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Sophie Renner, présidente du groupe Vensys : « Innover est indispensable »

Depuis 2016, Sophie Renner est présidente du groupe Vensys, spécialisé dans la conception de systèmes électrohydraulique, robotique et hydromécanique pour les machines mobiles en agriculture et TP, principalement. Fille du capitaine d’industrie Jacques Audureau, elle veille à préserver l’ADN du groupe familial autour de deux valeurs : la formation des jeunes et l’innovation. Cette double stratégie est indispensable pour assurer d’un côté, la transmission des savoir-faire et, de l’autre, le développement des activités.

Sophie Renner, Vensys, Vendée

Sophie Renner, présidente du groupe Vensys. ©Benjamin Lachenal

Sophie Renner, vous êtes présidente du groupe Vensys. Quel est votre parcours ?

J’ai une formation d’expert-comptable, profession que j’ai exercée pendant sept ans. En 2005, je me rapproche du groupe familial en participant au conseil de surveillance, ce qui me permet de comprendre les métiers des différentes filiales. En 2007, je deviens directrice administrative et financière du groupe. En 2016, mon père, Jacques Audureau, prend officiellement sa retraite tout en continuant à s’impliquer dans les activités du Groupe via la présidence du comité de stratégie, fonction qu’il a exercée jusqu’à son décès il y a deux ans. Je deviens alors présidente du groupe Vensys.

Grand capitaine d’industrie, fondateur d’Hydrokit, votre père Jacques Audureau est décédé à l’automne 2021. Quelles valeurs a-t-il transmises au Groupe ?

Ce sont des valeurs humaines avant tout, car notre réussite passe par le collectif, le collaboratif. Mon père était très attaché à la cohésion d’équipe et défendait des valeurs de respect, d’humilité et de simplicité. Il cultivait avec ses collaborateurs le sentiment d’appartenance à l’entreprise et connaissait le prénom de chacun. Il voulait préserver cet esprit familial pour travailler en confiance sur le long terme, bien loin des modèles pilotés par des financiers. Passionné et charismatique, il avait la volonté de renforcer et transmettre nos savoir-faire. C’était un homme de conquête, il avait le désir constant d’entreprendre, d’innover et d’investir.

Si Vensys puise ses racines dans le monde agricole, quelles sont aujourd’hui ses spécialités ?

Nous sommes spécialisés dans la conception des systèmes électrohydraulique, robotique et hydromécanique pour les machines mobiles en agriculture et TP principalement, mais aussi pour d’autres marchés comme l’industrie, le maritime et la carrosserie. Nous intervenons auprès des constructeurs et concessionnaires et non auprès de l’utilisateur final. À leur demande, nous développons des solutions sur mesure pour améliorer la performance, le confort ou la sécurité des machines. Concrètement, nous intégrons ces différentes solutions en première monte ou en post-équipement. Ce dernier consiste à modifier des machines tout droit sorties de l’atelier du constructeur et à ajouter des technologies modernes pour faire correspondre le matériel aux besoins spécifiques des utilisateurs. Étude, fabrication, SAV et reconditionnement, nous sommes en capacité d’intervenir tout au long du cycle de vie d’une machine. Il y a une vraie complémentarité entre les différentes filiales du groupe. Hydrokit intervient ainsi sur la partie hydraulique, électrique ou électronique, In Situ sur la conception et la formation, HKTC sur la partie robotique, et Mecanokit sur les éléments mécano-soudés.

Vous pouvez nous donner un exemple ?

Nous assemblons différents composants pour assurer une fonction spéciale sur une machine. Cela se présente sous forme de kit. Nous avons par exemple développé un kit de nettoyage de roues du tracteur en sortie de champ pour éviter de mettre de la terre sur les routes et ainsi améliorer la sécurité des conducteurs. Pour le marché du TP, nous avons imaginé un kit de limiteur de mouvement d’un bras de pelle. Cette solution permet d’accéder à tous les chantiers, même ceux avec une contrainte de mouvement (plafond bas, ligne électrique…) afin, là encore, d’assurer la sécurité des conducteurs et opérateurs.

Jacques Audureau était un précurseur en matière d’innovation. Qu’est-ce qui l’animait ?

Son obsession était de satisfaire les besoins des clients. Cette exigence nous a logiquement conduits au fil du temps à innover et mieux suivre les évolutions technologiques. Mon père a été l’un des premiers à comprendre la nécessité d’innover pour assurer le développement de l’activité, tant sur les produits que dans les outils de production industrielle. Chez Serta, leader français des vérins hydrauliques cédé à des industriels en 2015, il avait ainsi mis en place la robotisation dès les années 1980. Alors, oui, c’était un précurseur en matière d’innovation, mais il disait aussi qu’il ne fallait pas être trop en avance non plus. Il savait à quel moment développer une nouvelle solution. C’est en ce sens qu’il était visionnaire : il innovait pour répondre à une demande bien identifiée du marché.

Vensys, Vendée, équipe

La cohésion d’équipe, une valeur forte du groupe Vensys. Ici, lors d’une journée convivialité sur le thème de Koh Lanta, organisée en 2002. ©Groupe Vensys

Quelle place occupe l’innovation aujourd’hui au sein du groupe ?

Depuis toujours, chaque filiale (Hydrokit, HKTC, Mecanokit, Cormiers, NDLR) a son propre bureau d’études. Au sein du groupe Vensys, en tout, 70 ingénieurs y travaillent. Leur rôle : concevoir et développer des solutions sur mesure pour répondre à une demande client. Ces bureaux d’études peuvent évidemment collaborer sur un même sujet car leurs compétences sont complémentaires.

En 2020, nous avons franchi une nouvelle étape en créant une cellule “experts solution” pour bien dissocier l’innovation du développement classique. À une époque où les différentes transitions sociétales et écologiques s’accélèrent, il est en effet indispensable d’innover et d’aller vite pour avoir une offre adaptée aux besoins de demain. Il en va de la pérennité du Groupe : si on n’innove pas, on meurt. Cette cellule assure donc une veille permanente sur les évolutions technologiques et les techniques de travail pour anticiper l’évolution de ces besoins. Elle s’appuie sur les remontées “terrain” des bureaux d’études et des commerciaux du groupe Vensys, ou encore sur des échanges avec les branches professionnelles, des pôles de compétitivité ou des acteurs du monde économique1.

Quelle part de votre budget y consacrez-vous ?

Jusqu’ici, il n’y avait pas de budget précis alloué. Les investissements liés à l’innovation évoluaient au fil de l’eau, en fonction des opportunités qui se présentaient et des enjeux de développement sur nos marchés. Depuis 2024, nous dédions une enveloppe budgétaire significative à l’innovation (montant non communiqué, NDLR). Son montant n’est pas calculé en fonction d’un pourcentage du chiffre d’affaires mais dépend des projets auxquels nous voulons consacrer du temps dans les années à venir. D’une année à l’autre, ce budget peut donc fluctuer de manière importante, en fonction des projets ciblés et de leur avancement. C’est là aussi toute la souplesse d’une entreprise familiale et la manifestation de notre volonté de nous inscrire comme un acteur majeur de la transition énergétique.

Vensys, E-Néo, Vendée, rétrofit

En 2023, le groupe Vensys a repris la start-up vendéenne E-Néo, spécialisée dans le rétrofit poids lourds. Ici, un tracteur rétrofité pour l’entreprise de TP Charier. ©Groupe Vensys

À quel enjeu entendez-vous répondre actuellement ?

À un enjeu environnemental. En 2021, nous avons mis en place une stratégie de décarbonation, par conviction mais aussi pour répondre aux objectifs de la loi Climat et Résilience qui vise à atteindre la neutralité carbone de la France d’ici 2050. Le BTP n’échappe pas à la règle et depuis plus d’un an, on entend d’ailleurs beaucoup parler des chantiers urbains “zéro émission” avec un matériel plus responsable. La première phase de notre stratégie de décarbonation consiste logiquement à développer une offre autour de l’électrification. La deuxième étape introduit l’hydrogène, qui permet de prolonger l’autonomie des batteries.

Où en êtes-vous ?

Nous venons de sortir notre premier prototype de mini-pelle rétrofitée2 de 2,7 tonnes, très maniable et qui va partout. Les entreprises et loueurs TP sont notre cible. Elle devrait être commercialisée courant 2024.

En juillet dernier, vous avez repris la start-up vendéenne E-Néo, spécialisée dans le rétrofit des poids lourds. Dans quel but ?

L’objectif était d’accélérer notre feuille de route sur la décarbonation. Mon père avait rencontré Jérémy Cantin il y a quelques années, lorsqu’il était garagiste et qu’il avait rétrofité sa première voiture, une Coccinelle. Nous n’étions pas sur les mêmes marchés : lui était sur le “on-road”, nous le “off-road”3. À l’époque, nous n’avions pas vu comment rapprocher nos métiers autour du rétrofit.

Lorsqu’au printemps dernier, nous avons appris la situation difficile dans laquelle se trouvait la start-up, nous avons contacté Jérémy Cantin pour savoir comment il allait et ce qu’il comptait faire avec E-Néo. Au départ, je n’avais aucune idée derrière la tête. Au fil des échanges, nous avons pris conscience des synergies qu’il y avait entre nos deux structures – tous deux travaillions sur la mobilité lourde – mais aussi de l’importance de préserver le savoir-faire d’E-Néo sur le territoire vendéen. Comme mon père, Jérémy a l’esprit d’innovation et c’est un précurseur. En 2020, il avait en effet participé à la rédaction du texte réglementaire français sur la conversion des moteurs thermiques en électriques. Avant cette date, on ne parlait pas de rétrofit. Ce sont donc toutes nos valeurs communes qui m’ont fait réagir. On ne pouvait pas laisser partir ces innovations.

Ma première idée était de monter un pool d’investisseurs vendéens pour aider E-Néo à redresser la barre. Mais en raison du montant à investir et du temps imparti, il a fallu y renoncer.

Malgré tout, l’expérience de Jérémy nous intéressait, d’autant plus que nous avions prévu de passer à la phase deux de notre stratégie de décarbonation : l’hydrogène. Alors nous avons repris les actifs de la société à la barre du tribunal : son savoir-faire, ses brevets, ses stocks, sa marque et Jérémy, son fondateur et dernier collaborateur en place.

Comment avez-vous intégré le savoir-faire de la start-up au fonctionnement du groupe Vensys ?

Nous ne sommes pas une multinationale avec une structure lourde, mais une PME familiale agile et flexible. Cela nous permet d’intégrer plus facilement des nouvelles compétences, même si tout ne se fait pas d’un claquement de doigts. Nous avons recruté Jérémy en tant qu’expert solutions en charge des sujets d’innovation pour le groupe.

Selon vous, innover est-il un axe clé de la réindustrialisation française ? Et a-t-on suffisamment l’esprit d’innovation en France ?

Non, innover n’est pas un axe clé de la réindustrialisation dans la mesure où la France, et tout particulièrement notre région Pays de la Loire, est déjà très innovante. Nous n’avons pas à rougir de notre niveau de compétence et des talents que nous fabriquons.

Là où le bât blesse, c’est notre capacité à garder tous ces talents sur le territoire. Nous les laissons partir car notre pays n’est pas assez compétitif : nos coûts de production sont trop élevés, notre fonctionnement administratif et juridique est particulièrement lourd. Or, la réindustrialisation passe par plus de compétitivité. Il faudrait davantage de lois qui favorisent le développement et la compétitivité des entreprises pour changer la donne.

La formation des jeunes via l’alternance fait partie de votre ADN. Pourquoi et comment ?

L’alternance est un axe stratégique fort de notre développement depuis 40 ans. Mon père n’a eu de cesse de transmettre son savoir-faire aux jeunes. Il avait fait le constat que les écoles ne formaient pas précisément aux métiers de l’hydraulique, car ce sont des métiers très techniques. L’alternance nous permet d’assurer une partie de nos besoins en recrutement. Aujourd’hui, les alternants représentent 8 % de nos effectifs et environ 15 % de nos employés sont issus de l’alternance. Du CAP à l’ingénieur, ils sont présents dans l’ensemble de nos services. En parallèle, nous menons un travail de longue haleine avec des établissements ligériens pour faire connaître nos métiers auprès des jeunes, ce qui nous a permis au fil des ans d’acquérir une certaine notoriété auprès de ce public.

Désormais, notre problématique est de réussir à fidéliser les apprentis que nous avons formés. La perspective d’un CDI ne suffit plus. Ils n’ont plus forcément envie de faire carrière dans une seule entreprise. Alors, pour les convaincre de rester chez nous, nous mettons en avant la qualité de vie au travail, nos actions en faveur de l’environnement, l’intérêt des missions, les possibilités de formation et les perspectives d’évolution au sein du Groupe.

La Fondation Jacques-Audureau a été créée en septembre 2023. Quelle est sa mission ?

Sa mission est de poursuivre son engagement en faveur de l’apprentissage et de soutenir plus largement l’accès à l’éducation et à la formation de publics jeunes ou adultes en difficulté, afin de favoriser à terme leur insertion ou réinsertion professionnelle. Hébergée au sein de la Fondation de France, elle agit sur l’ensemble du territoire national grâce à des fonds (montant non communiqué, NDLR) provenant de notre holding Sofiau. Elle est pilotée par ma sœur Annabel Audureau.

Comment fonctionne-t-elle ?

Un comité d’engagement se réunit deux fois par an pour valider les projets à financer. Pour l’instant, il s’agit de partenariats noués avec des établissements et associations qui facilitent l’accès des jeunes à la formation. Nous venons par exemple de signer une convention de trois ans avec l’Icam Ouest, école d’ingénieurs basée à La Roche-sur-Yon, pour financer le cursus de plusieurs étudiants. La Fondation Jacques-Audureau peut également imaginer soutenir des jeunes qui la solliciteraient directement.

Quel regard portez-vous sur la place de l’apprentissage en France et plus largement la formation des jeunes ?

En soutenant financièrement l’embauche d’apprentis depuis 20204, je pense que l’État a enfin compris qu’il fallait redonner ses lettres de noblesse à l’alternance et que c’était une voie d’excellence. Mais on a perdu beaucoup de temps. Le groupe Vensys, lui, n’a pas attendu ces aides pour comprendre l’enjeu majeur de l’apprentissage pour nos entreprises.

Après, est-ce que les formations sont parfaitement adaptées aux besoins des entreprises ? Non, pas encore. Les entreprises doivent se rapprocher des établissements afin de ramener du concret aux formations théoriques et redonner ainsi du sens aux apprentissages. L’idée serait par exemple d’assurer des sessions de cours et de travaux pratiques au sein des entreprises. Apprendre en faisant permet de mieux comprendre les choses, j’en suis convaincue.

Y aura-t-il un jour une nouvelle génération Audureau à la tête du groupe Vensys ? Comment envisagez-vous la transmission ?

Vensys a vocation à rester un actionnariat majoritairement familial5. Mais je ne sais pas encore si mes filles reprendront un jour le pilotage opérationnel du groupe. À 18 et 22 ans, elles sont encore jeunes. Je ne les obligerai jamais à prendre ma suite. Elles le feront seulement si elles en ont envie.

1 ID4MOBILITY, Solutions & CO, ADEME, BPI

2 Le rétrofit consiste à convertir des moteurs thermiques en électriques.

3 On-road : machine/véhicule qui va sur la route. Off-road: machine/véhicule circulant hors route.

4 Subventions liées à la formation par alternance.

5 Les actionnaires de Vensys sont les deux filles et la femme de Jacques Audureau, ses deux sœurs ainsi que les membres du directoire (DG, DAF, directeur technique).

Le groupe Vensys

En France

  • Hydrokit : solutions hydroélectrique et électrique sur mesure.
  • HKTC : robotisation et IA. Sa filiale, Cormiers : traitement d’images pour le guidage des machines.
  • In Situ : étude et recherche-développement dans le domaine de l’hydraulique + formations pour les constructeurs.
  • Mecanokit : customisation (modification) d’équipements TP mécano-soudés.

Trois filiales en Europe

  • Rau Serta (Allemagne)
  • Hydrokit Iberica (Espagne)
  • Hydrokit UK

En chiffres

  • 309 collaborateurs
  • 60 M€ de CA