L’existence même du principe d’une responsabilité pénale d’un auteur indirect d’une infraction place le chef d’entreprise dans une position particulière. En tant que premier décideur dans une collectivité de travail et chargé d’obligations particulières de prudence, les conséquences des manquements de ses salariés peuvent lui être reprochées dans les conditions prévues par le Code pénal (Article 121-3 Al. 3).
Les infractions concernées sont pléthore, particulièrement dans le domaine de la santé et de la sécurité des salariés. Ce champ de la responsabilité pénale “classique” du dirigeant s’accompagne de domaines bien plus vastes et en constante évolution comme celui des infractions en matière de droit de l’environnement, protection des données personnelles, respect des règles de concurrence, marchés publics…
Corrélativement, le chef d’entreprise personne physique reste chargé, selon une jurisprudence constante, de « veiller personnellement et à tout moment au respect de la règlementation en vigueur »…
À défaut de disposer du don d’ubiquité, la pratique a créé la délégation de pouvoirs permettant de confier à la personne la plus proche du terrain la capacité de prendre les mesures nécessaires au respect de la règlementation en lieu et place du chef d’entreprise.
La délégation de pouvoirs permet ainsi au chef d’entreprise, et tant qu’il ne participe pas personnellement à la réalisation de l’infraction, de s’exonérer de la responsabilité pénale qui pèse par principe sur lui au profit d’une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires qui aura à charge au quotidien et en prise directe d’assurer le respect de la règlementation.
L’acte juridique de déléguer apparaît, à bien des égards, indispensable pour préserver le dirigeant d’une responsabilité pénale. En effet et lorsqu’il est titulaire d’une obligation particulière de sécurité (ce qui est quasi-systématique en matière de santé et sécurité au travail), le chef d’entreprise qui ne délègue pas ses pouvoirs contribue à la réalisation du risque justifiant une responsabilité personnelle, ce que ne manque pas de souligner le juge au terme d’une jurisprudence constante de la chambre criminelle.
La pénalisation croissante du droit de l’entreprise nous invite donc à pointer les caractéristiques essentielles de ce dispositif de préservation du dirigeant qui, en individu averti, renvoie la prise de décision à l’échelon le plus pertinent.
Qui peut être le délégataire et à quel échelon ?
Le délégataire est nécessairement une personne sur laquelle le chef d’entreprise (le délégant) dispose d’un lien d’autorité direct, que ce lien découle d’un contrat de travail (subordination directe) ou de l’organisation juridique d’un groupe (autorité du président d’une société-mère). Le délégataire peut ensuite, s’il y est autorisé, subdéléguer ses pouvoirs et ce, jusqu’à l’échelon idoine.
Il est important de souligner que la chaîne de délégations ne pourra être valable que si le délégant initial possède bien les pouvoirs délégués, ceux-ci ne pouvant découler de son seul titre.
L’identification des chaînes de délégation constitue ainsi un préalable et l’étape la plus importante car elle conditionne la stabilité de l’ensemble de l’édifice. Également, ce travail contribue à démontrer le respect par l’employeur de la mise en œuvre d’une organisation et de moyens adaptés.
Quels sont les domaines de la délégation ?
Le dirigeant peut déléguer l’ensemble des pouvoirs qu’il détient en cette qualité et les responsabilités afférentes.
En contrepartie de cette délégation, le chef d’entreprise s’interdit toute intervention dans le champ qui relève désormais de la responsabilité du délégataire, sans quoi il retire toute effectivité au dispositif et redevient personnellement responsable.
La délégation n’est pas nécessairement un acte écrit, pour autant qu’elle puisse être démontrée en pratique. L’écrit démontre assurément l’existence d’une réflexion d’organisation en amont et un comportement diligent de l’employeur et la preuve d’une volonté sincère et concrète de mise en place d’une délégation.
Il faut enfin déterminer avec précision le domaine de responsabilité délégué (par exemple, délégation pour le respect des règles de sécurité prévues par le Code du travail, respect de la règlementation afférente à la définition et au suivi du temps de travail…).
Toute imprécision entraîne, de fait, le risque de voir la délégation être annulée.
L’écrit jouant, dès lors, un rôle probatoire significatif, le travail rédactionnel de cet acte juridique est capital pour sécuriser la validité et l’effectivité de celui-ci.
De quels pouvoirs doit disposer le délégataire ?
Selon une jurisprudence constante, la délégation effective des pouvoirs et de la responsabilité est subordonnée à ce que le délégataire soit pourvu de l’autorité, la compétence et les moyens nécessaires.
Ces trois attributs réunis supposent que dans les faits, le délégataire soit titulaire des pouvoirs dont disposerait le chef d’entreprise, c’est-à-dire celui de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements, ce qui peut se traduire par le fait de pouvoir initier une procédure disciplinaire, laquelle démontre alors l’effectivité du pouvoir d’autorité conféré. Naturellement, il doit maîtriser la règlementation dont le respect lui est confié et disposer des moyens nécessaires, notamment sur le plan financier mais également matériel.
Force est de constater que nombreux sont les dirigeants qui, aujourd’hui, animés par la volonté de sécuriser leur situation personnelle et plus largement de responsabiliser leurs équipes, engagent la réflexion et le processus de mise en œuvre des délégations. Ainsi, le chef d’entreprise fixe un objectif de “saine organisation” tendant à la mise en place d’un espace de sécurité où chaque acteur est conscient des conséquences de ses actions.
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