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Louis Dunoyer, DG de La Perle des Dieux : « Nos convictions sont le cœur de notre stratégie »

La Perle des Dieux, ce sont avant tout des boîtes de sardines reconnaissables entre toutes, habillées par l'inspiration graphique d’artistes peintres. Cette marque du groupe Gendreau implantée à Saint-Gilles-Croix-de-Vie a su se réinventer, en redonnant ses lettres de noblesse à un produit populaire. Son directeur général, Louis Dunoyer, revient sur l’histoire, l’évolution et les défis à venir de la PME qu’il dirige depuis bientôt six ans.

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Louis Dunoyer est le directeur général de La Perle des Dieux depuis bientôt six ans. ©Benjamin Lachenal

Comment votre chemin a-t-il croisé celui de La Perle des Dieux ?

Je suis arrivé ici un peu par hasard. Je cherchais à reprendre une entreprise dans le patrimoine vivant, là où l’on trouve à la fois un savoir-faire et une fragilité.

J’ai passé une partie de ma carrière à travailler pour de grands groupes, notamment étrangers, et à un moment donné dans ces carrières, on ne comprend plus trop ce que l’on fait. Quitte à travailler beaucoup, je ne voulais pas dire à mes enfants dans 15 ans que j’avais utilisé mon énergie et mes compétences uniquement pour ces grands groupes internationaux.

Parallèlement, je voyais plein de PME ayant des savoir-faire incroyables, mais qui vivotaient un peu, n’ayant pas la logique du développement et du faire savoir. Je me suis alors intéressé au label Entreprise du patrimoine vivant et, dans ce cadre, j’ai rencontré par hasard Philippe Gendreau (PDG du groupe Gendreau, NDLR) qui cherchait quelqu’un pour gérer et développer la marque.

Quelle est l’histoire de La Perle des Dieux ?

Elle est née en 2005 sur la base de deux marques de la conserverie de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, qui existaient depuis 1887, “La Perle des Océans“ et “Les Dieux“, et par la volonté de la famille Gendreau, qui avait rachetée la conserverie en 1906.

À Saint-Gilles-Croix-de-Vie, il y avait, à la fin du XIXe siècle, une dizaine de conserveries. Le port de pêche était le cœur du pays de. Saint-Gilles : il nourrissait tout le monde, la vie tournait autour de l’arrivée de la sardine. Sur tout le littoral français, on comptait aussi plus d’une centaine de conserveries. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une petite dizaine.

C’est la période des années 1970 à 2000, période du mass market, qui a marqué leur déclin. Il fallait de la boîte de conserve pas chère pour alimenter des hypermarchés de plus en plus grands. C’était l’époque de la quantité au détriment de la qualité, marquant le mouvement de délocalisation des entreprises… Une grosse partie de la consommation française de la sardine ou du thon étant aujourd’hui produite au Maroc ou aux Seychelles par d’énormes groupes. Quand on voit la difficulté qu’on a aujourd’hui à relocaliser des filières et a contrario la facilité avec laquelle on a à l’époque envoyé nos savoir-faire à l’étranger…

Comment l’entreprise a-t-elle traversé cette époque ?

La famille Gendreau s’est adaptée en faisant des produits pour la grande distribution, jusqu’à la fin des années 1990. Et là, on a commencé à revenir en arrière, les mentalités ont évolué et on a recommencé à faire attention à ce que l’on mettait dans nos assiettes.

Et à un moment donné, la famille Gendreau a eu la volonté de remettre en avant un savoir-faire local, un produit non transformé, sans additif… C’est alors qu’a été créée, en 2005, La Perle des Dieux. Avec une vocation simple : faire découvrir au plus de gens possible le bon et le beau.

Qu’est-ce qui a été fait à ce moment-là ?

Avec les procédés industriels, on surgelait la sardine pour pouvoir la travailler toute l’année. Il n’y avait plus de logique de saison, de frais. Or, quand on la surgèle, on lui fait perdre ses qualités nutritives et son goût.

La Perle des Dieux, boutique, sardines millésimées

La Perle des Dieux propose ses sardines millésimées sur 15 années. ©S. Bourcier

Le cahier des charges a donc été entièrement revu pour faire un travail de très grande qualité. Première contrainte : restreindre la production sur trois mois, moment où l’on peut pêcher et avoir du poisson frais. La sardine est en effet un poisson migrateur, qui arrive sur nos côtes début avril. Mais là où elle est la plus savoureuse c’est entre août et octobre, lorsque son taux de matière grasse a augmenté.

Ensuite, seconde contrainte, quand la sardine arrive au port, on a 24h pour la travailler afin d’avoir un produit ultra-frais. Chaque année, ce sont entre 80 et 100 saisonniers qu’on essaie de recruter ici pour la période de la sardine. Et c’est d’ailleurs devenu le gros sujet pour nous depuis le Covid. Avant, cela nous occupait mais on y arrivait et on avait des équipes motivées. Désormais, c’est un calvaire pour deux raisons. D’abord, les gens n’ont plus le même rapport à la chose bien faite. Autrefois, les sardinières avaient la passion du produit, du territoire. Il y avait une fierté, un sentiment d’appartenance. On a perdu ça. On a aussi plus de mal à garder les “titulaires“, ceux qui sont là à l’année et qui forment les saisonniers. Ensuite, l’autre sujet, c’est que l’on est au bord de l’océan. Ce qui veut dire qu’on est coupés de la moitié de la zone de chalandise autour de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Sans oublier le problème de l’immobilier : les gens ne peuvent plus se loger, c’est devenu trop cher. Ceux qui viennent habitent donc plus loin, mais avec la flambée des prix de l’essence, ils ne veulent plus se déplacer trop loin de chez eux non plus.

Malgré tout, il y a des points positifs : on a la chance d’avoir une belle marque et le fait d’avoir des magasins avec une marque qui s’exprime, c’est un atout. On a des personnes qui nous adressent une candidature spontanée pour travailler dans les magasins. On voit que la stratégie de mettre au cœur nos convictions, le savoir-faire, la qualité, nos engagements aussi, tout cela commence à porter ses fruits.

Justement, quel travail avez-vous mené depuis votre arrivée ?

Je suis arrivé à un moment de flottement pour l’entreprise. Ce que j’ai apporté, c’est donc de la structuration, en mettant les bonnes personnes aux bons endroits, et un projet. On a recruté des collaborateurs qui avaient envie d’épouser le projet que l’on menait. On a construit une équipe marketing, puis on a passé une année à faire un programme de Clean label[1]. On a également réduit le plus possible notre utilisation du plastique.

Et puis on a digitalisé : en cinq ans, j’en suis à ma deuxième refonte de site internet, on a mis en place un ERP et on s’est mis aux réseaux sociaux.

Enfin, on a rénové nos boutiques tout en continuant à monter en gamme sur nos produits.

Quel était votre projet ?

Il était très clair : accroître la notoriété de la marque sur l’ensemble du territoire français, en développant les magasins. Parce que la meilleure vitrine que l’on puisse avoir, c’est une vendeuse capable de restituer notre ADN et notre savoir-faire au consommateur. On fait beaucoup de dégustations car c’est la meilleure façon de faire connaître nos produits et ce que l’on constate, c’est que par ce biais les gens redécouvrent ce qu’est la sardine de très bonne qualité. On espère qu’ainsi ils changeront une partie de leurs habitudes alimentaires. Ce qu’on leur dit, c’est : « Mangez moins, mais mieux et ainsi vous participez à la pérennité d’un patrimoine qui est fragile ».

Comment votre réseau de distribution est-il structuré ?

70 % de notre chiffre d’affaires est réalisé dans nos 18 magasins implantés dans l’Ouest, 10 % sur notre site internet, 10 % dans 1 500 épiceries fines partenaires et 10 % dans des épiceries fines à l’export (Allemagne, Belgique, Suisse).

Comme pour nos vendeurs, on est dans une logique de transmission de notre savoir-faire avec les épiceries fines partenaires. On choisit celles qui ont une bonne capacité de mise en valeur du produit et qui ont envie de faire connaître cette petite marque locale qui a une histoire à raconter. D’ailleurs, la plupart nous ont découverts en faisant du tourisme !

Comment l’idée est-elle venue de faire de la sardine un produit millésimé ?

On a constaté qu’une bonne sardine, c’est un produit qui se bonifie avec le temps. Elle devient plus onctueuse, se confit dans son huile et l’arrête centrale et les petits arrêtes, qui parfois peuvent être déplaisantes, disparaissent au goût. Si vous avez un très bon savoir-faire, vous pouvez faire un produit qui vieillit. Et il prend de la valeur aussi.

Comment cela ?

On est la seule conserverie capable de proposer des boîtes sur 15 années différentes, avec des visuels différents, donc avec une logique de collection pour certains. Il y a trois ans, on a fait venir des chefs et on leur a fait déguster 100 % des millésimes sur les 15 dernières années. On a ainsi constaté des saveurs différentes et on a mis des notes.

Vous évoquez le design graphique de vos boîtes. C’est un élément de différenciation important ?

Il y a toujours eu du marketing autour de la conserve, c’est un excellent support de communication ! Dans notre musée l’Atelier de la sardine, que l’on a ouvert en 2018, on l’explique d’ailleurs. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à ses débuts, la conserve était un produit pour les aristocrates qui faisaient d’ailleurs marquer leurs initiales sur les boîtes. On n’a donc rien inventé de ce point de vue-là… À la création de la marque, on a voulu que ce savoir-faire soit mis dans un bel écrin. Et donc depuis 2005 on travaille avec des artistes peintres. On cherche un univers coloré car on est dans un produit plaisir !

Pourquoi avoir ouvert un musée ?

La logique est toujours la même : faire connaître la Perle des Dieux. Beaucoup nous demandaient s’il était possible de visiter la conserverie, mais c’est compliqué avec les normes sanitaires. Donc l’idée a été de proposer un endroit où l’on voit le maximum de choses.

 Quels sont vos enjeux ?

Ce n’est pas évident que dans 20, 30 ou 50 ans, on arrive à maintenir tout cela. Parce que le métier de la pêche devient difficile.

Par ailleurs, on a un autre sujet qui s’appelle le changement climatique, qui modifie les courants marins et potentiellement aussi les zones de pêche. Les sardines se nourrissent de plancton. Or ce plancton est en train d’évoluer avec l’acidité des océans. La pêche de la sardine se fait entre Noirmoutier, l’île d’Yeu et Saint-Gilles-Croix-de-Vie, un petit espace de 40 km au large des côtes. Et on ne sait pas si, dans les années à venir, il y aura encore du poisson. 2021 a été une année catastrophique par exemple : on n’a pêché que 50 % de ce que l’on pêchait habituellement.

Et à plus court terme ?

Ce que l’on voudrait, c’est qu’un jour le consommateur soit capable de connaître l’impact global d’une boîte La Perle des Dieux et d’une boîte fabriquée aux Seychelles, afin d’avoir en main les clés pour choisir. On est une petite PME artisanale, mais on voit quand même 140 000 personnes dans nos 18 magasins chaque année. Si on peut avoir cet impact chaque année, je dirais qu’à mon échelle une partie du job aura été fait. Mais pour ça, il faut que l’on puisse produire des chiffres clairs. Ça va être long, l’idée étant de se défaire des lobbies et de faire les choses avec vérité.

Quid de votre plan de développement ?

On veut continuer de développer la notoriété de la marque dans des logiques assez similaires à ce que l’on a fait jusqu’à maintenant. On voudrait ouvrir cinq à six magasins supplémentaires, sans s’éloigner trop de notre territoire d’expression qu’est la côte atlantique. En revanche, on peut travailler avec des partenaires pour le reste du territoire, donc continuer de développer le segment des épiceries fines. On veut aussi poursuivre notre travail sur le digital.

Dernier objectif : nous diversifier en nous basant sur les mêmes critères qui nous guident pour la sardine. Prenez une petite entreprise de confitures locales qui travaille super bien mais qui est engluée dans son artisanat : l’idée serait de l’associer à notre démarche, via un partenariat ou une prise de participation au capital si c’est nécessaire. Ça pourrait passer par un concept de boutique plus élargi autour de produits d’exception, dans une logique locale et plutôt dans les villes, où les clients attendent une offre plus diversifiée. J’adorerais avoir un concept d’épicerie fine agile, capable d’adapter son offre à sa localisation !

 

[1] La démarche de Clean label vise à apporter plus de naturalité dans les produits alimentaires, notamment en réduisant/supprimant les allergènes et additifs, en remplaçant les ingrédients ultra transformés ou artificiels par des ingrédients naturels et en réduisant et clarifiant la liste des ingrédients.

La Perle des Dieux en chiffres

Année de création : 2005
L’une des 6 sociétés du groupe Gendreau
Labellisée Entreprise du patrimoine vivant en 2017
45 salariés
Chiffre d’affaires : 7 M€ en 2022