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« L’économie va redémarrer différemment »

Bpifrance a été mobilisée dès les premiers jours de la crise aux côtés des réseaux bancaires via le plan de soutien d’urgence aux entreprises. Dispositif phare, le Prêt garanti par l’État (PGE) n’est toutefois pas le seul dans l’éventail des solutions mis à leur disposition, aujourd’hui, mais aussi demain. Entretien avec Mathieu Défresne, directeur régional de la banque publique d’investissement.

Comment avez-vous vécu le début de la crise ?

Comme tout le monde, il a fallu que l’on s’organise en interne en mettant les équipes en télétravail, sachant que nous sommes 60 en Pays de la Loire.

On a commencé par mettre en place un numéro vert. Nous avons reçu des milliers d’appels au niveau régional. Il s’agissait d’un côté de chefs d’entreprise que l’on connaissait, mais il y a eu aussi énormément d’appels de dirigeants qu’on ne connaissait pas. Tous étaient déboussolés, inquiets. Cela a été très dense, tant en termes de charge de travail que de charge émotionnelle, avec des chefs d’entreprise qui devait fermer avec zéro euro de chiffre d’affaires, sans visibilité et sans perspective, au moment où les dispositifs d’aides nationaux n’étaient pas encore sortis. Cela a été assez violent. 

Quelles dispositions avez-vous prises ?

Dès le premier jour du confinement, nous avons mis en place des dispositifs. On a d’abord gelé nos échéances de remboursement et réactivé les outils de crise qu’on avait mis en place lors de la crise de 2008-2009, car on a vite compris qu’il allait falloir réinjecter de la trésorerie dans les entreprises. Dans une période où le PGE n’était pas encore sorti, on a ainsi lancé en urgence le prêt Atout, un crédit de trésorerie de cinq ans, avec un an de différé, sans garantie, pouvant aller jusqu’à 5 M€ pour les PME et plusieurs dizaines de millions d’euros pour les ETI. Entre la mi-mars et fin avril, on a accordé, à travers ce prêt, 135 M€ à l’échelle des Pays de la Loire.

Puis, très vite, la Région est entrée en action et on a proposé le prêt Rebond à taux zéro de sept ans, avec un différé de deux ans, sans garantie. C’est un outil incitatif et extrêmement efficace en ce moment. À fin avril, on a d’ailleurs accordé la quasi-totalité de l’enveloppe, qui était de 32 M€. 

En tout, 170 M€ de financements ont donc été accordés aux entreprises. Mais le plus important n’est pas là : encore faut-il les décaisser et c’est bien là qu’est l’urgence avec les échéances de paiement de salaires en fin de mois. Depuis quelques mois, on expérimentait la signature électronique… On a sauté dans le grand bain et je dois dire que cela fonctionne très bien : entre la décision d’octroi de crédit, la signa­ture électronique et le décaissement, il peut s’écouler une journée seulement. Au-delà, la durée moyenne entre la demande de crédit et le décaissement est de cinq jours. Ça vaut pour Bpifrance et dans la plupart des dossiers PGE. Il y a une vraie mobilisation de la profession.

Le Prêt garanti par l’État est le dispositif phare des mesures prises pour soutenir les entreprises dans cette crise. Quel bilan faites-vous à ce jour ?

Petit à petit les critères d’éligibilité se sont clarifiés. Désormais, on a une vision assez précise du champ d’application du PGE. Et en cinq jours l’entreprise obtient un accord, voire un décaissement. Cela signifie qu’on a simplifié le dispositif au maximum, tant dans la construction de l’offre que dans le process. 

C’est un outil plutôt intelligent qui correspond aussi bien aux besoins des TPE que des grosses ETI avec ses deux options : soit en remboursant au bout d’un an pour les entreprises qui pourront repartir assez vite et alors cela ne coûte quasiment rien tout en apportant la souplesse nécessaire. Soit, pour celles qui devront patienter un peu plus, en le passant en amortissable sur cinq ans.

Quid des entreprises qui ne peuvent en bénéficier ?

En moyenne, on enregistre 3% de refus de PGE et dans ces 3%, 2% sont liés à des critères d’inéligibilité. De par notre positionnement, j’ai une vision un peu panoramique à l’échelle des Pays de la Loire et je suis bluffé par la réactivité des acteurs et le niveau de risque que l’on n’aurait jamais pris il y a trois mois. On est dans une période où nos propres collaborateurs ne sont pas forcément disponibles comme on le souhaiterait, mais il y a une prise de conscience collective de la gravité de cette crise et tout le monde se serre les coudes pour la traverser, s’organisant en task force. Les résultats sont là : on décide de débloquer des milliards d’euros de crédits et on les met en place en quelques jours. C’est inédit !

Pour autant, il restait le sujet des entreprises en difficulté. Depuis la semaine dernière, l’État a souhaité un élargissement du PGE pour les entreprises en situation critique avant la crise, soit parce qu’elles avaient un niveau de fonds propres inférieur au capital social, voire négatif, soit pour les entreprises en plan de continuation.

Et pour les entreprises innovantes ?

C’est un sujet dont on parle relativement peu et qui est assez critique. Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour ces entreprises. Certaines étaient en phase de levée de fonds, mais celles-ci ont été suspendues, au moins temporairement. On a donc mis en place des outils de fonds propres pour faire le pont, en partant du principe que les investisseurs joueront le jeu au redémarrage de l’économie. 

Nous avons un PGE spécifique à l’innovation pour les entreprises qui n’ont pas de chiffre d’affaires ou qui n’ont pas encore atteint le point mort. On part du principe qu’on doit permettre à ces entreprises, qui ont parfois une activité de R&D assez soutenue, qui n’a pas encore porté ses fruits commercialement et financièrement, de continuer leur R&D pour être opérationnelles au moment du redémarrage. 

De quelle manière appréhendez-vous la période qui s’ouvre ?

On travaille sur la gestion de cette crise et en même temps on essaie de prendre de la hauteur pour réfléchir à la relance, sachant qu’il y a des secteurs beaucoup plus impactés que d’autres. On réfléchit notamment à lancer un plan tourisme avec l’État et la Région. C’est un secteur très important en termes de poids économique.

On sait qu’après le redémarrage, il faudra que des outils nouveaux soient proposés, des prêts encore plus « patients » et des outils de fonds propres pour renforcer la structure financière des entreprises. On y réfléchit et on communiquera dessus dans les jours qui viennent, sans doute durant la première quinzaine de mai.

Comment réagissent les entreprises avec lesquelles vous dialoguez ?

On voit qu’il y a des sujets qui ne seront plus traités de la même manière. La semaine dernière, par exemple, Bpifrance a sollicité des chefs d’entreprise de l’agroalimentaire et du transport à l’échelle de l’Ouest de la France. On marchait un peu sur des œufs par peur de les importuner dans une période comme celle-là, mais au contraire, nous avons eu des retours très favorables. Certains dans l’agro­alimentaire nous ont dit qu’ils n’avaient jamais fait autant de volume, mais qu’ils avaient eu de très fortes craintes de ne plus avoir de matière première, soit parce que leurs produits étaient faits totalement ou partiellement en Chine, soit parce qu’ils avaient un fournisseur qui était fermé. Je pense que dans les mois et années qui viennent, les entreprises travailleront différemment pour mutualiser les risques et être un peu plus indépendantes. Elles chercheront à avoir des fournisseurs plus proches et plus réactifs afin de gommer le risque d’une pompe qui se désamorce. On parle beaucoup de réindustrialisation en ce moment, mais, en tout cas, il y a des pans de l’économie qui devront être mieux maîtrisés.

Autre sujet intéressant : avant la crise sanitaire, on était dans une grande dynamique verte. D’ailleurs, en interne, on travaillait avec l’Ademe sur la Banque du climat, l’idée étant de permettre à toutes les entreprises de s’engager dans une démarche environnementale, de trouver le conseil, l’accompagnement et le financement nécessaires. On s’est permis de glisser ça dans nos discussions avec les chefs d’entreprise, au risque d’être à côté de la plaque… 
Au contraire, ils nous ont dit que c’était le moment de se poser ces questions. Pour eux, le redémarrage doit se faire en intégrant ces contraintes. C’était flagrant et quasi unanime. Et le consommateur regardera aussi ce point-là qu’on soit en BtoB ou en BtoC. 

Je suis convaincu que l’économie va redémarrer différemment. Après, la question c’est comment nous, en tant que banque publique, nous pouvons accompagner les entreprises à monter une marche. On travaille sur des outils de financement « verts » pour permettre aux entreprises d’investir dans des process ou des produits qui vont faire baisser leur empreinte carbone. Au moment du redémarrage on aura des dispositifs financiers, des prêts pour les accompagner dans leurs investissements, industriels ou matériels, liés au développement durable.

Avez-vous été contraints de remettre en question vos priorités d’avant la crise ?

Avant la crise, nos leitmotivs c’étaient la French Fab*, le soutien au développement durable, l’accompagnement de l’inno­vation, l’internationalisation qui permet de mutua­liser les risques : on passait notre temps à promouvoir ces sujets-là. Pour l’après-crise, c’est simple : on va garder les mêmes fondamentaux. On s’aperçoit en effet que, demain, ces sujets seront encore plus importants. Il y aura des choix à faire en termes de stratégie, d’évolution du marché, de rebond et les entreprises auront besoin d’être accompagnées et pas uniquement sur le plan financier. Nous serons là.

*Le label French Fab a été créé en 2017 pour soutenir l’industrie française. Plus d’infos : Lafrenchfab.fr  

Crédit photo : Benjamin Lachenal