendu compte avant la crise que les lieux de nos restaurants ne vivaient pas en-dehors de la pause méridienne. On a eu l’idée de proposer une « salle flex » qui permette par exemple de faire des réunions le matin. À 11 h 30, on la transforme en salle de restauration et à 14 h, on la remet en salle de réunion. Sa fonction change ainsi au moins deux fois dans la journée.

La période Covid nous a permis de repenser, dynamiser et mettre en œuvre ce concept pendant la crise sanitaire puisqu’on a ouvert deux restaurants sous ce format pendant cette période. Le premier à Saint-Herblain dans les locaux du groupe Réalités et le second à Beaulieu-sur-Layon dans le Maine-et-Loire, chez Louis Vuitton. Un troisième sera mis en place en début d’année prochaine chez Atlantic Chauffage, en Vendée. Ils voulaient au départ un restaurant d’entreprise classique 12 h-14 h et en fait on a tout repensé avec eux. Au final, ils vont mettre leurs bureaux RH dans le restaurant et ainsi utiliser ce lieu toute la journée.

On s’est aperçu que notre concept fonctionnait aussi bien dans une entreprise, une résidence sénior, un campus ou un coworking : il est modulable ! – Christine Denis

Frédéric Monnier : Pour nous, c’est une belle victoire car on était plutôt connus et reconnus comme étant force de proposition sur le marché tertiaire et là on attaque le secondaire. On voit bien que les gens dans l’industrie ont tout intérêt à ce que le bien-être dans l’entreprise soit omniprésent et le restaurant fait partie des choses qu’on aime bien avoir dans un lieu industriel. C’est un endroit central, pluriel : on peut venir y prendre un petit-déjeuner, travailler, déjeuner, faire des rendez-vous et éventuellement fêter un anniversaire le soir autour d’un pot. C’est donc aussi le lieu de la commensalité, chacun se retrouvant autour d’une table pour partager un moment de convivialité.

Christine Denis : C’est en proposant cette idée de tiers lieux qu’on a réussi à avoir Louis Vuitton. Ils ont retravaillé leur atelier, leurs bureaux qu’ils l’appellent maintenant les Ateliers agiles.

Frédéric Monnier : En relocalisant leur production en France, ils ont considéré que leurs maroquinières étaient le cœur de leur savoir-faire. Du coup, tout ce qui pouvait participer à leur bien-être et leur confort était important. Et l’endroit où elles se retrouvent pour déjeuner fait partie des points de force.

 

Comment se dessine un tel projet ?

Christine Denis : On travaille le lieu avec chaque entreprise, en fonction de son secteur d’activité, des collaborateurs, de leur âge, etc. Car selon les structures, les gens ne mangent pas de la même manière, n’ont pas les mêmes attentes.

Frédéric Monnier : On est sur une stratégie d’usage. Souvent, les architectes délivrent une cellule sans imaginer comment ça va vivre. Quand on est très en amont et que le maître d’ouvrage veut nous intégrer, on explique aux architectes comment va vivre le restaurant. Et, du coup, ça remodélise leur réflexion architecturale et au lieu de nous donner un bel écrin, on en fait un lieu fonctionnel, pratique et qui plaît. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on fait de beaux lieux que les choses se mettent forcément en place. Et c’est que là notre ADN de convivialité intervient !

Christine Denis : On fait régulièrement des animations produits. Pour la finale du handball, on a ainsi travaillé sur la streetfood pendant trois jours chez Réalités. Les producteurs avec lesquels nous sommes partenaires viennent aussi faire déguster leurs produits. Par exemple, pour les fraises en ce moment, on les met dans nos recettes et on propose une vente de barquettes. On essaie d’être très agiles en ce qui concerne les produits, mais aussi sur l’humain. Ainsi, on choisit nos collaborateurs en fonction des lieux, de la clientèle qui va les fréquenter.

 

Frédéric Monnier et Christine Denis

Frédéric Monnier et Christine Denis © Benjamin Lachenal

Quels sont vos objectifs ?

Frédéric Monnier : On veut ouvrir trois à quatre restaurants par an, si possible dans une configuration de lieu de vie. Le marché se réorganise, les majeures du circuit semblent en train de se poser la question de l’intérêt de garder les petits formats quand, pour nous, c’est notre cœur de métier. Du coup, il y a des reconsultations qui s’organisent et quand on répond, on le fait avec tout ce qui fait notre force.

Quel est votre terrain de jeu ?

Frédéric Monnier : On est ancrés sur le grand Ouest. Parallèlement, on a développé il y a quelques années une licence de marque à Lyon avec laquelle on a reproduit le concept succès de Midi et Demi. On est souvent demandés à Paris, Bordeaux ou Strasbourg et on va forcément se poser la question de passer d’une stratégie territoriale à une dimension nationale… La difficulté de notre concept c’est qu’il faut au moins deux lieux tout de suite pour pouvoir mettre en place une structure ad hoc. On a une stratégie qui consiste à être en proximité. Comme on ne travaille pas avec des intérimaires, quand quelqu’un est malade par exemple, on déplace facilement une autre personne.

Christine Denis : Maintenant que l’on sait ce que c’est de travailler en visio, ça nous permet de nous projeter sur un développement national en 2022.

Frédéric Monnier : Le temps de pause lié à la crise sanitaire nous permet d’envisager d’être un acteur national de la restauration d’entreprise. Mais on veut grandir, pas grossir.

Êtes-vous concernés par la problématique que rencontrent les restaurants qui manquent de bras à l’heure du redémarrage ?

Christine Denis : On n’a pas souffert de départs et on a profité de la période pour former nos collaborateurs dans les restaurants d’entreprise qui sont restés ouverts. En revanche, on a du mal à recruter. On recherche en ce moment quinze personnes pour les former en juillet et août afin qu’elles soient opérationnelles en septembre.