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Franck Quaireau, président de Bailly-Quaireau : « La logistique pour se différencier »

Spécialisée dans le négoce de quincaillerie, menuiserie intérieure et extérieure, Bailly-Quaireau est une entreprise familiale centenaire basée à Mâché, en Vendée. Avec 100 000 références au catalogue et 5 000 clients à satisfaire, Franck Quaireau, son président, a fait de la logistique la colonne vertébrale du développement de sa PME. Dans un secteur ultra-concurrentiel, préparer et livrer ses commandes en moins de 24 heures, dans toute la France, est un facteur clé de pérennité.

©Benjamin Lachenal- IJ

Quel est le métier de Bailly-Quaireau aujourd’hui ?

Bailly-Quaireau est une entreprise du négoce du bâtiment spécialisée en quincaillerie, menuiserie intérieure et extérieure. Nous sommes le seul négociant BtoB en France à avoir un panel d’articles aussi large. Nos commerciaux rayonnent sur cinq départements : la Vendée, la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire, les Deux-Sèvres et le nord de la Charente-Maritime. Mais nous livrons aussi dans toute la France métropolitaine et les Dom-Tom.

Qui sont vos clients ?

Nous avons 5 000 clients. Nous réalisons 97 % de notre chiffre d’affaires auprès des professionnels : 70 % auprès des artisans, 15 % auprès des industriels, 12 % avec les collectivités et seulement 3 % auprès des particuliers. Notre client historique, c’est le menuisier bois : il représente 65 % de notre clientèle et nous sommes capables de lui fournir tout ce dont il a besoin, à l’exception de l’isolation.

Bailly-Quaireau a plus de 130 ans. Quelle est son histoire ?

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La quincaillerie Bailly, la boutique du centre-ville challandais de Bailly Quaireau. ©Bailly-Quaireau-Loïs-Gendre

L’entreprise a été fondée en 1892 à Challans par la famille Bailly. On y vendait des vis mais aussi de la vaisselle. Pendant 100 ans, trois générations se sont succédées. En 1994, faute de repreneur familial, André Bailly a vendu sa quincaillerie à mon père, Michel Quaireau. Ce dernier était alors le bras droit de Louis-Claude Roux, l’autre grand quincaillier historique de la ville. Son patron venait de décéder et l’entreprise allait sans doute se faire reprendre par une grosse enseigne1. Mon père, qui approchait de la quarantaine, a préféré partir et racheter une quincaillerie indépendante.

Bailly était alors une petite PME de 23 salariés. La clientèle était essentiellement composée d’artisans bois et de quelques industriels, basés le long de la côte vendéenne jusqu’à La Roche-sur-Yon et un peu dans l’Ouest. C’était une institution avec un fort savoir-faire. André Bailly était très proche de ses salariés. Mon père et lui partageaient de belles valeurs humaines. De leur rencontre est née une belle amitié.

Comment votre père a-t-il ensuite développé l’entreprise ?

Il y a 30 ans, la quincaillerie était une entreprise vieillissante, avec un potentiel sous-exploité. Mon père lui a redonné une dynamique commerciale. La plus grosse impulsion fut, en 2002, de déménager la quincaillerie dans une zone artisanale de Challans. Nous avons gardé la boutique historique du centre-ville pour le particulier. 2016 a été le second tournant majeur de l’entreprise en déménageant notre siège social à Mâché à des fins logistiques principalement, tout en gardant nos deux sites challandais.

Quel est votre parcours ?

Après un diplôme en commerce obtenu en 1997, j’ai rejoint l’entreprise familiale pour faire la saison. L’expérience m’a plu et j’ai décidé de rester. La passion de mon père pour la quincaillerie est devenue la mienne.

Vous avez toujours su que vous vouliez reprendre l’entreprise ?

Oui, dès le départ. Je n’ai jamais eu le moindre doute à ce sujet. J’ai vu son potentiel. Je suis tombé amoureux de l’entreprise, de son environnement. Mon père m’a alors dit que je devrais absolument connaître et me former aux métiers de l’entreprise. Chauffeur livreur, logistique, comptabilité, marketing, commercial : j’ai tout testé. Trois ans plus tard, je prenais la responsabilité de la branche panneaux et menuiserie, qui représentait alors 15 % du chiffre d’affaires. Dix ans plus tard, grâce à un travail d’équipe, on était passés à 45 %. Ce fort développement m’a rendu légitime pour reprendre un jour l’entreprise.

Que voulez-vous dire exactement ?

Si je revendique avec fierté d’être “le fils de” mon père, je refuse tous les passe-droits. Ma place de dirigeant, je suis allé la chercher. Quand vous êtes le fils du patron, celui-ci est plus exigeant avec vous qu’avec n’importe quel autre salarié. Je lui en suis très reconnaissant. Car c’est grâce à son exigence que je suis devenu directeur commercial en 2010. Depuis février 2020, je suis président. Mon père, lui, est à la retraite même s’il est officiellement directeur général, une fonction avant tout honorifique.

Pour les 130 ans de l’entreprise, vous avez rénové la boutique historique de Challans. Pourquoi ?

Cette boutique, ce sont nos racines. C’est un patrimoine, une institution challandaise qu’il fallait préserver. Des quincailleries d’autrefois comme celle-ci, aussi belles, avec des étagères et escaliers en bois, il n’en existe plus. Certes, c’est un gros investissement, 800 000 € au total. Mais si nous faisions tomber ce bâtiment, nous nous mettions à dos tous les habitants.

La boutique a rouvert ses portes à l’été 2023, après 18 mois de travaux. Anciennement « Bailly-Quaireau centre-ville », nous l’avons rebaptisée « La quincaillerie Bailly », en hommage aux fondateurs. Elle s’adresse plutôt à une clientèle de particuliers.

Tout a été refait et restauré à l’ancienne. Sur les 600 m², nous avons gardé le cœur du magasin, une centaine de mètres carrés environ. Le reste est devenu un immeuble d’habitation. Nous sommes en train de réinstaller de vieux outils pour raconter l’histoire de cette boutique qui, d’une certaine façon, a retrouvé sa vocation d’origine. Autrefois, on y trouvait de tout. Aujourd’hui, c’est à la fois une quincaillerie et une droguerie, où l’on peut faire affûter ses couteaux ou acheter de la décoration. Parmi les visiteurs, il y a autant de curieux que d’acheteurs.

La logistique occupe une place essentielle dans votre stratégie de développement. Laquelle et pourquoi ?

Dans un secteur aussi concurrentiel que le négoce en quincaillerie,  il faut savoir se différencier : c’est primordial. La logistique contribue à assurer la pérennité de l’entreprise. D’autant que nous gérons un catalogue de 100 000 références.

Pour correspondre à chaque habitude et besoins de nos clients, nous avons opté pour une logistique agile et multicanale. Concrètement, nous sommes capables de prendre une commande le soir à 17h30 pour la livrer le lendemain à Strasbourg. Quels que soient la quantité, le délai et le lieu de livraison, nous nous adaptons à toutes les demandes, sans que cela change le fonctionnement de notre côté. Notre force, c’est notre réactivité, y compris vers les Dom-Tom où les colis arrivent chez nos clients à J+3.

Le premier étage de notre stratégie logistique, c’est notre logiciel ERP. C’est en quelque sorte le cerveau de l’entreprise. Il nous permet de piloter au quotidien nos différents métiers (approvisionnement, marketing, livraison) avec souplesse et en levant toutes les contraintes.

Cette logistique s’appuie aussi sur deux entrepôts. Celui de Fontenay-le-Comte2 dédié à la menuiserie et à la livraison sur chantier. Et celui de Mâché. Jusqu’en 2016, ce dépôt et notre siège social se trouvaient à Challans. Dans le cadre de la transmission de l’entreprise, nous avons pris la décision d’investir dans un nouveau site, plus moderne. Il se trouve au bord de la quatre-voies Challans – La Roche-sur-Yon, un emplacement stratégique, à la fois visible et très accessible pour les transporteurs.

En quincaillerie, en conservant la même superficie au sol (3 000 m²), nous stockons déjà 30 % de marchandises en plus et nous avons la capacité, si besoin, de stocker jusqu’à sept fois plus qu’auparavant. D’abord, parce que nous stockons plus haut, jusqu’à dix mètres, contre huit précédemment. Ensuite, parce que nous avons investi dans un logiciel WMS pour optimiser la gestion des flux et réduire le temps de préparation des commandes pour l’ensemble de nos références : nous sommes un des seuls quincaillers du grand Ouest à en avoir un. Dans le futur, nous aurons la possibilité de renforcer la capacité de stockage Quincaillerie en ajoutant d’autres automates de préparation. Quant à l’activité Panneaux, notre surface de stockage est de 2 500 m² contre 6 000 m² auparavant. Pour autant, notre robot de préparation nous a permis de doubler notre capacité de stockage.

Quel est le principe du logiciel WMS ?

Le logiciel optimise les flux de préparation de commandes grâce à une sorte d’inventaire permanent du stock. Tout au long de la journée, un algorithme calcule la rotation des articles, c’est-à-dire la fréquence à laquelle ils sont commandés, et les place ensuite selon leur taille et leur volume à divers endroits. C’est pourquoi tout article est systématiquement mesuré et pesé avant d’être stocké.

Cette logique d’optimisation des flux implique qu’un produit n’est jamais stocké au même endroit. C’est un stockage dynamique. Il peut même être stocké en différents points pour que chaque préparateur puisse le trouver le plus rapidement possible sur son chemin, sans faire d’allers-retours inutiles dans les allées. Cette logistique permet de préparer plusieurs commandes à la fois. Grâce à ce logiciel WMS, nous avons considérablement optimisé notre temps de préparation puisque nous avons divisé le nombre de pas des magasiniers par sept par rapport à l’ancien entrepôt.

La deuxième révolution sur l’entrepôt de Mâché, c’est d’avoir investi 1,5 M€ dans un distributeur automatique de panneaux (une de nos activités), pour gagner, là encore, du temps.

Autre particularité logistique : vous disposez de votre propre flotte de camions. Pourquoi ?

Sur les 400 colis envoyés chaque jour à travers toute la France, 150 sont transportés par nos propres camions, une flotte composée de six poids lourds. Il s’agit de gros volumes distribués dans un rayon de 130 km. Le reste est géré par des sous-traitants. Ce choix nous permet de maintenir un certain niveau de prix par rapport à nos concurrents.

En 2015, vous avez lancé le site Referencebatiment.com. Quelle est sa vocation ?

À l’origine, l’objectif était d’aider nos clients BtoB à passer leurs commandes. Nous disposons d’un grand nombre de références dont la liste et le prix augmentent régulièrement. Avoir un magasin virtuel nous permet d’être à jour en permanence alors que le catalogue papier, lui, est vite obsolète. On peut aussi faire des promotions plus facilement, mais aussi développer notre clientèle hexagonale. Très vite, nous nous sommes également rendu compte du potentiel BtoC de ce site et nous l’avons ouvert aux particuliers. Les pros restent notre cible principale et disposent de tarifs préférentiels, avec des remises qui ne sont pas appliquées au grand public.

Comment s’articule votre stratégie commerciale omnicanale ?

Aujourd’hui, le e-commerce représente 10 % de notre CA. Les ventes magasins, elles, contribuent à 16 % de notre CA. L’artisan vient y chercher un large choix de produits immédiatement disponibles, mais aussi un conseil et la possibilité de voir le produit en vrai, dans nos salles d’exposition, accessibles aussi aux particuliers, clients de nos clients artisans. Le reste du CA (74 %), ce sont les commandes prises par nos 27 technico-commerciaux sur le terrain et les ventes par téléphone. Le téléphone, c’est plus de 500 commandes réalisées par jour. Nos horaires sont adaptés à ceux des artisans, de 7h30 à 18h, non-stop. Le pic d’activité a lieu entre 16h et 17h30 pour une livraison le lendemain : 25 % de nos ventes ont lieu sur ce créneau-là. Le client a toujours le même commercial au téléphone. Celui-ci connaît parfaitement son fonctionnement, ses contraintes et peut ainsi plus facilement anticiper ses besoins. C’est un atout majeur.

Quel est votre regard sur le made in France et la réindustrialisation ?

Chez Bailly-Quaireau, nous faisons très attention aux choix de nos fournisseurs. La majorité d’entre eux sont français (60 % pour l’activité quincaillerie) ou européens (allemands, italiens et espagnols). Nous privilégions autant que possible le made in France, voire le made in Vendée. Ainsi, 90 % des menuiseries extérieures que nous vendons sont fabriquées à moins de 100 km d’ici. Sur un produit comme les vis, c’est plus compliqué car la France n’en fabrique plus. Idem pour les serrures car il n’y a plus qu’un seul fabricant en France.

Pour moi, lorsqu’on parle de réindustrialiser la France, on a juste 30 ans de retard. L’État n’a pas suffisamment soutenu l’investissement industriel. Résultat, on a perdu nos fourneaux, qui fabriquaient l’acier, matière première essentielle en quincaillerie, et de nombreux savoir-faire. Dans certains domaines, très techniques comme l’électroportatif (une visseuse par exemple), la France ne pourra jamais rattraper son retard. Et puis le coût de production reste un frein énorme à la réindustrialisation.

Quels sont les autres enjeux de votre secteur ?

Nos clients artisans perdent en technicité : ils fabriquent de moins en moins et deviennent des poseurs qui achètent des produits finis. Pour nous, cela implique deux choses. D’abord, développer notre offre de produits prêts à la pose, et sur ce point, nous sommes en retard. Et ensuite, investir massivement dans la formation de nos commerciaux pour maintenir un fort niveau de connaissance produit afin d’offrir des conseils techniques adaptés.

Autre défi à relever : la baisse de fidélité des clients. D’un simple clic, ils peuvent trouver un produit au meilleur prix à l’autre bout de la France. La concurrence s’est élargie et nos marges ont baissé d’environ 7 à 8 % en 20 ans : c’est énorme. On essaie de compenser cette perte en nouant des partenariats avec nos fournisseurs afin de garantir un volume minimum de commandes ou en offrant toujours plus de services à nos clients.

La crise économique frappe de plein fouet le secteur du bâtiment. Quelles sont les répercussions sur votre activité ?

Face à cette crise économique que nous avons vu venir, ou plutôt ce ralentissement économique, il était évident que nous devions élargir notre portefeuille, sans attendre. Il y a un an, j’ai donc décidé de recruter des commerciaux spécialisés. Leurs missions : aller chercher de nouveaux clients professionnels et développer le volume d’affaires de ceux avec qui, jusqu’ici, nous travaillions peu. Et même si le dernier trimestre 2023 s’est révélé compliqué avec des commandes en légère baisse, je pense qu’on est train de récolter les fruits de cette stratégie. Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que nous avons la chance d’avoir une majorité de clients qui travaillent sur la côte où les projets immobiliers restent dynamiques et orientés haut de gamme.

Nous restons optimistes pour cette année. Les taux de crédit stagnent, voire baissent. Les banques rouvrent des dossiers. L’inflation a sérieusement ralenti. Plus de stabilité devrait remettre du baume au cœur, à condition que l’État aide à l’investissement des entreprises et des particuliers.

Quels sont vos projets ?

Notre gros projet du moment, c’est le salon Bailly Bat, un salon du bâtiment que nous organisons les 13 et 14 juin à notre siège de Mâché. 130 de nos fournisseurs partenaires y exposeront leurs produits et leurs nouveautés.

1 200 entreprises y sont attendues, uniquement sur invitation : des clients que nous voulons fidéliser et des prospects, dans un rayon de 130 km, que nous voulons séduire. Comme dans une foire, ils pourront bénéficier de meilleurs prix sur les commandes passées lors du salon, assister à des conférences ou bénéficier de formations. C’est un événement business, mais aussi une grande fête, avec différentes animations.

Bailly-Quaireau en chiffres

  • 30 M€ de CA en 2023
  • 137 salariés
  • 4 agences commerciales : Challans, La Roche-sur-Yon, Carquefou, Île de La Réunion
  • 2 entrepôts logistiques en Vendée : Mâché et Fontenay-le-Comte
  • 35 000 références en stock sur 100 000 références gérées par an
  • 600 fournisseurs dont 150 partenaires réguliers
  • 5 000 comptes clients