Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Cap sur l’économie circulaire… vers un nouveau modèle de société ?

L’économie circulaire, au-delà des mots en vogue, commence enfin à émerger, transformant nos façons de produire et de consommer. Alors que la valeur économique de ce nouveau marché est estimée à 7,7 trillions de dollars à l’échelle mondiale à horizon 2030 (soit environ trois fois le PIB de la France), le taux de circularité stagne à 7-8 %. Démystification d’un concept devenu le nouvel eldorado des industriels dans un monde durable.

Clément Chenut

Clément Chenut. © Capgemini

Et si finalement Antoine Lavoisier avait raison ? « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Alors que la planification écologique du gouvernement propose une série de leviers visant à réduire notre empreinte carbone sur l’ensemble des secteurs, l’économie circulaire suggère un nouveau modèle consistant à optimiser l’usage des matériaux. Ce concept connaît une forte adoption de la part des entreprises et des particuliers, accélérée par un cadre réglementaire renforcé (je pense notamment à la loi Agec), une demande consommateur de plus en plus explicite, ou encore des difficultés d’approvisionnement accrues, liées par exemple à la perturbation des chaînes logistiques ou à la rareté des matériaux.

Un système économique à bout de souffle

Depuis la révolution industrielle, la mondialisation et l’innovation ont certes délivré des avancées majeures sur le plan scientifique, technologique ou sanitaire, mais elles ont aussi intensifié l’activité humaine. Notre modèle économique actuel, appelé économie linéaire, surexploite les ressources naturelles via un format “extraire, consommer, jeter“ sans proposer de moyens de revalorisation.

Conséquence : l’humanité, qui devrait atteindre les 10 milliards d’habitants d’ici 2050, vit à crédit. Elle consomme chaque année l’équivalent de “1,7 Terre” en termes de surface si l’on se réfère au jour du dépassement mondial situé à mi-année. De plus, seulement 7,2 % des 100 milliards de tonnes de matières extraites chaque année sont réinjectées dans l’économie mondiale, le reste devenant gaspillage ou pollution. Enfin, les réserves naturelles s’épuisent, notamment pour des ressources non renouvelables essentielles pour la transition écologique à horizon 2050 telles que le cuivre.

C’est pourquoi, un nouveau narratif permettant d’envisager un monde différent et désirable, devant s’appuyer principalement sur l’économie circulaire est indispensable pour sécuriser notre transition écologique et économique, en plaçant l’optimisation de l’utilisation des ressources et le bien-être au cœur des enjeux civilisationnels.

Économie circulaire, un concept devenu réalité industrielle

Petites, moyennes, ou grandes, les entreprises tous secteurs confondus accélèrent leur transformation pour tirer les bénéfices de ce marché nouveau.

  • The Future Is Neutral, créée par Renault Group, est la première entreprise opérant sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’économie circulaire automobile. Elle a pour vocation d’engager l’industrie automobile à tendre vers la neutralité en ressources, via un écosystème constitué de réparateurs, démanteleurs et recycleurs.
  • Back Market, plateforme d’intermédiation entre particuliers et professionnels du reconditionnement offre la possibilité d’acheter des appareils électriques et électroniques de seconde main.
  • Sooruz, spécialiste des combinaisons de sport de glisse à La Rochelle, propose des produits écoconçus en remplaçant les composants d’origine pétrochimique par des composants organiques ou recyclés tels que des coquilles d’huîtres. Sooruz a également mis en œuvre un service de recyclage qui concerne environ 20 000 combinaisons par an.

L’économie circulaire repose ainsi sur trois principes fondamentaux :

  1. Réduire la demande en énergie et en matières premières dès la conception ;
  2. Réemployer les produits en maximisant l’usage et en rallongeant leur durée de vie ;
  3. Recycler produits et matériaux en fin de vie.

On estime aujourd’hui qu’elle générera 300 000 emplois locaux, pérennes et non délocalisables en France d’ici 2030. À l’échelle mondiale, c’est 7,7 trillions de dollars de gains économiques potentiels, une réduction de 39 % des émissions de gaz à effet de serre, et une diminution de 28 % d’extraction de matières premières vierges.

Les obstacles sur la route de la circularité

En pratique, mettre en place la circularité implique de repenser son modèle d’affaires et de développer des chaînes de valeur industrielles de bout en bout : écoconception, logistique, distribution et marketing. Cette transformation d’ampleur requiert un accompagnement significatif des collectivités locales et des éco-organismes pour structurer et orchestrer les filières industrielles dédiées.

Les investissements publics et privés nécessaires à la construction de nouvelles infrastructures et à la création de nouveaux savoir-faire seront critiques. Mais la vraie bataille ne sera pas uniquement technologique : elle sera culturelle. L’adoption de ces nouveaux modèles tels que vrac, consigne, reconditionnement, recyclage, passera par la sensibilisation des populations et la mise en place de services accessibles et abordables.

La circularité est bien davantage qu’un nouveau modèle économique, c’est un nouveau modèle de société, une société durable. Aujourd’hui pourtant, les indicateurs de croissance actuels ne nous permettent pas de piloter notre trajectoire vers cette nouvelle économie. À nous d’imaginer ce monde meilleur avec, par exemple, la création d’un Produit intérieur circulaire comme boussole pour mesurer les flux de matières ou encore la création d’emplois dans de nouvelles filières. L’enjeu est de taille : délivrer de la valeur à la fois économique et environnementale à long terme, le tout dans le respect le plus strict de nos limites planétaires.

Publié par