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« La persévérance est la clé de la réussite »

Il a parcouru des milliers de kilomètres dans les endroits les plus hostiles du monde. Ultramarathonien de l’extrême, Malek Boukerchi était l’invité d’une soirée sur le thème de l’audace, organisée récemment par le réseau Initiative Pays de la Loire, au Puy du Fou. Également consultant en management coopératif et anthropologue, l'expert défend les valeurs d’engagement, de persévérance et d’abnégation. Objectif : se surpasser.

Malek Boukerchi

Ultra-marathonien de l'extrême, philosophe et anthropologue, Malek Boukerchi a animé une conférence inspirante il y a quelques semaines au Puy du Fou. © Alexandrine Douet - IJ

Vous faites partie de la communauté des ultramarathoniens de l’extrême. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre discipline ?

Un ultramarathon dépasse les 42 voire les 100 kilomètres, deux distances considérées comme officielles sur le plan des compétitions internationales. Et sur un ultramarathon de l’extrême, on s’aligne sur des distances allant de 400 km à 2 000 km. En totale autonomie hydrique et alimentaire, on court dans les endroits les plus fascinants et les plus insécurisés du monde, à savoir les déserts. Et alors que sur un marathon classique, on peut compter jusqu’à 50 000 coureurs, nous sommes généralement une dizaine seulement à prendre le départ de ces compétitions, avec pour nous repérer uniquement une carte et une boussole, mais pas de téléphone satellitaire. Le sujet fait d’ailleurs débat chez les ultramarathoniens tandis qu’aujourd’hui les skippers qui font le tour du monde sont multi-équipés. Évidemment, cette déconnexion totale rend nos traversées plus compliquées, voire dangereuses.

Vivez-vous de cette pratique ?

Non. Je m’entraîne comme un professionnel, mais je suis un amateur éclairé. Nous sommes seulement entre 700 et 750 à pratiquer cette discipline à travers le monde, dont une poignée de professionnels qui sont souvent d’anciens militaires capables d’enchaîner jusqu’à trois épreuves chaque année. Moi, je suis à la tête d’un cabinet spécialisé dans le management coopératif, anthropologue et écrivain. Je vis à Paris et j’interviens partout en France et à l’étranger. L’ultramarathon est une passion dévorante qui me permet d’alimenter mes travaux de recherche, et d’avoir une parole incarnée lors de mes conférences et mes cours à l’université. Je m’appuie sur des exemples concrets pour insister sur les valeurs d’engagement, d’abnégation ou encore de persévérance, des qualités que l’on développe lors de la pratique de l’ultra-marathon, et qui me semblent essentielles dans la vie personnelle et professionnelle.

Comment avez-vous découvert cette discipline ?

Fils d’immigré berbère de Kabylie, j’ai grandi dans une petite ville d’Alsace où je jouais au football. Progressivement, j’ai basculé du ballon rond vers le 10 km, puis le marathon qui m’a permis de rencontrer des ultramarathoniens. Ces derniers m’ont convaincu que j’étais fait pour parcourir de grandes distances dans des endroits où personne ne va habituellement. En 2003, je suis parti pour la première fois à l’assaut d’un désert, celui du Rajasthan. J’ai alors parcouru 333 km en moins de quatre jours. Ce périple a été marqué par de grosses frayeurs. Je me suis perdu et ai été enlevé par des trafiquants de drogue à la frontière pakistanaise. Ils m’ont finalement relâché après avoir compris que j’étais coureur. Cet épisode m’a fait comprendre que malgré la préparation, on ne peut pas tout maîtriser. J’ai aussi rencontré des gens extraordinaires qui m’ont offert leur hospitalité, sans rien demander en retour. Paradoxalement, l’ultra-marathon m’a appris à demander de l’aide. Au quotidien, dans le monde du travail notamment, on nous incite à être indépendants, alors qu’il faut selon moi, tendre vers l’interdépendance.

En novembre 2013, vous avez cette fois décidé d’affronter le grand froid en participant au Marathon des glaces en Antarctique. Comment vous êtes-vous préparé ?

Trois ans de préparation ont été nécessaires. Selon moi, la préparation est l’antichambre de l’excellence. C’est seulement quand on est bien préparé que l’on peut improviser. Il faut comprendre qu’au Pôle Sud, il n’y a quasiment aucune vie, contrairement au cercle Arctique. La température peut descendre jusqu’à moins 50 voire 100 degrés. Pour un être humain, le grand froid est plus dangereux que les fortes chaleurs en raison du différentiel thermique entre la température du corps et celle de l’extérieur. Il a fallu trouver des solutions techniques innovantes, sur le plan vestimentaire, mais aussi pour manger et pour boire. J’ai ainsi travaillé notamment avec le groupe Decathlon pour lequel j’ai pu tester des équipements en conditions réelles.

© Malek Boukerchi

Comment avez-vous vécu cette épreuve ?

Divisée en deux parties, la course de 142 km s’est déroulée sur deux jours. Nous étions d’abord 50 coureurs représentant 40 pays, à prendre le départ du 42 km. Ensuite, seulement cinq sur le 100 km. J’étais le seul coureur amateur. Cette course est très exigeante et les conditions extrêmement violentes. Je suis fier d’avoir passé la ligne d’arrivée et heureux d’avoir découvert les paysages fascinants de l’Antarctique, mais je ne me relancerai pas dans une telle expédition. Peut-être qu’un jour je ferai un périple dans le grand Nord, mais pour l’heure, ce n’est pas au programme.

L’an dernier, vous avez été l’initiateur du projet baptisé « Les 42 ». De quoi s’agit-il précisément ?

C’est probablement mon défi le plus fou pour lequel j’ai embarqué 42 jeunes de 18 à 28 ans de différentes régions, sans diplôme, sans emploi et éloignés du sport, avec en ligne de mire le mythique marathon d’Athènes, l’un des plus difficiles au monde avec ses 800 m de dénivelé positif. Mon objectif était de coacher ces jeunes, de leur redonner confiance en eux, en leur rappelant que la persévérance est la clé de la réussite. Pour ce projet, j’ai réussi à réunir 50 000 € en faisant appel à une quinzaine de dirigeants du Grand Est, de la région Auvergne-Rhône-Alpes ou encore de région parisienne. En novembre dernier, je suis parti en Grèce accompagné de neuf chefs d’entreprise qui ont eux aussi participé au marathon. Et l’aventure ne s’arrête pas là puisque tous les jeunes ont aujourd’hui trouvé du travail, notamment au sein de certaines entreprises partenaires du projet. Le marathon est devenu leur diplôme. Après le succès de l’opération, nous allons lancer prochainement une deuxième édition.