Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Vincent Charpin de BePublic : « En France, on a le culte de l’inactivité »

Personnage public pendant des années – il a été successivement président du Medef départemental puis régional - Vincent Charpin a retrouvé depuis un an sa liberté d’entrepreneur, sans mandat représentatif.
Le dirigeant du groupe BePublic, aux activités majoritairement impactées par la crise, oscille entre optimiste et inquiétude… sans pouvoir s’empêcher de pointer les failles de notre système.

Vincent CHARPIN DIRIGEANT DU GROUPE BEPUBLIC

Vincent Charpin, Dirigeant du groupe BePublic © Benjamin Lachenal

Comment allez-vous ?

Je vais bien ! Depuis un peu plus d’un an j’ai quitté le Medef et j’ai disparu des radars au même moment. J’ai récupéré la totalité de mon agenda alors que j’en étais privé des deux tiers. J’avais un rythme beaucoup plus soutenu, parfois trépidant ou exaltant, mais souvent fatiguant. Du coup, je vis aujourd’hui un peu comme un ours. Après, est-ce qu’il faut que ça dure ou pas… Je n’en tire pas de conclusion particulière. Je n’ai pas retrouvé d’appétence pour la chose publique. Elle était très forte lorsque j’avais cette mission et aujourd’hui ça a disparu. Et, au demeurant, je trouve ça plutôt rassurant d’être capable de jouir d’une nouvelle vie sans être sans cesse interpellé. Malgré tout, en ce moment, il y a pas mal de choses qui me titillent !

Lesquelles ?

La crise que l’on vit est extrêmement intéressante à de multiples titres. Tout le monde n’y voit pas les mêmes choses, les mêmes nécessités de changements. Moi j’y vois quand même l’expression d’un système qui est à bout de souffle à de nombreux égards. Il y a des choses à changer. J’ai donc parfois envie de reprendre mon bâton de pèlerin ou les gants pour défendre certains sujets.

Ce qui me peine, c’est que le gouvernement engloutit des dizaines de milliards pour soutenir l’emploi et les entreprises et qu’il y a une très grosse déperdition. Dans nos entreprises qui sont contraintes à une activité réduite, voire à une activité zéro, on met les gens au chômage partiel. C’est super que cette mesure existe, mais je trouve dingue que l’on indemnise les gens en leur demandant de rester chez eux et de ne surtout pas travailler alors que les entreprises ont un besoin fou de garder toutes leurs ressources autour d’elles pour construire de nouvelles choses.

Personnellement, j’ai besoin de trouver de nouveaux clients, de nouvelles idées. Il faut concevoir, prototyper, rendre le produit viable juridiquement, commercialement… C’est un chemin colossal. Les entreprises ont donc besoin d’avoir tout le monde sur le pont en cette période de crise. Et donc je regrette qu’on ne donne pas plutôt aux entreprises de quoi payer les salaires de leurs employés pour travailler sur l’innovation. Je pense que c’est une occasion manquée colossale. Il y a certains secteurs où, bien sûr, ce n’est pas du tout applicable, mais ça l’est dans plein d’entreprises, dès lors qu’on a une part de création, d’innovation.

Malheureusement, en France, on a le culte de l’inactivité. On est malade de ça. Même l’inactivité du chef d’entreprise est sur-rémunérée ! Lorsqu’il gagne sa vie, il est surtaxé. En revanche, lorsqu’il vend sa boîte, il ne l’est pas. Les cessions de capitaux sont toujours moins taxées que la rémunération du travail. Là où un chef d’entreprise gagne le mieux sa vie, c’est lorsqu’il vend sa boîte, quand il tombe dans l’inactivité ! D’une manière générale, si nous faisions cette correction de moins rémunérer l’inactivité et mieux rémunérer l’activité, l’économie française serait beaucoup plus vertueuse et on réglerait au passage des problèmes sociaux. Idem pour le PGE. Je ne veux surtout pas donner l’impression de cracher dans la soupe, heureusement qu’il existe ! Mais le PGE, on nous le donne pour quoi faire ? Pour financer nos pertes. C’est une aberration économique totale…

Petit Plessis à Sainte-Luce-sur-Loire

Le Petit Plessis à Sainte-Luce-sur-Loire est en fermeture administrative depuis le début du deuxième confinement. © Benjamin Lachenal

Que faudrait-il faire ?

Il devrait être utilisé pour innover, pour faire du nouveau ! Nos entreprises ont besoin plus que jamais d’être créatives. On parle aujourd’hui d’agilité, c’est très à la mode et pour le coup je trouve que c’est une terminologie intéressante, l’agilité étant une vertu pour l’entreprise. Tu ne peux plus vendre ça ? Trouve autre chose à vendre. Tu n’as plus tes clients ? Trouves-en d’autres. Cette façon de travailler ne marche plus ? Trouve une autre façon de travailler.

Le problème c’est que si vous êtes seul et que vos employés sont en télétravail, vous n’allez rien sortir, ça ne marche pas. La réunion que vous allez faire n’a rien à voir en matière de fertilité. Vous n’avez pas la même qualité d’écoute, de concentration, pas la même persuasion… Je vois bien comment on règle ici un problème en trois minutes en travaillant dans la même pièce, alors qu’en télétravail, ça prend trois jours.

Et puis je souffre aussi des effets de mode liés au monde de l’entreprise, notamment du green washing. J’estime qu’on en fait beaucoup trop sur ce sujet.

Est-ce que ça ne peut pas être une tendance de fond ?

La nécessité de prendre en considération l’environnement, c’est évidemment une tendance de fond. Ce qui me gêne, c’est toute l’exploitation autour et les accusations portées sur les entreprises d’une manière générale.

J’ai parfois envie de reprendre mon bâton de pèlerin ou les gants pour défendre certains sujets. Vincent CHARPIN

Je souhaite que le monde change, car on voit bien que notre modèle de société sur-assistée ne fonctionne pas. Je pense qu’on est dans une période de mutation, parce que notre système d’assistanat perpétuel touche aujourd’hui à sa fin. Je suis très attaché à nos solidarités nationales, mais nous sommes allés beaucoup trop loin sur ce registre-là. Nous devons tourner le dos à cet amour de l’inactivité et à cette haine de l’activité qui n’est même pas conforme à l’esprit français d’ailleurs ! On parle du génie français, j’y suis totalement converti ! Mais notre système social est empreint de très mauvaises idées. Le problème, c’est que, dans notre société, il y a de grandes tendances contre lesquelles on ne peut absolument pas lutter. Et en ce moment, c’est le cas de la RSE, de l’égalité hommes-femmes et du télétravail : il n’y a aucune distanciation sur ces sujets.

Vous êtes le dirigeant d’une activité de réception-restauration, de traiteur et de cinq boutiques de chocolaterie-pâtisserie. Comment allez-vous en tant que chef d’entreprise ?

J’ai eu une petite baisse de régime lorsque j’ai eu quatre cas de Covid, il y a une dizaine de jours, et alors que nous sommes vingt. Le premier cas a déclaré des cas contacts dont je faisais partie et en un claquement de doigt, tout le monde a dû rentrer chez soi. Ça m’a mis un coup. Vous flinguez le moral des patrons lorsque vous les déshabillez de leur équipe ! Le cœur des entreprises doit continuer de battre, c’est essentiel.

Mis à part ça, j’ai plutôt le moral. On a passé le premier confinement dans de bonnes conditions. Avec tous les collaborateurs on s’est retroussés les manches dans un esprit très positif. Tout le monde était mobilisé. Du coup, je m’étais dit que 2020 serait une année pourrie, mais je ne m’inquiétais pas outre mesure, notamment parce que j’attendais la fin d’année qui, pour nous, est capitale.

Pour l’instant, on est en assistance respiratoire pour garder le système vivant. Si je ferme les boutiques, ce ne sera plus de l’assistance respiratoire, ce sera le coma. Vincent CHARPIN

Vous craignez pour Noël du coup ?

Noël représente entre 30 et 40% de notre CA et on ne sait pas du tout comment ça va se passer. On ne sait pas si les gens seront libérés, s’ils auront l’esprit à cela, l’argent pour cela. On mise sur le fait qu’ils auront envie de se faire plaisir et d’aider les acteurs locaux. Si Noël est plié, tout est plié. Un an de Covid, si vous avez des fonds propres, vous le passez sans problème. Mais je n’ai pas de fonds propres dans ma boîte. Je n’ai pas honte de le dire : celles qui en ont sont très rares, surtout dans ce secteur !

Ce deuxième confinement est dramatique, je perds toutes perspectives et je note que la volonté globale n’est pas la même non plus : les gens en ont marre. Ce n’est plus la même dynamique et, pour notre entreprise, c’est un niveau d’inquiétude beaucoup plus élevé.

Chez Carli, qui supporte la fermeture administrative du Petit Plessis, tout le monde travaille, en boutique et dans le laboratoire, à 100%. Actuellement, nos boutiques sont à -70% de CA par rapport à l’année N-1. La claque du confinement est importante. Ouvrir une boutique me coûte plus cher que de la fermer ! Je m’oblige à maintenir Carli ouvert pour le moral des troupes et parce que, pour l’instant, on est en assistance respiratoire pour garder le système vivant. Si je ferme les boutiques, ce ne sera plus de l’assistance respiratoire, ce sera le coma. Les boutiques, c’est le cœur. Mon premier objectif, à court terme, c’est de couvrir le salaire de mes vendeurs.

Vous évoquez la nécessité d’être agile, créatif, d’innover : de quelle manière mettez-vous cet impératif en œuvre dans votre groupe ?

Je crois beaucoup aux villes de taille intermédiaire. C’est pour ça que j’ai choisi d’ouvrir une boutique à Châteaubriant et une à Ancenis. Les coûts d’implantation y sont plus faibles et les concurrents moins nombreux. Et je pense que si ces villes ont souffert, cette tendance va s’inverser, que les gens vont revenir parce qu’il y fait bon vivre et que les métropoles sont de plus en plus saturées. On a d’ailleurs été très bien accueillis par les clients. Et les mairies ont aussi très bien joué le jeu. On s’est senti aimés et accueillis, ce qui change de Nantes où, en tant que commerçants, on ne se sent pas du tout considérés.

On devait faire d’autres ouvertures, mais, vu le contexte, on lève un peu le pied. En revanche, on vient d’ouvrir une boutique dans la chapelle du Petit Plessis. L’idée est d’avoir un point de vente supplémentaire qui nous serve aussi de drive. Les gens peuvent retirer leurs commandes ou faire leurs achats au Petit Plessis, où il n’y a aucune difficulté de stationnement.

On a aussi lancé les Tournées de Carli, des livraisons gratuites de chocolats, pâtisseries et plats cuisinés. Et on a embauché deux jeunes femmes en contrat d’alternance pour cela. Nous proposons de livrer nos clients, à leur domicile ou à leur bureau, sur une très grande partie de la Loire-Atlantique, gratuitement, dans le cadre d’une tournée. Et ça démarre bien depuis un mois. Les commandes se font soit par Internet, soit par téléphone. Car on sait que le numérique ce n’est pas tout. On garde le lien humain.

Le numérique, c’est un axe important pour vous ?

Lors du premier confinement, à Pâques, nous étions angoissés car nous avions produit beaucoup de chocolats et on s’est retrouvés avec tous ces chocolats sur les bras. Ce que l’on a constaté, c’est que nos clients ont tous trouvé le chemin de notre site web. Après le confinement, ça a duré un peu, puis ça s’est terminé : tous nos clients sont retournés en boutiques. Conclusion : les gens qui sont habitués à aller dans des boutiques pour acheter des livres ou des chocolats, veulent pouvoir stationner en ville pour venir vous voir.

Quant aux nouveaux clients, c’est certain qu’un site internet peut vous en apporter, mais pour les amener à vous, au-delà d’investir beaucoup de temps, il faut acheter des mots-clés et là vous investissez des fortunes ! Moi je ne le fais pas et c’est pour ça que mon site marchand n’a jamais décollé. Tant pis si je passe pour un ringard, car tout le monde pense que le numérique c’est l’alpha et l’oméga, mais le commerce du futur, ce n’est peut-être pas ça ou, en tout cas, pas que ça. Le commerce du futur, c’est peut-être le commerce de proximité de produits locaux. J’ai implanté deux boutiques il y a un an à Ancenis et à Châteaubriant, je sais donc ce que ça coûte, mais je sais aussi ce que ça rapporte quand j’ouvre la porte. En parallèle, je vois ce que coûtent le référencement payant d’un site marchand ou encore les market places. Par exemple, le Salon du chocolat nous a contactés pour nous dire qu’ils ne feront pas de salon cette année mais qu’ils ouvrent une market place pour référencer une quinzaine de chocolatiers au niveau international. Sauf qu’ils prennent 25% du chiffre d’affaires… Donc je n’y vais pas.

Comment appréhendez-vous les mois qui viennent ?

J’y crois. J’ai la conviction qu’on va passer les épreuves et réussir à garder la structure. Si je n’étais pas résolument optimiste je ne serais pas entrepreneur… J’ai la conviction que, grâce à tout ce que nous mettons en place, nos nouvelles lignes de produits, l’ouverture de la boutique, le drive, la tournée… on va y arriver.

 

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