Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Ils ont osé entreprendre en famille

Pour certains, travail et famille ne se mélangent pas. Pour d’autres, au contraire, c’est le fait de si bien se connaître qui leur a fait tenter l’aventure entrepreneuriale. Ainsi, s’associer à un parent ou en couple est un modèle qui séduit, au point que 83 % des entreprises françaises seraient familiales (Source : Institut Montaigne). Au-delà des transmissions sur plusieurs générations, quelles forces poussent les membres d’une même famille à se lancer ? Éléments de réponses en Vendée.

Anaïs Vincent (à gauche) et sa soeur Nolwenn, cofondatrices de Snackinbox© Snackinbox

Dix ans que Katy Giraud et Maxime Trouvé sont un couple à la ville comme à la scène. Depuis 2014, ils sont à la tête d’Advisoria, un cabinet de conseil et de formation spécialisé dans l’accompagnement des acteurs du médico-social. « Auparavant, nous étions chacun issus d’expériences professionnelles acquises au sein de grands groupes, avec des hiérarchies très établies laissant peu de place à l’initiative, explique Katy Giraud. L’ambiance, les jeux de pouvoirs ont commencé à nous peser de plus en plus. On s’est alors mis en quête de davantage de bienveillance au travail. »

Maxime Trouvé cofondateur du cabinet Advisoria © Advisoria

Une prise de conscience renforcée à la naissance de leur deuxième enfant. « J’ai commencé une activité en tant qu’autoentrepreneure. Cela fonctionnait plutôt bien et j’ai rapidement atteint les seuils de CA autorisés. » « De mon côté, je travaillais encore dans la finance, dans le secteur des assurances, un milieu qui ne me plaisait pas, renchérit Maxime Trouvé. Katy avait envie de transformer l’essai de l’autoentreprise, c’est là qu’on a compris que le meilleur endroit pour assainir notre rapport au travail, c’était encore de le créer ensemble. »

« Je ne me serais pas lancée sans Maxime, estime l’entrepreneure. Le fait que sa spécialité soit tout ce qui me faisait peur au départ m’a rassurée. J’avais le cœur métier et lui le côté business : notre duo semblait évident ! À ce moment-là, nous étions dans un tel état d’esprit qu’on n’a pas hésité longtemps à mettre nos deux salaires dans l’incertitude. »

Délimiter ses périmètres de compétences

Katy Giraud, cofondatrice du cabinet Advisoria

« On a beau être un couple, on est radicalement différents. En termes d’organisation, c’est chacun son terrain et ses compétences, analyse l’entrepreneur. Contrairement à ma femme, j’ai débarqué dans un milieu professionnel que je ne connaissais pas, mais j’ai eu la chance de bénéficier d’une réforme qui allait dans le sens de mon corps de métier.  Ainsi, j’ai pu développer des missions qui m’étaient propres, créant ainsi ma légitimité. Katy, de son côté, n’a cessé de solidifier ses compétences déjà acquises, ce qui nous a permis d’évoluer chacun de notre côté en restant toujours très complémentaires. Délimiter les champs d’action permet de se prémunir contre la tendance naturelle à vouloir empiéter sur le job de l’autre. »

Une conviction partagée par Anaïs Vincent. Avec sa sœur cadette Nolwenn, elles ont créé Snackinbox, une start-up qui propose des box mensuelles d’en-cas sucrés/salés à la fois sains et gourmands. « L’idée de Snackinbox m’est venue à la suite de ma grossesse gémellaire, raconte la cofondatrice. J’avais pris beaucoup de poids que je voulais perdre sans culpabiliser pour autant. Plutôt que de m’interdire le grignotage, j’ai cherché des alternatives saines : plus de protéines, moins de graisse et de sucre… Au même moment, ma sœur était en période de rééquilibrage alimentaire et suivait les conseils d’une diététicienne. Si nous étions toutes les deux dans ce cas, d’autres personnes devaient l’être également, avance-t-elle. J’ai parlé de mon idée à mon entourage et Nolwenn a tout de suite été convaincue du potentiel. Elle m’a dit que si je me lançais, elle voulait faire partie de l’aventure. Nous nous sommes associées à 50/50 dans une SARL créée au mois de novembre. Avec seulement deux ans d’écart, on peut dire qu’on se connaît depuis toujours. C’est un gros avantage dans la création d’entreprise à mon avis. On n’est pas toujours d’accord, mais on ose se dire les choses sans crainte de vexer. Nous restons des sœurs avant tout ! Si nos caractères sont différents, nos missions au sein de l’entreprise aussi : je suis ingénieure informatique, j’ai plus de facilité avec la comptabilité, la gestion du site internet et des fournisseurs. Nolwenn, quant à elle, est davantage dans son élément avec le côté humain : à elle le marketing et la communication sur les réseaux sociaux ! Chacune a son périmètre, mais on prend toujours soin de demander l’avis de l’autre. Quand on se voit aux repas de famille, on se donne rendez-vous une heure plus tôt pour prendre des photos ou se challenger sur un point, histoire de ne pas polluer nos proches, même s’ils se montrent curieux envers notre projet. »

Une porosité vie pro/vie perso pas toujours évidente

« Même à l’époque de nos salariats respectifs, on ne coupait pas vraiment, avoue de son côté Katy Giraud. Il nous arrivait de ramener des dossiers à la maison. » « Aujourd’hui, le mélange des genres est devenu naturel, ajoute Maxime Trouvé. Je peux me brosser les dents tout en sollicitant un avis sur le pilotage de l’entreprise par l’exemple. La charge mentale est toujours présente, à la différence qu’on roule pour nous désormais ! Cela n’empêche pas les désaccords, mais il faut pouvoir discuter et faire des compromis. Je pense que l’on avait déjà cette capacité à fusionner, mais se redécouvrir dans le milieu professionnel a certainement renforcé l’estime que l’on se porte. Enfin, le fait que les déplacements soient inhérents à notre métier contribue à ne pas nous enfermer dans la routine. Quand l’un est à l’hôtel, l’autre gère les enfants, sans jugement. Cette confiance est le ciment qui nourrit notre projet commun. »

Nous sommes une équipe à deux têtes qui va dans la même direction.

Stéphane et Bénédicte Biron, cofondateurs du réseau Albert & Clotilde © Albert & Clotilde

Pour Stéphane et Bénédicte Biron, les cofondateurs d’Albert & Clotilde (premier réseau de prestataires facilitant les démarches des aidants familiaux), c’est aussi la vision commune qui a légitimé leur association père/fille. « Avec Bénédicte, nous avons une génération d’écart, ce qui nous rend complémentaires sur certains aspects, explique l’entrepreneur. Si j’ai plus d’expérience terrain, elle possède des connaissances qui me font défaut en termes de marketing et de communication, sur les réseaux sociaux notamment. En revanche, elle est polyvalente sur tous les sujets liés à la gestion d’Albert & Clotilde. C’est une cheffe d’entreprise formée à l’école des dirigeants et des créateurs d’entreprise (EDC Paris Business School, NDLR). Nous partageons les mêmes valeurs de ponctualité, d’organisation, une certaine forme d’impatience de caractère aussi. C’est ce qui fait que ça fonctionne entre nous ! Nous sommes une équipe à deux têtes, trois avec notre associé, qui va dans la même direction. »

« Notre communication est directe, ajoute Bénédicte Biron. Au quotidien, je me permets des choses que je ne me permettrais peut-être pas avec une personne moins proche, mais on se connaît tellement bien que cette honnêteté permet aussi d’avancer plus vite. Le fait d’avoir un lien de parenté hiérarchique naturel aurait pu être pesant, mais on a installé des routines qui nous permettent de l’éviter. Par exemple, j’appelle mon père par son prénom au travail et réserve le terme “papa” à la sphère privée. Lui, de son côté, a toujours été adepte du vouvoiement en entreprise, mais depuis que l’on travaille ensemble on est passé au tutoiement pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. » « Globalement, on essaie de compartimenter la vie personnelle et la vie professionnelle, insiste Stéphane Biron. On ne parle que rarement du travail avec le reste de notre famille. On partagera plus volontiers une anecdote qu’un dossier par exemple. Là encore, on s’accorde sur une priorité : la santé et la famille d’abord ! »