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Entretien avec Nadine Witczak, Directrice de l’Hôtel Amiral : « Un hôtel est une usine à gaspillages »

Directrice de l’hôtel Amiral, derrière le théâtre Graslin à Nantes, depuis 1989, Nadine Witczak a engagé toute son équipe dans une démarche écoresponsable. Finis les petits pots de confiture, le linge à changer tout le temps, les livraisons par camion… À la clé, l’obtention de l’Écolabel européen Hébergement touristique en 2011 qu’elle est la seule à avoir conservé à ce jour à Nantes 1. À l’heure où les consommateurs sont de plus en plus sensibles à ces efforts, sa démarche s’accompagne de bénéfices économiques non négligeables.

Nadine Witczak, Directrice de l’Hôtel Amiral

Nadine Witczak, Directrice de l’Hôtel Amiral © Benjamin Lachenal

Pourquoi avoir choisi cette démarche d’écolabellisation ?

En 2007, après un stage de mes enfants à l’École pour la nature et l’homme de Nicolas Hulot, à Branféré, j’ai eu une prise de conscience. Ils m’ont parlé de leur système de cantine et j’ai trouvé que c’était intéressant à reproduire pour l’hôtel. Avant, dans les étages le matin, nous avions plein de contenants jetés alors qu’il restait du produit, de la confiture, du beurre…

En 2008, nous avons obtenu le label Clef verte, le plus connu dans l’hôtellerie, avec un cahier des charges assez simple comme utiliser le papier recto/ verso ou vérifier le dégivrage des réfrigérateurs… Puis l’Afnor nous a demandé d’intégrer trois aspects supplémentaires de développement durable sur l’éclairage, la consommation d’eau et de papier. Donc on a entrepris différentes démarches comme changer le type de linge utilisé. Notre expert-comptable nous a confirmé que ce poste du linge, le deuxième le plus coûteux dans un hôtel après les salaires, avait diminué.

Donc on s’est dit qu’il fallait poursuivre. En 2009, nous avons rénové les 49 salles de bains. C’était nécessaire, elles dataient de 1988, n’avaient pas de mitigeurs… Donc on a tout fait en même temps : une rénovation mais en suivant les directives de l’Écolabel. Sur la robinetterie, nous sommes passés de 12L d’eau/minute à 7,20… À l’initiative de l’équipe, nous avons modifié la formule du petit-déjeuner aussi : le client choisit ce qu’il prendra sur une liste, cela évite les gaspillages. On a travaillé le dossier en 2010 pour le présenter en 2011. Cela a été un gros travail car il a fallu récupérer toutes les références de tous les équipements et certains n’existaient plus…

Où en êtes-vous de la labellisation aujourd’hui ?

Le dernier audit a eu lieu en mai cette année. Ça a été compliqué. C’est une grosse machine. Nous sommes labellisés depuis 2011 donc nous avions déjà un dossier solide mais, avec le Covid, la façon de travailler a été perturbée. Toute l’équipe était au chômage partiel…

J’ai donc beaucoup travaillé de chez moi pour le préparer, avec tous les dossiers, les données sur les quantités, les volumes… L’Afnor était passée pour la dernière fois il y a deux ans. L’audit dure une journée et tout est épluché : vérification des factures, des types de produits, bio ou pas, notamment pour le nettoyage. Le jour de l’audit, cette année, le 31 mai, nous venions juste de rouvrir et j’étais un peu tendue même si j’étais sûre de mon management et du dossier. Au final, ça s’est très bien passé. Nous n’avons aucun point éliminatoire. Lors du dernier audit, en 2019, nous devions travailler trois éléments : l’absence de fiche sur la dureté de l’eau, d’une autre sur le gaspillage – même si les actions étaient en place, il fallait mieux les détailler – et un plan de formation jugé trop restreint et pas assez mis en avant. On a tout retravaillé.

Qu’avez-vous modifié d’autre depuis ce précédent audit ?

J’ai dû changer certains fournisseurs car même s’ils étaient bio et locaux, ils nous demandaient des commandes de 250 € minimum pour être exonérés des frais de port. Sur les fruits frais, les compotes, cela nous obligeait à commander de grosses quantités et on ne s’y retrouvait pas, on avait de la perte. Avant, nous nous fournissions à Pontchâteau mais nous ne nous y retrouvions plus avec ces livraisons par gros camions. Nous allons maintenant rue Racine, à deux pas, chez Bio Nant’. L’équipe s’occupe de la liste et va faire les courses à pied ! Cela évite les camions de livraison derrière Graslin… Le reste des produits du petit-déjeuner est acheté en bio chez U Express, à 500m. On utilise Shopopop, un transport solidaire. Et en véhicule léger, c’est mieux pour l’environnement. C’est aussi moins cher pour nous. C’est vraiment une manière différente de penser l’hôtellerie.

Le développement durable passe aussi par le bon sens.

Hôtel Amiral Nantes

Hôtel Amiral, la chambre d’artiste peinte par Makiko Furuichin dans le cadre du VAN © Benjamin Lachenal

Est-ce que cela a été facile à mettre en place ?

L’équipe a suivi dès le départ. Je ne peux rien faire seule. Les femmes de chambre ont un rôle important, le veilleur de nuit aussi, car c’est lui qui conditionne les produits achetés en grands contenants pour le petit déjeuner (tablettes de beurre de 500g, gâteaux à couper…).

C’est aussi possible parce que nous sommes indépendants, qu’il n’y a pas de hiérarchie lourde et que nous sommes réactifs sur la prise de décision. On s’adapte et on parle beaucoup en équipe. Nous étions douze avant Covid, onze aujourd’hui car un CDD n’a pas été reconduit à cause de la baisse de fréquentation.

On sait que ce volet développement durable est important, surtout à Nantes. Je suis en relation avec la Cité des congrès, le Voyage à Nantes (VAN), je me tiens au courant des grandes tendances. Il y a forcément eu au départ une stratégie à mettre en place. J’ai fait un tableau des plus et des moins et je l’ai proposé au propriétaire. La labellisation, c’est moi qui m’y colle. J’aime ces démarches et apporter des idées nouvelles. Depuis que c’est en place, nous ne sommes pas déçus. Notre notoriété s’est accrue. Et puis, aujourd’hui, avec le coronavirus, les questionnements sur son origine, le lien avec l’aspect environnemental et l’activité humaine, on sait qu’on ne peut pas passer outre et fermer les yeux sur ce volet écoresponsable. Un hôtel, c’est une telle usine à gaspillages… Mais si on les réduit, cela diminue aussi nos charges, donc le bilan comptable est positif… C’est un cercle vertueux. Le développement durable passe aussi par le bon sens.

Si on réduit ces gaspillages, Cela diminue aussi nos charges, donc le bilan comptable est positif… c’est un cercle vertueux.

Combien vous coûte cette labellisation ?

Le tarif dépend de la capacité de l’hôtel, du nombre d’étoiles et de son équipement (spa, restaurant…). Pour nous, cela a coûté 2 800 € HT lors de la demande d’instruction du premier dossier, puis une redevance annuelle de 111 € de droit d’usage et 1 000 € de frais d’audit de suivi. Cela fait une somme quand on rogne déjà de partout. Mais beaucoup d’institutionnels nous connaissent. C’est une certification d’excellence donc nous n’avons pas hésité à la valider de nouveau malgré le contexte. On a tout mis au carré et il faut continuer.

Avez-vous d’autres projets d’amélioration ?

Nous avons eu deux autres sujets à l’étude concernant les économies d’énergie. On espérait installer des panneaux photovoltaïques sur le toit. Des étudiants de l’école Centrale ont établi un diagnostic mais, malheureusement, le projet s’est révélé impossible en raison de l’inclinaison du toit et de l’ombre causée par les cheminées et toits alentour. Nous avons aussi envisagé l’utilisation de pompes à chaleur pour climatiser deux de nos étages qui ne le sont pas. Mais nous n’avons plus le droit de les placer en extérieur car nous sommes en centre-ville, zone protégée. Il faudrait les mettre à l’intérieur, dans un espace dédié, et nous n’en avons pas la place.

Que conseilleriez-vous à un hôtelier qui voudrait entamer ces démarches mais ne saurait pas par où commencer ?

Déjà d’appeler la CCI ! Des personnes peuvent accompagner l’entreprise au pilotage du projet. Des ateliers très intéressants sont proposés. Quand j’avais une question, je les appe- lais. Par exemple, en 2010, j’ai failli abandonner. J’étais bloquée sur un point relatif à la collecte des déchets. Il fallait que je calcule le volume de déchets qu’on générait. La CCI m’a aidée à trouver la solution. Cela permet aussi de se rendre compte qu’il est possible de s’engager petit à petit, puis de se lancer dans des démarches plus drastiques et complètes. Sur les déchets, on a stoppé tous les petits contenants, pots de confiture, savonnettes, beurre… On est passé de près de 64 500L de déchets en 2011 pour 15 834 nuits à 45 000L en 2017 pour 18 800 nuits… C’est non négligeable ! On montre ainsi à l’équipe le résultat de nos efforts et c’est positif pour la planète donc c’est que du bon.

J’ai aussi sollicité l’Ademe sur le projet de linge écoresponsable avec l’éditeur de logiciels Betterfly Tourism, des blanchisseurs et des fabricants de produit lessive. Résultat : une moindre consommation d’eau et moins de séchage pour un linge fabriqué dans les Vosges, selon des techniques plus tracées de gestion des eaux polluantes. Et le linge reste agréable au toucher et dure plus longtemps.

Comment avez-vous vécu la crise sanitaire ?

Le centre-ville de Nantes a beaucoup souffert. Ça a été un peu « la misère » et c’était très stressant avec les questionnements sur l’ouverture ou non pendant les confinements. Nous, nous avons rouvert le 5 juillet 2020 puis fermé en octobre puis rouvert début mars 2021 pour préparer la saison d’été. Mais nos espoirs ont été vite douchés et nous avons fermé de nouveau fin avril. En 2020, nous avons enregistré une fréquentation de 52 % en juillet et août alors que nous sommes plutôt autour de 80 % grâce au Voyage à Nantes, avec beaucoup d’étrangers. Cette année, le mois de juillet a été mi-figue mi-raisin, avec un taux de remplissage de 51 %. Mais nous avons connu un gros sursaut ce mois d’août, avec 75 % de taux de remplissage, ce qui est très bien pour une année de pandémie. Je pense que c’est lié au VAN et notre emplacement proche des sites où se trouvent les œuvres majeures, Graslin, place Royale… Et puis nous figurons dans le catalogue du VAN, grâce à la chambre d’artiste réalisée par la Japonaise Makiko Furuichi. Nous bénéficions ainsi d’une communication précieuse, cela nous aide énormément. En revanche, nous aurions eu besoin d’embaucher trois personnes en intérim mais nous n’avons pas trouvé. Beaucoup de femmes de chambre ont été placées en congés par les agences… Donc nous avons énormément travaillé. Je n’étais plus à la direction, je courais partout mais ça se fait ! Je suis surtout rassurée par ce beau mois d’août et nous étions heureux de travailler comme ça. Tant que les gens sont là, on donne le maximum, le meilleur, on se reposera plus tard !

Avez-vous des problèmes de recrutement ?

Non, à part ce souci de recrutement en intérim en août, les gens restent chez nous. Nous avons une politique sociale qui intéresse le salarié. Nous avons pu verser des primes sur intéressement et une prime développement durable annuelle pour les efforts investis dans les écogestes. Nous nous sommes aussi adossés à un comité d’entreprise pour les TPE/PME, WiiSmile, avec des avantages sur la place de cinéma, des parcs d’attraction… Cela permet de fidéliser. C’est déjà compliqué de travailler la nuit et le week-end alors si en plus on est payé au Smic, ça n’est pas possible… On a retrouvé toute notre équipe après les confinements. Ça a été précieux pour préparer la saison.

J’ai pris régulièrement des nouvelles, sans en faire trop non plus, et je leur donnais les infos.

Dans quel état de santé économique se trouve l’hôtel ?

Nous avons bénéficié des subventions de l’État et contracté un PGE. Mais grâce à de grosses provisions, les années de 2015 à 2019 ayant été très bonnes, nous avons peu touché au PGE et avons demandé des délais de paiement à nos fournisseurs. Aujourd’hui, on repart nettement mais il ne faudrait pas un nouveau confinement. Notre bonne santé avant Covid nous a permis de passer la vague. Habituellement, on enregistre un CA d’1 M€ par an pour un taux d’occupation annuel moyen de 76 %. Cette année, on ne l’atteindra bien sûr pas avec les nombreux mois de fermeture. Je ne pense pas qu’on sera à l’équilibre. Et on se demande comment ça va se relancer en septembre, avec les habitudes de télétravail, les congrès et les salons non reprogrammés… Beaucoup d’interrogations subsistent dans un climat économique et social qui n’est quand même pas très bon. Des commerces souffrent en centre-ville, on espère que cela va finir par s’arranger et on garde tous un esprit positif.

 

  1. Deux autres établissements sont titulaires d’un certificat actif à ce jour en Loire-Atlantique : le Manoir de l’espérance à Corsept et Westotel Nantes Atlantique à La Chapelle-sur-Erdre.

 

http://www.amiralhotelnantes.com/index_fr.htm