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Entretien – Ben Barbaud, Hellfest : « Encore de belles années devant nous »

Passionné de metal depuis son adolescence, celui qui se destinait à devenir caviste ou œnologue a finalement préféré donner vie au Hellfest à Clisson. Depuis, l’événement dédié aux musiques extrêmes a pris une tout autre dimension : il est devenu cette année le plus grand festival musical de France. Ben Barbaud, son emblématique créateur et président, décrypte cette trajectoire hors norme.

Ben Barbaud, Hellfest

Ben BARBAUD, fondateur et président du Hellfest © Benjamin Lachenal

Comment le simple amateur de metal que vous étiez jeune est devenu le président du plus gros festival musical français ?

Ça s’est fait par le hasard et par la force des choses. J’ai toujours été passionné par ces musiques-là depuis mon adolescence. J’ai essayé de me mettre au diapason de mes amis qui étaient de fins musiciens, mais je n’avais pas ce don-là pour la musique. J’ai donc rapidement compris qu’il valait mieux que je me mette à l’organisation de concerts.

À l’époque, je devais avoir 17 ans et j’ai rapidement pris goût à cette activité. Ensuite, j’ai eu un parcours assez incroyable. La clé de cette réussite, ce sont avant tout les rencontres que j’ai pu faire. Elles m’ont permis d’évoluer au fil des années et de passer d’un tout petit événement au plus grand festival musical français.

En parallèle, j’ai suivi des études de commerce pour devenir négociant en vins et spiritueux. J’avais cette passion pour le vin, que j’ai toujours d’ailleurs, et je me destinais à être caviste ou œnologue. Je n’ai pas tout à fait loupé ma vocation puisque je suis devenu, par l’intermédiaire du Hellfest, le plus grand vendeur de bière de France. En 2002, à la sortie de mes études, le festival a commencé à prendre de l’ampleur et c’est là que j‘ai décidé de m’y consacrer à 100 %.

 

Comment vous est venue l’idée d’une double édition ?

Le double festival de 2022, c’est là encore un concours de circonstances puisqu’on sortait de deux années blanches après le Covid. Pour notre association Loi 1901, les deux années d’arrêt ont été un gros coup dur car on peut difficilement mettre une si grosse machine sur pause.

Malgré les mesures gouvernementales, on a subi un déficit de 2,5 M€. Si les aides ont pris le relais pour la vingtaine de salariés à l’année, l’État n’a pas pu suivre pour tous les investissements que l’on effectue chaque année. Il a donc fallu qu’on réfléchisse à un moyen de s’en sortir vite, car la particularité du Hellfest, c’est d’être un festival qui investit massivement sur son site et qui est lourdement endetté.

Hellfest

Hellfest © Ronan Thenadey

 

Sur le plan financier, le double week-end de concerts a-t-il permis de compenser le manque à gagner des éditions précédentes ?

Oui, l’objectif est atteint : on a récupéré les pertes accumulées les deux dernières années. Quand on a la possibilité d’organiser deux week-ends au lieu d’un sur un même site, on génère forcément des gains sur la billetterie mais aussi des économies d’échelle sur les infrastructures, avec des gains plus importants à la clé.

 

Quel bilan tirez-vous de cette édition hors norme ?

On avait beaucoup de craintes, essentiellement liées au fait qu’après deux années d’arrêt, il pourrait y avoir des pertes d’automatisme ou de compétences. On s’est rapidement rendu compte que tout le monde était au contraire investi et concerné. Toute l’équipe organisatrice a fait le constat que chacun avait mis les bouchées doubles et s’était doublement préparé. Finalement, cette double édition s’est déroulée quasiment naturellement, mais je reconnais avoir mis une certaine pression sur le dos de chacun vu l’enjeu.

 

Économiquement, que pèse le festival ?

Il fait vivre une vingtaine de personnes à l’année, 1 200 intermittents lors de l’événement, et rassemble près de 5 000 bénévoles. Cette édition 2022 a généré un chiffre d’affaires d’environ 50 M€. Je rappelle que le Hellfest est porté par une association loi 1901. Nous sommes donc dans une logique où dès qu’on gagne de l’argent, on réinvestit. Plus de 12,5 M€ d’euros ont ainsi été injectés sur le site du festival qui nous appartient, que ce soit dans la voirie, les travaux paysagers, la décoration… Certains préféreraient qu’on s’en serve pour baisser le prix du billet, mais je reste convaincu que cela reste la meilleure option pour rendre le festival pérenne.

Aujourd’hui, près de 250 entreprises du Grand Ouest soutiennent le festival à travers l’association du club des entreprises, une association parallèle à celle du Hellfest. Cela peut prendre plusieurs formes : un don en échange de places à distribuer à son comité d’entreprises ou ses clients… Ou même du mécénat de compétences avec un menuisier qui vient nous faire une terrasse.

Cela représente plus de 3 M€ par an pour le festival. Pour les entreprises locales, c’est un moyen de nous soutenir et de s’approprier l’événement, et de nous rendre la pareille pour les retombées économiques générées par le festival. C’est d’ailleurs un financement en constante progression dans un contexte de baisse de subvention. Au final, le festival s’autofinance à plus de 99 % et les subventions représentent moins de 0,1 % (NDLR : environ 30 000 € pour une édition classique).

Nous avons une chance, c’est d’avoir un public extrêmement fidèle et fétichiste. Quand on lance notre billetterie, on n’a pas annoncé un seul artiste, mais tout part aussitôt.

Quelles retombées économiques génère le festival pour le territoire ?

Il y a, d’une part, les retombées économiques directes pour les commerces locaux chez qui les festivaliers vont consommer directement, comme les restaurants ou les hôtels. Et d’autre part, toutes les retombées indirectes comme les nombreuses d’entreprises locales que l’on sollicite pour encadrer l’organisation du festival. Au total, on estime que le festival a généré cette année entre 40 et 45 M€ de retombées pour le territoire, ce qui est à peu le près le double d’une édition classique. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’organisation d’une telle manifestation et c’est pourquoi de nombreuses collectivités et territoires accentuent actuellement leurs efforts d’accompagnement sur des événements comme le nôtre.

Aujourd’hui, on ne va plus voir Metallica au Hellfest, mais on va au Hellfest voir Metallica ! C’est une nuance tellement importante

Hellfest

© David Gallard

 

Il y a quelques années, vous évoquiez dans un entretien la fragilité de votre modèle, qu’en est-il aujourd’hui ?

On ne déroge pas à la règle des organisateurs de festival : quel que soit le type de musique, les gros acteurs comme le Hellfest sont des colosses aux pieds d’argile. Nous sommes devenus de telles machines, que pour survivre, on est condamnés à être complets tous les ans. Si on passe en dessous de 95% de fréquentation, notre modèle économique n’est plus viable. Nous avons une chance, c’est d’avoir un public extrêmement fidèle et fétichiste. Quand on lance notre billetterie, on n’a pas annoncé un seul artiste, mais tout part aussitôt. Aujourd’hui, on ne va plus voir Metallica au Hellfest, mais on va au Hellfest voir Metallica ! C’est une nuance tellement importante qui nous permet de nous dire qu’on a encore quelques belles années devant nous.

 

Pourtant au départ, vous avez dû gérer les réticences de certains habitants qui ne voulaient pas du Hellfest à Clisson non ?

De par l’esthétique musicale que véhicule le festival, quelques réticents se sont effectivement manifestés lors de notre arrivée à Clisson. Il y a eu dans un premier temps énormément de préjugés et de barrières à faire tomber. Si les deux premières années, certains habitants ont préféré rester enfermés chez eux volets fermés, les choses se sont ensuite très vite détendues car on a la chance d’avoir un public qui est très respectueux.

Il y a eu un vrai tournant en 2007, qui a amené les habitants de Clisson à se tourner vers les festivaliers et aller à leur rencontre. C’est comme ça qu’on a réussi à casser les clichés et que les festivaliers ont été adoptés. Tout s’est fait naturellement car les festivaliers ont eu un comportement exemplaire. Depuis, la magie a opéré et chaque année en juin, les Clissonnais sont dans l’attente du public. Les festivaliers sont quant à eux très contents de recevoir un tel accueil, et ce malgré l’apparence physique de certains qui peut faire bondir…

 

On a vu le Hellfest débarquer cette année à la Cité des congrès de Nantes ou sur l’île Forget à Saint-Sébastien-sur-Loire. Est-ce une volonté de votre part d’ouvrir le festival au plus grand nombre ?

C’est une volonté commune. On a de nombreux acteurs culturels du territoire qui souhaitent s’associer à l’image du Hellfest, car on surfe sur une esthétique musicale totalement boudée par les médias français depuis sa création. On n’entend jamais de metal à la radio, la télé ou aux Victoires de la musique alors que c’est un genre de musique qui remplit les plus grands stades et salles de concert du monde entier. Notre succès interpelle d’ailleurs beaucoup d’acteurs culturels, qui se demandent pourquoi toute cette masse de passionnés n’est pas représentée aujourd’hui dans les médias de masse.

Déco Hellcity, Hellfest

© David Gallard

 

Vous avez récemment annoncé que le site du festival a vocation à devenir un lieu touristique. Vous pouvez préciser ?

C’est le nouveau projet d’ampleur du Hellfest. Jusqu’à présent, tous les investissements réalisés étaient destinés à l’accueil et au confort des festivaliers et des artistes. Désormais, après quinze ans d’existence, on se rend compte que l’empreinte même du festival a une résonance bien plus large qu’au départ et qu’il y a un enjeu territorial important autour du site du festival. L’association y a déjà investi 12,5 M€ sur la création du site et de son parc. Ce dernier rayonne désormais toute l’année, avec des personnes qui le visitent chaque week-end. On monte jusqu’à plus de 1 000 visiteurs par jour, sur un site qui ne bénéficie pas d’animation touristique ou d’offre de restauration.

Parti de ce constat, on a proposé un projet de développement du site du festival aux collectivités (mairies, Département, Région) pour permettre une utilisation plus large du site du festival. L’idée de créer un parvis public à l’entrée du festival est née afin de nous permettre d’ouvrir, d’ici 2024, une grande brasserie et de faire venir une Machine de l’île, spécialement créée par François Delarosière. C’est aussi une façon pour nous de remercier tous ceux qui ont œuvré pour faire du festival ce qu’il est devenu aujourd’hui et de faire rayonner le territoire.

Basculer sur un projet de territoire financé à 40 % par nos fonds privés est une telle perspective que je ne m’imagine pas m’arrêter là

Vous êtes à la tête du festival depuis sa création. Est-ce que vous y prenez autant de plaisir et envisagez-vous de passer le relais ?

Je ne me suis jamais posé la question jusqu’à maintenant car je prends toujours autant de plaisir. De plus, l’évolution du festival me permet à titre personnel d’aller explorer des terrains que je n’aurai jamais imaginé. En tant qu’enfant de Clisson, me dire que j’ai réussi à créer un tel festival, avec l’aide de tous ces gens venus mettre leur pierre à l’édifice, est déjà une fierté. Alors imaginer qu’en 2024 on puisse basculer sur un projet de territoire financé à 40 % par nos fonds privés, c’est une telle perspective que je ne m’imagine pas m’arrêter là. Tant que j’aurai cette flamme et cette fibre qui m’amènent à avoir des idées que je peux concrétiser grâce au succès du festival, je ne risque pas de changer de métier !

 

LE HELLFEST 2022 en chiffres

420 000 festivaliers

800 000 litres de bière consommés

55 M€ de budget (le double de 2019)

40 M€ de retombées économiques pour le territoire

5 000 bénévoles

362 groupes accueillis Un site de 111 hectares

Deux parkings dont un de 39 hectares (le plus grand de France)

Entre 400 € et 500 € dépensés par festivalier (hors billet d’entrée)