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Yves-Olivier LENORMAND, Airbus Développement : « Les entreprises doivent ouvrir leurs chakras »

Délégué régional d’Airbus développement, responsable des relations extérieures d’Airbus Nantes et Saint-Nazaire, président du conseil de l’IUT de Nantes, président du Girpeh * Pays de la Loire… Difficile de ne pas croiser Yves-Olivier Lenormand dès qu’il est question d’innovation, d’insertion et de formation des jeunes et des personnes handicapées dans la région. Des sources d’engagements à chercher en partie dans son parcours, lui qui n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche.

Yves-Olivier LENORMAND Délégué régional d’Airbus Développement

Yves-Olivier LENORMAND, Délégué régional d’Airbus Développement © Benjamin Lachenal

Comment avez-vous rencontré le secteur de l’aéronautique ?

Tout à fait par hasard. L’année de mon bac, j’ai eu un accident de sport et je n’ai pas pu le passer dans des conditions normales. J’ai dû quitter le lycée, puis j’ai bossé en intérim et, tout en préparant le diplôme par le Cned, j’ai fait une multitude de boulots, de manœuvre, chez un plombier, de gardiennage, j’ai même vendu des pulls… Un jour, la société d’intérim m’a proposé une mission à l’Aérospatiale (premier constructeur aéronautique qui a pré-existé à Airbus NDLR) pour faire de la saisie. Ils mettaient en place un logiciel RH. C’était en 1989, les entreprises commençaient tout juste à se digitaliser. C’est ainsi que j’ai découvert les ressources humaines. J’ai passé et obtenu mon bac en candidat libre et on m’a proposé une embauche. J’ai d’abord dit non, je voulais faire des études et à l’époque il y avait peu de possibilités en alternance. On a cherché une formation la plus compatible avec une activité salariée, et c’était au Cnam. L’entreprise m’a signé un CDI et m’a payé mes cours du soir. C’était pas vraiment la fête, en plus du soir il y avait les cours le samedi… Je suis allé dans un premier temps jusqu’au DESA (diplôme supérieur appliqué en administration et gestion du personnel), de niveau Bac +4. En 1990, on m’a proposé un super poste chez Eurocopter, une division de l’Aérospatiale… Je m’occupais de tous les pré-recrutements des stagiaires, des alternants et des intérimaires, je voyageais, pour un jeune c’était bien… Après, il y a eu la guerre du Golfe, avec les problèmes d’emploi qui l’ont accompagnée, c’était compliqué. J’ai pris un poste très social, avec la mise en œuvre d’un plan d’adaptation de l’emploi, au sein de la cellule de reclassement, il n’y a pas eu de départ contraint. Ensuite, j’ai changé pour aller aux Mureaux à la division Espace et défense de l’Aérospatiale, je suis resté dix-huit mois sur un poste de juriste social, puis j’ai fait un « break ». Je suis parti au service militaire, que j’ai effectué sur un poste de journaliste pour l’armée de l’air. C’est un métier que je trouve très chouette, je me disais que peut-être j’approfondirai. L’armée a proposé de m’embaucher, mais j’ai refusé, j’avais envie de continuer mes études.

 

Vous êtes alors arrivé à Nantes… pour un long parcours chez Airbus

J’ai passé un DESS en droit social à l’université de Nantes, ensuite j’ai été embauché à Airbus pour bosser au service recrutement à Nantes. J’y suis resté quelques années, puis j’ai fait des RH de proximité en tant que juriste social, avant de prendre la responsabilité du service relation sociale, prévention des risques, etc. Ensuite je suis parti à Saint-Nazaire pendant deux ans, comme responsable emploi formation et compétences puis ce fut Toulouse, comme responsable emploi formation pour la France. J’étais itinérant, je voyageais beaucoup, c’était chouette, je mettais en place plein de dispositifs emploi, Airbus recrutait beaucoup. Mais mes enfants étaient petits et j’étais parti toute la semaine, ma famille était à Nantes, j’ai choisi de revenir m’y installer de façon plus stable. Il y a trois ans, j’ai quitté les RH pour prendre un double poste, celui de délégué régional d’Airbus Développement et responsable des relations extérieures.

J’ai de la chance, je fais un métier qui me plaît et je suis toujours dans la découverte.

Quel est le rôle exact d’Airbus développement ?

C’est une filiale qui n’est pas forcément la plus connue du groupe, on fait du développement économique, on est là pour soutenir la création d’emplois sur le territoire avec des actions de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), mais aussi pour accompagner l’innovation, en soutenant des start-up. Cette activité a commencé il y a une vingtaine d’années, quand la société a eu des difficultés économiques. La structure a été montée pour gérer les revitalisations sur le territoire. Quand vous êtes une entreprise de taille moyenne ou grande et que vous dégradez l’emploi, vous avez des pénalités et l’État vous demande de contribuer à en recréer. Très vite, Airbus est reparti, alors on s’est concentré sur l’accompagnement des entreprises qui créent de l’emploi et les start-up. J’ai de la chance, je fais un métier qui me plaît et je suis toujours dans la découverte. Quand je suis arrivé il y a trois ans, j’ai monté des partenariats avec les écoles que je connaissais déjà, notamment Centrale Nantes et l’IMT Atlantique, qui sont deux beaux incubateurs. Je suis dans les jurys et j’accompagne des start-up incubées ou qui l’ont été, dans les champs de l’industrie du futur, du digital et de l’intelligence artificielle, et à impact positif. Mais ma marque de fabrique, c’est d’accompagner des start-up qui sont dans des démarches RSE. J’ai monté par exemple un partenariat avec une association qui s’appelle IA for good.

Il faut toujours choisir, et j’ai trop de coups de cœur…

Ce sont des jeunes qui veulent changer le monde, c’est très chouette. Ils accompagnent des start-up partout en France. Parmi les dernières découvertes, il y a la pépite Génération zébrée, qui accompagne les jeunes dans leur orientation, ou Mobydis, qui propose des livres accessibles aux personnes dyslexiques, et qu’on va accompagner. Ou encore Gaspard, qui a breveté un coussin connecté anti-escarres… En fait, il faut toujours choisir, et j’ai trop de coups de cœur. Il y a aussi Smart macadam, une plateforme digitale pour les malades d’Alzheimer, créée par un malvoyant… Nous aidons aussi des start-up plus industrielles, comme Ecobot qui fait des cobots autonomes ou Alsim, qui fait des simulateurs de vols…

 

Yves-Olivier LENORMAND Délégué régional d’Airbus Développement

Yves-Olivier LENORMAND, Délégué régional d’Airbus Développement © Benjamin Lachenal

 

Comment se fait la sélection des projets ?

Les cinq délégués régionaux, plus le président d’Airbus développement se réunissent, chacun présente ses dossiers, c’est un choix collégial. Avant, j’en discute aussi avec les directeurs d’incubateurs, je bosse avec Atlanpole, la CCI… Je présente beaucoup de projets à impact positif, cela vient de la région Pays de la Loire où les entreprises sont souvent engagées, mais aussi de moi certainement … Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’avant de soutenir des projets, on soutient des dirigeants. Hier je rencontrais une start-up lancée par un médecin, il est en train de mettre au point une plateforme pour accompagner les personnes à la sortie de l’hôpital, raccourcir la durée d’hospitalisation, améliorer les soins… Parce que souvent les patients sont seuls quand ils sortent ; or plus le temps d’hospitalisation est court, plus on va faciliter la réinsertion… C’est passionnant. Certaines start-up n’ont pas besoin de prêts, mais d’un accompagnement, d’autres obtiennent un prêt qui peut aller jusqu’ à 50 000 €. Mon rôle est aussi d’essayer de favoriser l’accélération, la mise en relation, j’ai toujours fait ça, j’ai toujours été comme ça, et ce n’est pas toujours en lien directement avec Airbus. J’ai déjà appelé le CHU de Nantes après avoir rencontré le médecin hier. L’activité de sélection des start-up a été un peu mise en sommeil avec la crise, on n’a plus fait de prêt, l’idée était d’abord de sécuriser celles qu’on accompagnait. La situation était périlleuse pour tout le monde. On les a aidées en gelant les remboursements, pendant huit ou neuf mois. Avant la crise, nous accompagnions environ une vingtaine de start-up par an.

 

Vous avez aussi une autre casquette chez Airbus…

Parallèlement, je m’occupe aussi de toute la partie relation publique, c’est une bonne porte d’entrée avec les élus, les écoles… Cela va ensemble je trouve, avec Airbus j’accompagne l’innovation, je suis en lien avec les incubateurs, les entreprises, avec le rôle de relations publiques je suis en lien avec les institutionnels qui font du développement économique. J’aime bien aussi organiser des évènements. L’année dernière, on a monté le Startups & Innovation Day avec la Région. C’était plutôt un beau succès : j’ai embarqué pas mal d’entreprises, on a donné treize prix lors de cette journée, entre deux confinements ça faisait du bien. À la sortie de cet été, il y aura des subventions en plus. Je vais présenter certains dossiers à la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) pour qu’une aide supplémentaire, conditionnée à la création, soit versée, à raison de 50 % en prêt et 50 % en subvention.

 

Vous êtes également très engagé sur la question du handicap et globalement de l’insertion de personnes éloignées de l’emploi, ou en risque de l’être…

Je me suis toujours engagé sur le territoire. Tout le monde me demande : « mais pourquoi tu t’intéresses au handicap ou aux questions d’emplois des jeunes en difficulté ? » Cela vient de mes études d’une part, et d’autre part je suis moi-même issu d’un milieu modeste… Quand j’étais au Cnam à Paris, il y a eu un cours sur l’obligation d’emploi des personnes handicapées animé par Michel Fardeau, un professeur de médecine reconnu. J’ai trouvé ce thème passionnant, je suis allé le voir en lui disant « ce que vous faites est génial ». Il a créé la chaire Personnes handicapées et insertion sociale au Cnam Paris. Je lui ai dit que j’aimerais approfondir. J’ai suivi des formations en parallèle, j’ai passé du temps avec son équipe. Je me suis demandé comment je pourrais contribuer concrètement. Je me suis engagé dans l’associatif, puis le Cnam Paris m’a demandé de donner des cours, mais j’étais au service militaire, c’était trop loin. Quand je suis arrivé à Nantes, ils m’ont recontacté pour me demander de créer des enseignements au Cnam de Nantes. J’ai créé deux modules pour former les entreprises aux principales déficiences et à l’intégration en milieu professionnel. J’ai développé la filière RH. Avec des profs que j’avais eus à l’université de Nantes, on a monté un Bac +5 en RH, avec un enseignement sur le handicap. J’y suis resté une douzaine d’années, mais il fallait que je fasse autre chose. Le Medef 44 est alors venu me chercher sur la question du handicap. J’ai pris la présidence de la commission Handicap et emploi, qui continue… On organise des clubs handicaps et emploi tous les mois.

Au départ, cela n’avait rien à voir avec Airbus, mais c’est vrai que du coup j’y ai joué le rôle de booster sur ce thème, parce ça fait partie de mon ADN. Je n’ai pas un poste de responsable de mission handicap mais j’ai toujours fait cela en réalité. Quand j’étais au recrutement, j’ai monté des partenariats avec la Persogatière (établissement médico-social accueillant des personnes atteintes de surdité ou troubles du langage) par exemple… Il faut ouvrir les chakras des entreprises, Airbus était ouvert, il n’y a pas de souci, on a commencé à bouger les lignes sur le partenariat avec le secteur adapté et protégé. On a des gros partenariats dans cette région, avec l’Adapei (Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales) entre autres… C’est au titre du Medef que je suis entré au Girpeh (Groupement interprofessionnel régional de promotion de l’emploi et du handicap) Pays de la Loire, avant d’en prendre la présidence.

 

Votre engagement pour l’emploi concerne également les jeunes…

Quand l’État a lancé l’opération « Les entreprises s’engagent » il y a deux ans, j’ai été contacté par le ministère du Travail, qui voulait identifier un leader par territoire, issu de la société civile, avec plutôt un profil entreprise pour essayer d’en embarquer un maximum dans l’opération. Au départ j’ai refusé, parce qu’ils voulaient s’appuyer sur un seul leader et une seule association. Je voulais que ce soit collectif, et avec des organisations patronales si on voulait que ça marche. Cela a été accepté. Il y a donc le Medef, la CCI, le CJD (Centre des jeunes dirigeants), DRO (Dirigeants responsables de l’Ouest), l’U2P (Union des entreprises de proximité), et des asso et fondations… C’était une union spécifique aux Pays de la Loire, je ne pense pas que cela ait existé ailleurs sous cette forme, et ça a pulsé. On s’est dit « on ne va pas faire de blabla, mais du concret » : on a organisé des job dating, le premier avec des réfugiés, le deuxième avec des personnes handicapées, le troisième avec des personnes « sous-main de justice ». Le prochain aura lieu le 9 septembre au Piano’cktail de Bouguenais, pour les jeunes. On espère recevoir au moins 300 candidats. Je dis aux entreprises « il faut s’ouvrir et élargir le potentiel de recrutement, il faut ouvrir vos chakras »…

Ensuite on m’a demandé de lancer « Un jeune, une solution». On avait déjà, avant, avec notre collectif, initié « Urgence jeunes» et rédigé un manifeste pour l’emploi des jeunes. À l’occasion de la création de la Task Force pour l’aéronautique, on a aussi remobilisé les entreprises, en les incitant à prendre des alternants dans la filière et préparer le redémarrage pour éviter la casse. On a réinsisté en juin, parce qu’il y avait plus d’une centaine de jeunes apprentis sans employeur dans la filière. On aura les résultats à la rentrée. Si tout le monde en prenait deux ou trois, la question serait réglée. Espérons.

 

* Groupement interprofessionnel régional de promotion de l’emploi et du handicap