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Tribunal de commerce : « L’économie vendéenne résiste mieux que prévu »

En Vendée, le nombre de procédures collectives a augmenté de 12 % sur les neuf premiers mois de l’année. Une situation moins catastrophique que ne l’avait imaginée Bernard Pontreau. Pour le président du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, le travail de prévention auprès des dirigeants porte enfin ses fruits. Les mandats ad hoc et conciliations ont ainsi bondi de 72 % sur un an.

Bernard Pontreau

Bernard Pontreau, président du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon. MARIE LAUDOUAR - IJ

Concernant les défaillances d’entreprises, quel bilan dressez-vous depuis le 1er janvier 2024 ?

Au 30 septembre, le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon aura ouvert 331 procédures collectives depuis le début de l’année contre 295 il y a un an, sur la même période, soit une hausse de 12 %. Pour rappel, l’augmentation avait été d’environ 43 % entre 2022 et 2023, sur ces mêmes neuf premiers mois de l’année.

Parallèlement, le nombre d’immatriculations au Registre national des entreprises (RNE), ex-Registre du commerce et des sociétés (RCS), reste stable, passant de 3 546 en 2023 à 3 601 en 2024. Parmi toutes ces immatriculations, nous avons recensé 1 133 personnes physiques dont 1 004 autoentrepreneurs. Le reste sont des sociétés commerciales.

Je ne peux malheureusement pas vous donner le nombre exact de redressements et liquidations judiciaires, ni le nombre précis de salariés concernés par ces procédures collectives, en raison d’une défaillance de notre logiciel.


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Quels sont les secteurs les plus concernés ?

Sans surprise, comme en 2023, le bâtiment est le secteur d’activité qui connaît le plus grand nombre de défaillances d’entreprises. À lui seul, ce secteur représente plus de 50 % des procédures collectives ouvertes depuis le début de l’année. Toute la filière est touchée : la construction et ses artisans, les promoteurs, les agences immobilières. Cela va de pair avec les taux d’intérêt élevés. Le marché est compliqué. Les promoteurs ont beaucoup de stocks sur les bras et ont du mal à vendre. Dans l’ancien, même si les prix des maisons et appartements ont tendance à légèrement baisser, ce n’est pas encore assez significatif pour relancer le marché.

Le reste, ce sont essentiellement des petits commerces de vêtements, des restaurants. Autre secteur qui souffre : le transport. Globalement, les trésoreries se tendent par manque de marché ou des prix de matières premières qui n’arrêtent pas de faire le yoyo. Parallèlement, l’instabilité politique des derniers mois, entache forcément l’activité économique.

Quid des injonctions à payer ?

Nous recensons 821 injonctions depuis le début de l’année, contre 725 il y a un an, sur la même période, soit une hausse d’environ 13 %. Comme l’an dernier, la majorité des injonctions que nous recevons de la part des caisses des congés payés et de retraite concerne les professionnels du bâtiment. Pris à la gorge par leurs problèmes de trésoreries, ils délaissent ces charges.

Quel est le moral des chefs d’entreprise ?

Ma hantise, c’est qu’ils se lassent. Quand ils viennent nous voir, ils en ont marre. Ils veulent tout arrêter. Ils sont fatigués, lassés par les variations du prix des marchandises, par les problématiques de management. Le contexte politique instable n’arrange rien.

Pour autant, vous ne semblez pas pessimiste…

Oui, car la situation est moins catastrophique que prévu. L’économie vendéenne résiste. Je m’attendais à des chiffres bien plus mauvais que cela. Début 2024, compte tenu de la conjoncture économique du moment, j’avais pronostiqué au moins 500 procédures collectives pour la fin de l’année, soit une hausse d’environ 20 %. D’après ce que j’observe en ce début de rentrée, nous devrions avoisiner les 450 procédures collectives d’ici fin décembre contre 426 en 2023, soit une hausse de près de 6 % sur un an. Certes, cela peut toujours s’accélérer sur le dernier trimestre mais je n’y crois pas trop.

Votre travail de prévention sur le terrain, pour encourager les dirigeants à venir voir le tribunal de commerce dès les premiers signaux faibles, est-il enfin payant ?

Oui, nous récoltons enfin le fruit de notre travail. Sur les huit premiers mois de l’année, nous enregistrons 105 mandats ad hoc contre 61 l’an passé (+72 %) sur la même période et 51 conciliations contre 61 l’an passé (+20 %). Il y a aussi moins de liquidations directes.

Les chefs d’entreprise ont enfin pris conscience de l’intérêt de ces deux outils de prévention. Ils viennent nous voir plus tôt. Au sein du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, on se bat tous les jours pour faire passer ce message : anticipez ! Venez voir le président du TC dès le premier incident bancaire. Nous essaierons de comprendre ensemble ce qu’il se passe et, si nécessaire, nous mettons en place un mandat ad hoc pour négocier avec l’ensemble de vos créanciers. Il faut bien comprendre que lorsque vous êtes en redressement judiciaire, l’échec est assuré dans 90 % des cas. Grâce au mandat ad hoc, vous multipliez les chances de vous en sortir par sept ou huit. En 2023, le taux de réussite des mandats ad hoc et conciliations était de 92 %. Sur les cinq dernières années, la moyenne est de 72 %.

Après dix-huit ans en tant que juge, dont huit en tant que président du tribunal de commerce, vous passerez la main lors de l’audience solennelle de janvier 2025. Comment préparez-vous votre transmission ?

Fin 2023, j’ai indiqué aux autres juges le nom de la personne que j’envisageais pour me remplacer. Ils ont approuvé symboliquement mais c’est bien l’audience solennelle qui validera le nom de mon successeur. Je voulais préparer cette transmission. Je pense qu’il ne faut pas attendre la dernière minute pour se familiariser avec les dossiers, le fonctionnement d’un tribunal de commerce. Le juge qui pourrait me remplacer participe déjà à tous les dossiers. Il vient de partir quelques jours pour se former au rôle de président de tribunal de commerce.

Quelles qualités doit-il avoir pour exercer cette fonction ?

Être humain avant les chiffres. Parce que, quand l’homme avec un grand H va bien, les chiffres, on les fait aller bien.

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