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Antoine Valoteau et Patrice Allemand, co-gérants de Palmiloire : « Accélérer notre diversification »

Rachetée en 2012 par Patrice Allemand et Antoine Valoteau, l’entreprise nantaise Palmiloire est alors spécialisée sur une niche haut de gamme : le foie gras. Depuis, les co-gérants n’ont cessé d’élargir son offre : viandes, charcuteries, produits frais, fruits et légumes, épicerie fine… Une stratégie de diversification payante qui permet aujourd’hui à l’entreprise d’amortir le choc de la grippe aviaire, alors que le prix du foie gras a été multiplié par deux en six mois.

Patrice Allemand, Antoine Valoteau, Palmiloire

Patrice Allemand et Antoine Valoteau, co-gérants de Palmiloire © Benjamin Lachenal

Quels sont vos formations et parcours avant la reprise de Palmiloire ?

Antoine Valoteau : Après un BTS Production animale à La Roche-sur-Yon, j’ai débuté chez Avibocage, un couvoir de canetons aux Épesses (Vendée). Mon activité consistait à vendre des canetons aux exploitations qui gavaient le canard dans le Sud-Ouest. Quand Gabriel Bonnin, le patron du couvoir, s’est retrouvé avec trop de canetons sur les bras, il s’est mis à les élever et les gaver. C’est comme ça qu’est née l’entreprise Palmilord aux Herbiers. Gabriel Bonnin a ensuite racheté l’entreprise Rougié des Herbiers, qui est passée sous le giron d’Euralis, une coopérative agricole basée à Sarlat. De fil en aiguille, je l’ai suivi dans l’aventure, d’abord dans la technique animale, puis la partie commerciale. Ensuite, j’ai travaillé cinq ans dans la volaille chez Terrena à Ancenis pour la marque Gastronome.

Patrice Allemand : Après des études agricoles en Vendée, j’ai débuté ma carrière dans le commerce de bestiaux pour l’entreprise de mon père, avant qu’il ne stoppe son activité. J’ai bifurqué en 1990 dans le monde du canard en rejoignant Palmilord aux Herbiers. J’ai ensuite travaillé pour Rougié, puis Euralis. J’ai démarré comme chauffeur, avant de basculer aux expéditions de marchandises. J’ai ensuite rejoint la partie commerciale en 1996, où j’ai progressivement gravi les échelons : assistant commercial, puis attaché commercial, avant de devenir responsable de secteur puis responsable national des ventes.

Comment vous êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui vous a poussé à racheter cette entreprise nantaise ?

PA : Avec Antoine, nous travaillions ensemble depuis une quinzaine d’années. Palmiloire était un de nos clients et nous connaissions bien son gérant. Quand il nous a proposés de racheter, nous avons sauté sur l’occasion car nous avions envie de nous mettre à notre compte et nous connaissions déjà son produit phare, le canard gras1. De plus, nous étions très intéressés par le monde de la distribution et de la restauration.

AV : Le déclic a été le ras le bol des grands groupes et leur lourdeur décisionnelle. Je ne supportais plus le fait que prendre des décisions simples nécessite plusieurs jours voire plusieurs semaines. Sans parler des réunions incessantes. Vu que je suis plutôt quelqu’un d’action que de réunion, je me suis lassé et j’ai préféré reprendre une entreprise.

Pouvez-vous me retracer l’histoire de Palmiloire ?

PA : L’entreprise est née en 1991 sur l’ancien Min de Nantes, avec l’appui financier de Gabriel Bonnin. Au départ, son activité phare était le négoce de foie gras et sa distribution auprès des restaurants et traiteurs de Loire-Atlantique et Vendée.

AV : Au moment du rachat, elle avait une quarantaine de clients professionnels et proposait déjà une petite gamme d’épicerie et spécialités gastronomiques. L’entreprise avait également un magasin réservé aux professionnels au Min de Nantes, où les particuliers pouvaient accéder facilement, notamment en novembre et décembre.

Comment s’est passé le rachat en 2012 ?

AV : Nous avons opté pour un rachat classique de parts sociales. À l’époque, Palmiloire était plutôt sur le déclin. L’entreprise n’avait pas effectué d’investissement depuis plusieurs années… Ce qui a été source pour nous de difficultés !

« Le plus difficile, ça a été de remettre en route l’ensemble de la structure. »

Comment avez-vous redressé la barre ?

PA : Nous avons pris notre bâton de pèlerin de manière à effectuer du développement commercial sur le terrain. Étant tous deux dans le commerce, ça n’a pas été un problème. Ce qui a été le plus difficile, ça a été de remettre en route l’ensemble de la structure : mettre à jour le système informatique, racheter des véhicules, améliorer le matériel du magasin… Ce sont des investissements nécessaires qu’on n’avait pas forcément calculés ! Et c’est sans doute cette partie-là qu’on connaissait le moins finalement.

Où en est Palmiloire aujourd’hui ?

AV : Notre chiffre d’affaires annuel est d’environ 2,8 M€ actuellement pour un effectif de six personnes, avec un renfort en fin d’année. À titre de comparaison, il était d’1,2 M€ lors du rachat en 2012, pour une équipe de quatre personnes.

Quel est votre modèle économique ?

PA : Notre fonds de commerce, c’est le métier de bouche. Au quotidien, ce sont les restaurateurs et traiteurs qui nous font vivre. Ils sont environ 250 à commander plus ou moins fréquemment. Parmi eux, il y a bien sûr de grandes tables : Lulu Rouget, L’Atlantide 1874, La Cigale, Le Coq en Pâte à Nantes, La Mare aux oiseaux à Saint-Joachim.

Les fêtes de fin d’année sont toujours une période cruciale pour le foie gras en France. C’est le cas pour Palmiloire ?

AV : Oui, la fin d’année est synonyme de gros rush pour nous car on réalise 25 % de notre chiffre d’affaires sur novembre et décembre. Notre activité pour les professionnels est assez linéaire sur l’année, même si elle augmente un peu sur la partie foie gras pour les fêtes. C’est donc le particulier qui vient faire le petit bonus de fin d’année en venant s’approvisionner directement en magasin.

 

Au quotidien, ce sont les restaurateurs et traiteurs qui font vivre Palmiloire. Ils sont environ 250 à commander plus ou moins fréquemment. ©Rougié

Au quotidien, ce sont les restaurateurs et traiteurs qui font vivre Palmiloire. Ils sont environ 250 à commander plus ou moins fréquemment. ©Rougié

En quoi avez-vous fait évoluer l’offre depuis le rachat de Palmiloire ?

PA : Notre activité phare a au fil des années été complétée par une diversification de notre gamme de produits. Quand on a commencé à aller sur le terrain rencontrer les chefs qui travaillaient nos produits et développer une nouvelle clientèle de professionnels, on a découvert des besoins auxquels on ne répondait pas. On a donc décidé d’adapter notre offre.

AV : Environ 80 % des produits que l’on propose aujourd’hui n’étaient pas vendus par Palmiloire lors du rachat de l’entreprise. Notre catalogue propose désormais entre 800 et 1 000 références, contre 200 en 2012. Nous vendons désormais du bœuf, de la volaille, du porc, du veau, de la Saint-Jacques, du caviar, du saumon, des fruits et légumes de saison… Nous avons également développé toute notre gamme d’épicerie fine et de produits gastronomiques frais.

J’ai cru comprendre que vous aviez également développé l’activité sur la côte…

PA : Oui, parce que le souci de la région nantaise, c’est qu’elle connaît un gros coup de mou en juillet et août : plus de la moitié des restaurants sont en vacances. Ce choix fait pleinement partie de notre stratégie de diversification car le chiffre que l’on perd à Nantes durant l’été, on le récupère largement sur la côte. En revanche, ça n’a pas été simple. Il a fallu effectuer énormément de prospection, mais également trouver des transporteurs pour éviter d’avoir à envoyer nos chauffeurs sur la côte. Avec le recul, ça a été une stratégie salvatrice car elle nous a permis de faire du chiffre à une période de l’année normalement très calme.

« Environ 80 % des produits que l’on propose aujourd’hui n’étaient pas vendus auparavant par Palmiloire. »

Quel était l’objectif de ces deux stratégies ?

AV : Incontestablement de diminuer le poids du canard dans notre chiffre d’affaires. Bien nous en a pris avec le recul et les épisodes de grippe aviaire des dernières années ! Si on avait gardé tous nos œufs dans le même panier, ce serait effectivement beaucoup plus compliqué pour nous et il y aurait sans aucun doute eu de la casse… Malgré cela, la situation a été très tendue pour nous durant la grippe avaire en 2021. Et elle reste compliquée : avant la grippe aviaire, on achetait 20 tonnes de foie gras par an, soit 40 000 lobes. Aujourd’hui, c’est la moitié.

Justement, comment a-t-elle impacté votre activité ?

PA : Cette crise a été synonyme d’arrêt total de la production de canard gras pour toute la filière française, des millions de bêtes ayant dû être abattues du jour au lendemain. Ça a été terrible et toute la filière a été touchée de plein fouet.

AV : Ça a été très violent : on a quasiment perdu du jour au lendemain 70 % du volume de nos ventes. Et à l’inverse de la crise Covid, on n’a bénéficié d’aucune aide. À l’époque, le canard gras représentait 50 à 55 % de notre chiffre d’affaires. C’est là que la diversification est devenue une nécessité pour maintenir notre activité. À notre grande surprise, cette stratégie a rapidement porté ses fruits, même s’il faut reconnaître qu’elle a été chronophage, notamment pour le sourcing des fournisseurs des nouveaux produits. Aujourd’hui, le canard gras ne représente plus que 40 % de notre CA grâce à cette stratégie.

Quelles autres difficultés avez-vous rencontrées dernièrement ?

PA : L’explosion des prix des matières premières et des hausses de charges fixes terribles, notamment l’électricité. C’est ce qui explique que le prix du canard gras a quasiment doublé en six mois. L’ensemble de nos produits ont également connu des hausses terribles. Par exemple, le prix de l’huile d’olive a été multiplié par trois par manque de production. Pour continuer à exister, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’augmenter nous aussi nos prix. Et cette inflation a également fortement impacté nos clients restaurateurs, qui ont peiné à répercuter ces différentes hausses dans leurs menus.

Qu’est-ce qui pourrait faire repartir à la baisse le prix du foie gras ?

AV : Si on a moins de cas de grippe aviaire dans les élevages, le prix du foie gras baissera naturellement. Car si la restauration continue à mettre moins de foie gras sur ses tables pour des raisons de coût, et qu’en parallèle la production repart, les volumes produits seront plus importants et le prix du foie gras baissera mécaniquement.

L'entreprise propose aujourd'hui entre 800 et 1000 références, contre 200 en 2012. ©IJ

L’entreprise propose aujourd’hui entre 800 et 1000 références, contre 200 en 2012. ©IJ

Comment choisissez-vous vos fournisseurs ?

PA : Pour le foie gras, on essaye de répondre aux demandes de nos clients et de privilégier le local. Vu que l’ouest de la France est riche en volailles et que les Pays de la Loire sont la deuxième région productrice de foie gras en France, on arrive à se fournir localement : chez Alain François à Bouaye, en Vendée chez Rougié et dans le Morbihan chez Procanar. Tous produits confondus, nous avons une cinquantaine de fournisseurs.

AV : Il y a systématiquement une rencontre. Parfois, ce sont les restaurateurs qui nous les présentent directement. Sinon on participe au Sirha (salon mondial dédié à la restauration et aux métiers de bouche) tous les deux ans où l’on découvre de potentiels nouveaux fournisseurs.

Pourquoi avoir déménagé dans la zone d’Agropolia en 2019, en dehors du Min de Rezé ?

PA : En tant qu’anciens locataires du Min de Nantes, nous avions notre place réservée au sein du Min de Rezé. Néanmoins, on a craint que le nouveau marché ne ferme ses barrières aux particuliers comme à Rungis, car c’est ce qui avait été annoncé. On a également considéré qu’investir sur un terrain et se constituer un capital était plus intéressant que payer des loyers à fonds perdus. Nous avons donc investi 800 k€ dans un nouveau bâtiment composé d’une boutique de 80 m2, de 400 m2 de stockage et chambres froides, et d’un terrain de 2 700 m2.

AV : Le fait d’avoir investi dans cet outil plus moderne et de bénéficier d’un emplacement plus visible et accessible a donné un nouveau souffle à notre activité. Et faire partie d’Agropolia nous amène également une bonne dynamique car de nouveaux acteurs des métiers de bouche s’y installent régulièrement. C’est le cas des Brioches Bonnin, dont la boutique a ouvert en juin dernier au sein d’Agropolia et avec qui nous venons d’organiser des portes ouvertes communes pour dynamiser la zone.

Quelles sont vos ambitions pour Palmiloire ?

PA : Continuer notre développement commercial, tout en conservant une certaine rentabilité et en maintenant la qualité de notre service client, pour lequel on est reconnus par les professionnels de la restauration. À court terme, notre objectif est d’accélérer notre diversification pour encore minimiser le poids du foie gras dans notre chiffre d’affaires. Notre ambition n’est pas de baisser notre volume de vente de canard gras mais bien d’augmenter celui de nos autres produits gastronomiques. Car cette grippe aviaire nous a fait très peur et je suis convaincu que ça n’est pas fini.

Le risque de grippe aviaire en France vient justement de repasser début décembre au niveau élevé. Quel impact est à prévoir sur votre activité ?

AV : On a presque fini par s’y habituer ! Sur la fin de l’année, ce nouvel arrêté n’aura pas de véritable impact sur notre activité. Mais en début d’année prochaine, c’est possible qu’il y ait à nouveau des conséquences. Mais c’est difficile, voire impossible à anticiper… La grippe aviaire, c’est comme la grippe humaine, il y a des années où elle sera très virulente et d’autres moins. Mais heureusement, dans les deux cas, il y a un vaccin !

« Les clients se lâchent moins sur les quantités, privilégiant désormais l’achat plaisir et la qualité des produits. »

Ce dernier est obligatoire depuis octobre dans les élevages de plus de 250 têtes. Est-il efficace ?

AV : Il est encore trop tôt pour le dire même si tous les espoirs de la filière reposent sur cette vaccination. D’autant plus qu’avant de la déployer, des tests avaient permis de prouver son efficacité. Néanmoins, ça reste un vaccin sur un virus : c’est censé limiter sa propagation, mais ça n’empêchera pas les nouvelles formes de se développer.

Si cette vaccination est très attendue par les éleveurs, est-ce que vous pensez qu’elle est bien reçue par les consommateurs ?

PA : Honnêtement, je ne pense pas que les consommateurs français boycotteront le foie gras à Noël. D’ailleurs, actuellement en magasin, aucun client ne nous pose de question sur la vaccination. Ni sur les prix d’ailleurs : la grippe aviaire a tellement fait de bruit dans les médias que tout le monde est plus ou moins au courant des difficultés que cela a engendré pour la filière, à commencer par la hausse des coûts de production. Et si la grippe aviaire venait à durer, je suis convaincu que les consommateurs auraient globalement plus peur des dangers de la maladie que du vaccin lui-même. Un peu comme pour la vache folle ou la grippe porcine.

AV : En revanche, il y a eu un boycott du foie gras à l’export, notamment des pays asiatiques, qui se poursuit aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui a freiné la mise en place de la vaccination.

 

La fin d’année est synonyme de rush pour Palmiloire qui réalise 25 % de notre chiffre d’affaires sur novembre et décembre. IJ

La fin d’année est synonyme de rush pour Palmiloire qui réalise 25 % de notre chiffre d’affaires sur novembre et décembre. IJ

Quel regard portez-vous sur les associations de protection animale comme L214 qui dénoncent le gavage et la souffrance animale ?

AV : C’est un vrai sujet pour notre activité et je suis convaincu que la profession en a d’une certaine manière pris acte. Depuis plusieurs années déjà, il y a eu de vrais efforts réalisés sur le bien-être animal, et pas que dans le canard. Par exemple, le gavage en cage individuelle a disparu. Il y a eu une véritable remise en question des conditions d’élevage, gavage et d’abattage des animaux. À mon sens, les choses vont dans le bon sens sur ce point.

Face à cette explosion des prix, êtes-vous convaincus que le foie gras continuera demain à être dans les assiettes des Français ?

PA : Oui, les Français restent globalement très attachés à ce produit de fête. C’est non seulement un symbole de la gastronomie française dans la tête des consommateurs, mais surtout un produit d’exception. D’ailleurs, on le vérifie en boutique : la fréquentation ne diminue pas, mais les clients se lâchent moins sur les quantités, privilégiant désormais l’achat plaisir et la qualité des produits. Et ça ne risque pas de changer étant donné que le foie gras est un produit plaisir par définition !

En quoi le foie gras participe-t-il au rayonnement de l’art de vivre et de la gastronomie française dans le monde ?

AV : C’est un mets franco-français qui a toujours été mis en avant par les plus grands chefs. C’est grâce à des noms comme Paul Bocuse que le foie gras rayonne dans le monde entier. D’ailleurs, ces derniers continuent de le proposer sur leur table. C’est vraiment un produit sympa parce qu’il se cuisine de plein de façons différentes. Et c’est ce qui en fait un incontournable de la gastronomie française.

(1) Les canards gras sont élevés et engraissés pour la production de foie gras, tandis que les canards maigres le sont pour leur viande.