Si au 9 septembre, 20 dossiers de procédures de sauvegarde ont déjà été ouverts contre 9 en 2023, et si le nombre de redressements judiciaires baisse par rapport à l’an dernier (106 contre 122 en 2023), le nombre de liquidations judiciaires explose, passant à 406 contre 350 en 2023 et 237 en 2019 avant la crise sanitaire.
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« Les dossiers arrivent trop tardivement. Malheureusement, il n’y a pas d’autre solution que de prononcer la liquidation. Si on s’était donné la peine d’intervenir très en amont, on aurait peut-être pu baisser ce nombre. Le tribunal, c’est un peu comme un hôpital : il y a une morgue mais aussi un service d’urgence. N’attendons pas d’arriver à la morgue, allons au service d’urgence », glisse Patrick Darricarrère, qui insiste sur la possibilité de bénéficier des procédures d’urgence, confidentielles et amiables, qui « permettent d’espérer des solutions avant qu’il ne soit trop tard ».
« Nous avons déjà ouvert 102 mandats ad hoc contre 62 en 2023 et 31 en 2019. À un autre stade, 160 conciliations ont été initiées cette année, contre 73 en 2023 et 43 en 2019. On arrive au bout des PGE (prêts garantis par l’Etat) qui sont très souvent à la source d’une demande de conciliation vis-à-vis des créanciers », explique le président du tribunal de commerce de Nantes, précisant : « Les secteurs les plus touchés sont le bâtiment, la promotion et le gros œuvre en premier, la restauration, victime de modes de consommation qui évoluent, indépendamment du reste, comme l’accès au centre-ville, les travaux, les manifestations, la concurrence d’internet. Ce n’est pas simple pour le transport non plus. » Le tableau n’est pas totalement négatif, avec une augmentation des immatriculations au registre du commerce : 5 863 contre 5 711 l’an dernier.
Jérôme Boissonnet, avocat (Cabinet BAPC) spécialiste en accompagnement, prévention et conseil, juge préoccupantes ces liquidations judiciaires directes d’entreprises : « Ce sont celles qui arrivent beaucoup trop tard, dans nos cabinets et devant le tribunal de commerce. On ne peut pas s’offrir le luxe d’attendre, il faut avoir le courage d’aller se confier à un tiers, aller vers le tribunal de commerce. Conséquences : il y a peu de redressements judiciaires… Le mot-clé est l’anticipation. »
Taux de vacance des commerces en nette hausse
« Depuis une dizaine d’années, le commerce est en souffrance à Nantes avec différentes problématiques, notamment les manifestations régulières. Cela s’accélère après une période Covid très compliquée », constate Hugues Frioux, vice-président de la CCI Nantes St-Nazaire, qui estime aujourd’hui être « au moment où l’on fait les comptes ». Ce qui explique un taux de vacance commercial en nette hausse alors que le centre-ville de Nantes avait l’un des plus faibles taux de France. « Nous avons de moins en moins de porteurs de projets à vouloir s’installer à Nantes, avec un taux de vacance commerciale qui augmente : nous étions en 2022 aux alentours de 3 %, en dessous de la moyenne nationale, et nous sommes passés entre 4,1 et 4,9 % fin 2023. Cela s’accélère avec 6 % pour une moyenne nationale à 9,67 %. Nous sommes toujours bas, mais ce chiffre a quand même doublé en deux ans. Nous surveillons ce taux avec attention. Aujourd’hui, c’est compliqué dans beaucoup d’activités, dont le prêt-à-porter, la chaussure. Internet prend de plus en plus de parts de marché. À nous d’être agiles, de prendre ce virage qui n’est pas facile. Quand on rentre dans le dur, il faut se retrousser les manches et trouver des solutions pour passer ce cap supplémentaire dans le commerce », préconise le vice-président de la CCI.
Même constat pour Frédéric Blanc, mandataire judiciaire chez MJO : « Depuis deux ans, avec une accélération ces derniers mois, nous notons une augmentation des défaillances du petit commerce de centre-ville. Nous avions un taux de vacance jusque-là extrêmement faible. De grandes enseignes disparaissent et n’attirent plus certains flux. Les petits commerces, poissons pilotes de ces enseignes, n’en bénéficient plus. »
La solidarité d’une place économique
Pour Christophe Thénoz, expert-comptable (De Facto Conseil) spécialiste dans l’accompagnement des entreprises en difficulté : « Trop d’entrepreneurs s’installent encore sans connaître l’élément fondamental qu’est le point mort, peu savent le calculer en prenant en compte les charges fixes, loyer, salaires, les frais d’entretien… et en divisant par le taux de marge. Souvent, ce point mort est calculé sans prendre en compte les remboursements d’emprunt. »
« La trésorerie, c’est le carburant des entreprises. S’il n’y en a plus, l’entreprise peut être en bon état, avec un bon business model, elle va s’arrêter. Quand on n’a pas l’actif disponible pour payer le passif exigible, c’est la fin de l’histoire. Avant d’en arriver là, il y a des signaux d’alertes. L’expert-comptable ou le commissaire comptable nous alerte », souligne Patrick Darricarrère, qui rappelle : « Nous avons mis en place la prévention-détection. Certains ne déposent pas leurs comptes auprès du tribunal de commerce, pourtant cela permet de détecter en amont les entreprises en difficulté, de les convoquer pour les alerter. Il y a un grand éventail de solutions possibles. La difficulté d’entreprise, c’est un peu comme un incendie de forêt. Un mégot de cigarette s’éteint tout de suite avec un verre d’eau, une heure après il faut un Canadair. »
L’avocat Jérôme Boissonnet note le rôle important des associations et des structures fédératives : « Une organisation de place est un bon vecteur pour vaincre l’isolement dans lequel est souvent le commerçant. Le fait d’avoir des associations, des rencontres, une logique de raisonnement de place économique, avec une solidarité issue d’un écosystème dont on dépend les uns des autres est un facteur important ». Mais il lui paraît « plus difficile de rencontrer les bailleurs, qui vivent souvent dans une logique de rentiers, qui encaissent des loyers, en étant un peu en dehors de l’écosystème ». Et de prévenir : « Le bailleur a tout intérêt à comprendre qu’il est aussi dans cet écosystème et qu’il a tout intérêt qu’il ne se détricote pas. Face aux difficultés, le bailleur ne doit pas seulement être dans une logique de recouvrement et doit aller voir son client et l’inciter à ouvrir toutes les portes qui existent pour trouver un traitement amiable de la situation. »
« Il y a une alerte rouge absolue lorsqu’un commerçant reçoit une assignation ou un acte d’huissier (commandement visant la clause résolutoire) qui a trait à la pérennité de son bail. Il faut impérativement aller prendre un conseil car il y a des actions judiciaires de sauvegarde de l’outil de travail à mettre en place immédiatement dans des délais très brefs. Il ne faut pas s’isoler et rencontrer ses conseils », assure Frédéric Blanc. « Il faut dans les trente jours aller voir le tribunal pour protéger et conserver le bail », conseille Christophe Thénoz.
Une période d’opportunités
Mais le ciel n’est pas chargé de nuages noirs pour tout le monde. Hugues Frioux estime que « quand c’est dur, cela crée des opportunités. Effectivement, il va y avoir des défaillances, mais pour certains, cela peut être une opportunité de faire de la croissance externe. Cela va permettre de négocier des prix de locaux dont la valeur va diminuer, permettant d’acquérir un emplacement numéro un inaccessible auparavant. Les opportunités se créent maintenant, pour ceux qui veulent développer leur entreprise, avoir plusieurs sites. C’est maintenant qu’il faut entreprendre. Soyez attentifs, regardez bien ce qui se passe autour de vous. Il va y avoir des opportunités. Les grands groupes le savent et prennent actuellement des locaux très bien placés. Pour l’indépendant qui se porte correctement, c’est le moment de rebondir et d’aller plus loin dans le développement de son entreprise. »