Couverture du journal du 02/12/2024 Le nouveau magazine

Christophe Cougnaud, dirigeant du groupe Cougnaud : « La transition va durer jusqu’à fin 2024 »

Spécialiste de la construction modulaire, le groupe Cougnaud est une de ces sagas si représentatives de la culture entrepreneuriale vendéenne. Représentant de la deuxième génération qui cède peu à peu sa place, Christophe Cougnaud dévoile les enjeux inhérents à cette étape délicate dans la vie d’une entreprise familiale : la transition de gouvernance.

Christophe Cougnaud, groupe Cougnaud

Christophe Cougnaud, dirigeant du groupe Cougnaud - ©Benjamin Lachenal

Comment se porte l’activité pour votre ETI ?

Nous avons un peu moins d’activité en ce moment sur le BTP, hormis le projet du grand Paris et le lancement de la ligne LGV Lyon-Turin. En revanche, dans l’industrie, nous travaillons en contrat cadre avec le ministère des Armées, sachant que des budgets conséquents sont aujourd’hui relancés dans le monde de la défense. Nous sommes aussi en contrat cadre avec EDF et là aussi, avec l’EPR, il y a beaucoup de projets qui commencent. Nous sommes également en contrat cadre avec tous les grands donneurs d’ordre de l’aéronautique, secteur qui repart à fond dans les investissements. Enfin, dans la pharmacie, avec la relocalisation des médicaments voulue par le gouvernement, il y a là encore plusieurs millions d’investissements. Tout cela nous apporte un fond de planning de production assez important, qui s’ajoute aux affaires courantes. La multiplicité de notre clientèle fait que nous continuons d’avoir un carnet de commandes bien rempli.

Quelles sont vos ambitions à l’international ?

Historiquement, mon père avait développé l’international dans les années 1970 et 80. On suivait l’activité des grands groupes français de BTP en Algérie, au Koweït, en Égypte et en Arabie saoudite, mais avec les différentes guerres du Golfe on s’était recentrés sur le marché français. Actuellement, on travaille ponctuellement dans les pays limitrophes (Benelux, Suisse et Espagne), mais à la marge, pour à peine 1 % du chiffre d’affaires.

Au moment d’élaborer notre plan stratégique “Ambition 2022“ en 2015, on s’était donné pour objectifs d’atteindre 300 M€ de CA et de se redéployer géographiquement sur l’Hexagone, ce que l’on a fait. On a préféré mailler d’abord le marché français, sachant que chaque ouverture d’une agence régionale représente une dizaine de millions d’euros d’investissement.

Désormais, notre objectif est de tutoyer les 400 M€ en 2030. Pour ce faire, on a l’ambition dans le plan stratégique 2027 de rester attentifs au marché français, peut-être en allant sur des acquisitions concernant des métiers périphériques. Mais on ne s’interdit pas non plus de regarder vers les pays limitrophes et pourquoi pas d’investir dans des opérations de croissance externe, à court ou moyen termes, auprès de confrères étrangers qui nous permettraient de mettre un pied au Benelux, en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Aujourd’hui, on se dit qu’il est possible de transposer notre savoir-faire dans d’autres pays européens. Certains marchés ne sont en effet pas consolidés, il est encore possible d’y prendre pied. Après, sur le métier de la vente, c’est un peu plus compliqué du fait de la partie normative qui diffère selon les pays. En tout cas, on reste ouverts !

Quid de votre politique innovation ? Passe-t-elle forcément par plus d’écoresponsabilité ?

Tous nos efforts d’innovation tendent vers cet objectif-là. C’est un sujet que nous avons pris à bras le corps il y a maintenant cinq ans, lorsque nous avons construit notre bâtiment Campus de 5 000 m2 parce que nous étions à l’étroit. À l’époque, il a fait partie d’une expérimentation menée par l’Ademe sur la construction de bâtiments à énergie positive et bas carbone. On a choisi de faire un immeuble RE2020. On a donc travaillé sur des matériaux décarbonés, avec de l’acier recyclé à plus de 40 %, des planchers béton faits avec du ciment bas carbone et des murs à ossature bois. Nous avons également appliqué des solutions solaires : plus de 20 % de l’électricité est produite par du photovoltaïque. Tout cela fait, qu’au final, Campus est un bâtiment à énergie positive.

Le marché de la seconde vie pourrait représenter à terme 5 à 10 % de notre activité.

Ensuite, nous avons utilisé ces innovations pour nos clients. Nous avons ainsi commencé à développer une gamme à ossature bois. Et désormais, on étudie la possibilité d’intégrer de petites éoliennes sur les toitures de nos bâtiments. Nous avons découvert ce type de production en 2020, en créant le concours d’open innovation « Accélérons »[1]. Le premier lauréat, Circouleur, est une entreprise qui fabrique des peintures zéro carbone que l’on utilise aujourd’hui. Et le lauréat de la dernière édition, Equium, produit des pompes à chaleur à partir d’ondes acoustiques, que l’on va tester pour nos constructions.

On s’est donné pour objectif de réduire nos émissions de carbone a minima de 30 % d’ici 2030, sur la base des chiffres de 2020, avant d’atteindre la neutralité en 2050. Ce sont des objectifs ambitieux.

Quelles sont les actions que vous menez par exemple ?

85 % des déchets que l’on produit sont recyclés. Dans les marchés publics, on a aujourd’hui l’obligation d’utiliser a minima 20 % de matériaux issus de l’économie circulaire et, nous, nous sommes à 26 % et notre objectif est de continuer à améliorer ce taux, tant dans les revêtements de sols que dans les plafonds, les matériaux. On privilégie également les fournisseurs qui sont en mesure de nous proposer des matériaux provenant de filières de recyclage.

Par ailleurs, pour éviter les déchets, nous travaillons avec nos fournisseurs afin que les matériaux arrivent directement à la cote de production pour éviter les chutes. D’autre part, on leur demande d’avoir un seul emballage recyclable alors que par exemple, auparavant pour une palette de fenêtres, on avait la palette en bois, du polystyrène, du film plastique blanc et du film transparent.

Sur nos produits, notamment dans l’univers de la location où ils ont plusieurs dizaines d’années de durée de vie, l’important est de garder la structure et de pouvoir leur redonner une seconde vie. Dans le cadre des bâtiments pérennes, certains clients nous demandent d’en déplacer certains. On sait les transférer, les démonter, les remonter et aujourd’hui on nous demande aussi des changements d’usage. Nous estimons que le marché de la seconde vie pourrait représenter, à terme, 5 à 10 % de notre activité, contre 2 à 3 % aujourd’hui.

Cougnaud est reconnu pour sa culture d’entreprise forte. Comment définiriez-vous votre identité et vos valeurs ?

Nous sommes une ETI familiale dans laquelle on s’investit encore de manière forte dans l’opérationnel. Nos valeurs sont la simplicité de décision, de direction, une vision fondée sur le travail et le partenariat. Il faut que l’on soit exemplaires dans notre façon d’être, ce qui nous permet de rester très proches d’eux. Même si on est en cours de transmission, je suis toujours au plus près du service commercial, de la production, par exemple.

Ce modèle peut-il perdurer quand on sait que la gouvernance se conçoit de plus en plus comme partagée ?

Avec mes trois frères, on a annoncé il y a un peu plus d’un an la transmission familiale de l’entreprise, sachant que depuis plusieurs années nos collaborateurs entendaient des rumeurs sur le fait qu’on allait être vendu à de grands groupes industriels ou du BTP. Il y a cinq ans, on s’est donc demandé ce que l’on voulait faire : soit effectivement on vendait, soit on transmettait à nos enfants ou à des cadres de la direction, voire à des collaborateurs. Et on a pris la décision de garder une gouvernance familiale. Lorsqu’on l’a annoncé, il y a près de deux ans, ça a été un soulagement pour les collaborateurs. On reste dans l’actionnariat et on transmet en partie aux enfants. Et peut-être que dans les années qui viennent, on ouvrira le capital aux cadres de la direction ou à l’ensemble du personnel. Ce n’est pas encore déterminé. On ne s’interdit rien.

Famille Cougnaud, groupe Cougnaud

Jean-Yves, Christophe, Patric et Eric Cougnaud, les quatre frères de la deuxième génération. Emma est la seule représentante de la troisième génération à travailler au sein du groupe. ©Benjamin Lachenal

Concrètement, comment cette décision se traduit-elle aujourd’hui ?

Nous sommes amenés à sortir, mes frères et moi, de l’opérationnel. Antoine Loiseau, aujourd’hui directeur général opérationnel, va prendre la direction générale à partir de 2024. Dans la partie commerciale, on m’a trouvé un successeur. Idem pour la direction des achats, quelqu’un va prendre la place de Jean-Yves Cougnaud en fin d’année. Et il reste à finaliser le remplacement de Patrice Cougnaud sur la direction de l’ensemble du périmètre location. Début 2024, il n’y aura donc plus de Cougnaud au Codir. Tout cela est partagé, rappelé régulièrement. On assure une transition douce, dans le temps et quand bien même on va prendre du recul sur la partie opérationnelle, sur la gouvernance, on gardera un suivi, de manière à rassurer les collaborateurs. On a un savoir-faire et un savoir-être : on veut garder cette dynamique. Cela fait trois ans que l’on est classés dans le magazine Capital parmi les dix meilleurs employeurs du monde du BTP, ça prouve une certaine reconnaissance en interne et en externe de notre ETI, qui reste à taille humaine. On a aujourd’hui un peu de turn-over, de l’ordre de 9 %, alors qu’ailleurs il est plutôt entre 15 et 20 %. Quand bien même des collaborateurs partent, on sait que l’on en attirera d’autres. La première chose que les candidats nous disent c’est justement qu’on est une ETI familiale : ils savent que, sur la durée, on ne va pas fonctionner qu’avec des ratios et qu’ils vont avoir une visibilité sur le long terme. On travaille aussi de plus en plus de manière écoresponsable, avec des produits moins carbonés, qui produisent peu de déchets et ça leur parle.

Une transition c’est forcément une période complexe à gérer. Combien de temps doit-elle durer ?

La transition va sans doute durer jusqu’à fin 2024. Nous étions neuf dans le Codir, il va être renouvelé de quasiment la moitié en moins d’un an : il faut que ça matche. C’est pour cela que l’on se donne du temps, en restant présents quelques années encore, en accompagnement. On veut être là au cas où il y aurait un coup dur. Avec mes frères, on est tous dans le même état d’esprit. On va plutôt s’occuper du développement externe sur de nouveaux marchés, des métiers périphériques, des services que l’on pourrait apporter en complément de nos constructions pendant que l’équipe de direction pilotera la partie opérationnelle. Si tout fonctionne bien, on pourra se dire que la transition sera faite.

Quid de la relève, en particulier de votre nièce Emma qui travaille au sein du groupe ?

Emma a pris un poste à responsabilité en gérant l’ensemble du parc locatif pour la région Ouest, mais elle n’est pas encore au Codir. À 30 ans, elle est encore jeune. L’objectif à terme, et si elle le veut, c’est de lui laisser quelques années pour bien apprendre le métier.

Dans le travail de transmission entre la deuxième et troisième génération que l’on a entrepris il y a cinq-six ans, on s’est fait accompagner par un expert. On a ainsi travaillé pendant deux ans avec ce que l’on appelle la “Next Gen“, afin de savoir parmi les 11 petits-enfants lesquels voulaient rentrer dans la société. Ils avaient la possibilité de rentrer directement chez Cougnaud à la sortie de leurs études, ce qu’a fait Emma, ou bien d’aller faire leur expérience professionnelle ailleurs avec dans l’idée de peut-être un jour s’investir dans l’entreprise.

Dans ce cadre, on a élaboré une charte avec eux, posant le cadre, qu’ils ont tous signé et qui stipule notamment que ce n’est pas parce qu’ils rentrent dans la société qu’ils vont tout de suite décrocher un poste de direction.

Si vous faites le parallèle avec votre propre situation lorsque vous étiez arrivés avec vos frères, qu’est-ce qui a changé ?

Ça n’a rien à voir. Mes frères et moi sommes tous du même moule. À l’époque, nous avions suivi tous les quatre à peu près le même cursus, avec des études supérieures assez courtes. Après l’armée, notre père était en plein développement d’activité, il cherchait du monde et il nous a proposé d’intégrer l’entreprise. On a tous plongé dedans. Et à partir de 14 ans, on allait travailler tous les étés dans la société, dans la production. Moi, je suis allé dans les chantiers export. Dès qu’on avait un peu de temps, on allait y travailler. Notre terrain de jeu, c’était la forge[2]. Pour nos enfants, c’est un peu différent. Déjà, ils sont beaucoup plus étalés en âge, puisqu’ils ont entre 16 et 33 ans aujourd’hui, et ils ont des cursus assez différents, même si eux aussi sont tous venus travailler l’été dans l’entreprise dès leurs 16 ans.

Quelle organisation avez-vous mise en place pour réussir cette nouvelle étape ?

Dans la nouvelle génération, un enfant représentant de chaque branche participe chaque mois à un comité stratégique. Cela leur permet de suivre l’actualité de la société, de participer au développement stratégique. On a ainsi intégré la « 3G » (troisième génération, NDLR) à la construction du plan stratégique. À notre époque, c’était naturel, on habitait tous dans un carré de 20 km et on intégrait tout cela à travers les discussions familiales autour de la table le midi ou le soir. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui, certains vivant en-dehors de la Vendée.

On a aussi intégré le Family business network (FBN), le réseau des entreprises familiales. Il nous permet, ainsi qu’aux 11 petits-enfants, de rencontrer des familles qui ont les mêmes problématiques et d’échanger par l’expérience, le vécu, la visite d’entreprises. Ça permet de voir comment les autres font, ce qui fonctionne bien ou moins bien.

De manière générale, la nouvelle génération a des attentes très différentes, notamment en ce qui concerne la valeur travail. Comment l’appréhendez-vous ?

Ils n’ont effectivement pas le même mode de fonctionnement que nous. Sur ce point-là, c’est justement le partage avec les autres entreprises du FBN qui peut nous aider à trouver les bonnes solutions. On sait qu’ils aiment l’entreprise, mais ce n’est pas suffisant pour la faire vivre. On n’a pas encore trouvé la solution, mais c’est en les impliquant au plus tôt et au plus près qu’on la trouvera. Idéalement, notre souhait c’est qu’il y en ait un de chaque branche qui rentre dans la société, mais on n’en est pas sûrs. C’est effectivement notre gros challenge à horizon cinq-dix ans.

[1] Ce concours vise à faire émerger de nouvelles solutions et accélérer la mutation vers une construction plus vertueuse.

[2] Yves Cougnaud, fondateur de l’entreprise, a débuté comme forgeron.

 

Chiffres

  • 302 M€ de CA en 2022, répartis à un peu plus de 50 % sur la location et le reste sur la vente. Clients : BTP, industrie, collectivités et enseignement.
  • 1 500 collaborateurs
  • Une dizaine d’implantations à travers la France