Le rush de Noël approche à grands pas dans les boutiques Guerlais. Comment vous organisez-vous face à ce pic d’activité ?
En réalité, nous préparons Noël pratiquement toute l’année. Les créations de la collection des fêtes sont élaborées dès juin. Ça nous laisse le temps de planifier toute la production ainsi que la partie packaging, qui est gérée par mon épouse. Pour la partie chocolats, la production commence dès octobre et dure jusqu’aux fêtes. Pour les pâtisseries, on établit un planning avec la production quotidienne, à laquelle on ajoute la partie fêtes de fin d’année de fin novembre à fin décembre.
Dans cette perspective de forte activité, on renforce bien évidemment les équipes. Nous avons la chance de pouvoir compter sur une équipe solide et de bénéficier d’une image positive auprès des candidats. Mais il faut néanmoins reconnaître qu’actuellement, c’est un peu plus compliqué de recruter qu’il y a quelques années.
Chaque année pour les fêtes, vous sortez une nouvelle collection de créations. Vous pouvez nous présenter celle de cette année ?
Comme c’est l’année des 25 ans de l’entreprise (fêtés en mars dernier), on a voulu marquer le coup avec un thème retro, « Noël au manoir », en référence au manoir de la Châtaigneraie que l’on a repris en mai dernier à Sucé-sur-Erdre. C’est donc ce thème qui est décliné au sein de notre calendrier de l’avent, nos bûches, nos entremets… Celui de Noël est un trompe-l’œil façon jouet en bois, et notre gâteau du Nouvel An, un gramophone, toujours dans l’esprit baroque.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elles sont assez larges. Ça peut être des voyages, un parfum, un goût, un souvenir… Par exemple cette année, les travaux de rénovation et décoration que l’on a effectués à la Châtaigneraie nous ont donné l’idée de faire quelque chose autour de la thématique du manoir pour Noël. C’était également un moyen de donner de la visibilité au projet de reprise.
Ce manoir, qui a ouvert en juin dernier, abrite crêperie, salon de thé, espace conférence et événementiel… C’est une volonté de diversifier vos activités ?
Non mais plutôt un nouveau challenge. Si j’ai repris le manoir, c’est avant tout par amour du lieu, que je connais depuis que je suis tout gamin. Quand je passais régulièrement devant, je me disais que c’était un lieu sympa et qu’il y avait quelque chose à faire. Néanmoins, j’ai hésité à le reprendre car c’est un métier totalement différent du nôtre.
Après réflexion, je me suis dit « si tu ne le fais pas, tu vas le regretter ». J’ai donc décidé d’y aller et de conserver une identité autour de la galette de blé noir, par souvenir de ma maman qui tenait une crêperie à Sucé-sur-Erdre.
On a une carte qui change toutes les semaines le midi. Trois entrées sont au menu, mais aussi trois plats, dont une galette et une viande. L’après-midi, le manoir devient un salon de thé où l’on sert nos pâtisseries et chocolats, auxquels on ajoute des crêpes et des gaufres. J’aime pouvoir toucher à ce côté salé que je ne travaillais pas jusqu’à présent.
Comment élaborez-vous vos nouvelles recettes ?
Quand on rentre dans un processus de création, il faut savoir laisser libre cours à son imagination et mettre de côté les contraintes. Puis, petit à petit on resserre pour arriver au produit final. Tout ce processus, c’est essentiel de le faire en équipe car on réfléchit mieux à plusieurs. On commence par déterminer ensemble une thématique, dont je donne souvent l’impulsion. Une fois qu’elle est actée, on réunit autour de la table tous les membres de l’équipe R&D et le chef de production pour tracer les grandes lignes de nos prochaines créations. Puis, on passe à la phase d’essais, montages et dégustations.
Quelle est votre marque de fabrique ?
Je suis intransigeant avec la qualité du produit, des matières premières jusqu’au produit fini.
Au-delà du choix rigoureux des matières premières, c’est avant tout la passion qui nous anime ici. Je mets également un point d’honneur à sortir des créations qui ont des visuels réalistes. L’avantage du chocolat, c’est qu’il se prête parfaitement à l’exercice.
Et votre philosophie de travail ?
Je suis un adepte du 100 % fait maison. Nous sommes artisans, donc quand nos clients viennent dans nos boutiques, ils ont le droit d’exiger des produits faits intégralement chez nous. Ma philosophie, c’est aussi de faire participer au maximum les collaborateurs, de manière à les rendre heureux au travail. Cela passe par des locaux agréables, du matériel de qualité, le fait de toucher une large diversité de produits et de participer au processus de création des nouvelles collections.
« Au-delà du choix rigoureux des matières premières, c’est avant tout la passion qui nous anime ici. Je mets également un point d’honneur à sortir des créations qui ont des visuels réalistes. L’avantage du chocolat, c’est qu’il se prête parfaitement à l’exercice. »
Revisiter les classiques de l’enfance pour les remettre au goût du jour fait également partie de votre identité culinaire. Vous avez un rapport particulier avec cette période de la vie ?
Effectivement ! J’ai eu une enfance plutôt agréable et heureuse à Sucé-sur-Erdre et j’ai toujours voulu m’installer dans la région nantaise. Si on parle du Petit beurre que j’ai revisité, c’est effectivement un souvenir d’enfance. En rentrant chaque soir de l’école, j’avais l’habitude de manger ce gâteau avec un carré de chocolat. Quand j’ai voulu le travailler, je ne savais pas si j’allais le traiter façon biscuit ou chocolat. Finalement, j’ai opté pour le chocolat, mais avec un côté noisettes et praliné à l’intérieur. Le tout décliné au chocolat au lait, noir et blond. C’est donc un trompe-l’œil du Petit beurre en chocolat.
Comment rester au top quand on fait partie des meilleurs chocolatiers pâtissiers français ?
Il faut avant tout garder son cap. Et ne pas hésiter à se remettre en question régulièrement pour toujours rester à la pointe et à l’écoute de ses clients. Cela implique de ne pas tricher et d’être soi-même.
Après, le juge de paix reste le client. Donc si vous faites des produits, il faut qu’ils plaisent à un maximum de clients. Je fais des gâteaux que j’aime manger. Mais l’idée, c’est avant tout de faire plaisir aux autres. Si on ne se fait plaisir qu’à soi, ça n’a aucun intérêt. Il faut impérativement faire quelque chose de bon et qui donne envie d’en reprendre.
« Quand je leur fais goûter, c’est un moment de partage, d’échanges et d’émotions très intense. Car dans les plantations, la plupart des ramasseurs n’ont jamais mangé de chocolat fait à partir de leurs fèves. »
Quelle relation entretenez-vous avec vos fournisseurs, notamment les producteurs de fèves ?
Je vais les rencontrer sur place, dans les plantations, depuis bien longtemps. Mais encore plus depuis 2017, date à partir de laquelle nous avons décidé de transformer les fèves de cacao directement au sein de notre laboratoire. Auparavant, nous achetions des masses (1 ) de cacao en France.
Aller dans les plantations me permet d’être au plus près des planteurs, de discuter avec eux, de découvrir la qualité des cacaos que l’on peut trouver sur place et de connaître leurs problématiques… C’est un moyen de bien comprendre ces différents terroirs, mais aussi de montrer aux producteurs ce que l’on fait de leurs fèves. Car quand je leur rends visite, je voyage systématiquement avec une glacière remplie de tablettes de chocolat. C’est le produit le plus simple à transporter et c’est aussi le produit le plus proche de leur cacao d’origine. Quand je leur fais goûter, c’est un moment de partage, d’échanges et d’émotions très intense. Car dans les plantations, la plupart des ramasseurs n’ont jamais mangé de chocolat fait à partir de leurs fèves. Il ne faut pas oublier qu’on travaille le même produit avec passion, eux en début de chaîne, nous en bout. Le fait d’aller sur place nous permet de percevoir les choses différemment.
Au quotidien, êtes-vous tributaire du cours du cacao ?
Le cacao, c’est un produit comme le café ou le blé qui est vendu en bourse. Sa cote fluctue d’un jour à l’autre. Personnellement, j’ai fait le choix de faire appel à des sourceurs de cacao qui ont pour mission d’aller trouver les pépites. Ils vont directement dans les plantations chercher les fèves de meilleure qualité. Pour créer avec ces planteurs de qualité des partenariats durables, nous avons fait le choix de les payer largement au-delà du prix du cours. C’est tout à fait normal vu la qualité des fèves que l’on achète. Si on veut que ces planteurs perdurent, il faut qu’ils puissent vivre décemment de leur culture.
Comme nous payons nos fèves nettement plus cher que le cours de la bourse, nous ne sommes pas impactés par ses fluctuations. Nous sommes en réalité plus tributaires des coûts de transport que du prix des fèves.
Comment la flambée des matières premières et de l’énergie impacte-t-elle votre activité ?
Dès la fin de l’année 2021, nous avons été impactés par la flambée des emballages, et notamment du carton (40% d’augmentation en moyenne depuis janvier 2021, NDLR). Dans un deuxième temps, on a dû faire face à l’augmentation des matières premières (lait, crème), qui ont parfois quasiment doublé comme le beurre. C’est également le cas des ovoproduits dont le prix a explosé en raison de la grippe aviaire.
Aujourd’hui, on doit en plus composer avec la flambée de l’énergie. Étant donné qu’on fabrique ici tout de A à Z, notamment nos chocolats à partir des fèves de cacao, nous sommes un gros consommateur d’électricité. La hausse de l’énergie impacte donc l’ensemble de nos activités mais nous ne l’avons pas encore répercutée sur les prix de vente de nos produits.
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre enfance et votre formation ?
Ma mère avait une crêperie et mon père était pêcheur professionnel sur l’Erdre. J’ai été élevé dans la culture du bon. On mangeait simplement, mais uniquement des bonnes choses. Mon père ramenait régulièrement des poissons à des amis maraîchers, qui lui offraient des légumes en échange. C’est ce qui m’a donné le goût des bonnes choses.
Dès l’âge de 12 ans, j’ai su en faisant des gâteaux que je voulais devenir pâtissier. J’ai fait un premier stage chez Jacques Chiquet, pâtissier chocolatier à Carquefou. J’ai accroché direct car j’ai apprécié de travailler des produits d’une telle qualité. C’est difficile de l’expliquer avec des mots, mais je trouvais que cette activité me correspondait, notamment pour tout le côté créatif.
Je suis ensuite entré en apprentissage après le collège, toujours chez Jacques Chiquet. L’avantage, c’est que j’arrivais avec déjà pas mal de connaissances car ça faisait déjà quatre ans que je venais durant toutes les vacances en stage. J’étais imprégné de ce que faisait l’entreprise. J’ai enchaîné sur un brevet de maîtrise à Angers, toujours en pâtisserie chocolaterie. Entretemps, j’ai fait mon service militaire ainsi que quelques saisons sur la côte entre La Baule et Saint-Jean-de-Monts.
Vous êtes vous-même passé par la case apprentissage et avez formé plus de 150 apprentis depuis 1997. Quels sont selon vous ses avantages ?
J’ai toujours eu des facilités pour apprendre mais je n’étais pas adapté au modèle scolaire traditionnel. J’étais peut-être un peu trop turbulent pour le système. J’ai donc trouvé dans l’apprentissage quelque chose qui me correspondait parfaitement. Le fait d’alterner périodes en entreprise et à l’école permet de mêler théorie et pratique et d’être dans le concret. Les matières qui étaient moins ma tasse de thé comme les maths prenaient soudainement un autre sens car elles devenaient très concrètes et me servaient dans mon quotidien. Faire partie de l’effectif de l’entreprise m’a donné de l’expérience et de la confiance et j’ai trouvé la formule parfaitement adaptée au jeune de 17 ans que j’étais à l’époque. C’est pourquoi, depuis mon installation, j’ai toujours continué à former des jeunes en alternance. Chaque année, une douzaine entre en formation chez moi à différents niveaux. On les prend en général après le CAP pour une mention ou un brevet de maîtrise.
En quoi l’image de l’apprentissage a-t-elle évolué ces dernières années ?
Quand j’étais jeune, certains se retrouvaient à suivre une formation en pâtisserie en alternance, pas par vocation, mais car ils ne savaient pas trop où aller. C’était donc parfois considéré comme une voie de garage. Aujourd’hui, les choses ont évolué et ceux qui s’orientent vers la pâtisserie le font vraiment par choix. Les émissions culinaires télévisées ont globalement fait du bien au métier même si elles ne montrent pas forcément toute la réalité de la profession.
Il y a donc bien eu un changement des mentalités par rapport à l’apprentissage. Aujourd’hui, la formule séduit bien au-delà des métiers manuels et avoir son fils ou sa fille qui fait un apprentissage est devenu une fierté pour une majorité de parents. C’est très concret et on voit donc immédiatement si ça plaît ou pas. L’apprentissage semble être devenu une voie royale et je m’en réjouis.
Quelles sont vos perspectives de développement en France et envisagez-vous de vous implanter dans les villes de taille moyenne ?
Pour l’instant non, car nous avons déjà ouvert trois lieux de vente en deux ans : une boutique à la gare de Nantes, une autre dans le centre de Saint-Sébastien-sur-Loire et le manoir de la Châtaigneraie à Sucé. L’idée, c’est donc de continuer à développer l’activité des boutiques existantes et du manoir, tout en boostant en parallèle la vente en ligne. Il faut stabiliser l’activité de ces trois lieux avant d’envisager autre chose.
« L’international est un sérieux axe de développement pour l’entreprise, à tel point qu’on réfléchit actuellement à l’ouverture d’une deuxième boutique au Japon. »
Une biscuiterie Guerlais a ouvert en 2020 au Japon. C’est une première implantation à l’étranger. Quelles sont vos ambitions à l’international ?
Ça fait quinze ans que je travaille avec le Japon, notamment pour la Saint-Valentin où j’envoie des chocolats. J’ai un partenaire japonais depuis six ans qui s’occupe de vendre tous nos produits sur place. On avait envie avec lui de créer une boutique localement. C’est chose faite à Nagoya, où l’on a ouvert une boutique de biscuits courant 2020.
Les Japonais étant particulièrement friands de biscuits, on y vend des gâteaux de voyage en passant par le kouign amann et le gâteau nantais. Les produits sont fabriqués sur place pour la partie biscuiterie et sont envoyés de France pour les chocolats.
L’international est un sérieux axe de développement pour l’entreprise, à tel point qu’on réfléchit actuellement à l’ouverture d’une deuxième boutique au Japon. Nous avons notamment un avantage avec cette clientèle, c’est qu’elle apprécie particulièrement les produits français : nous n’avons donc pas besoin d’adapter nos produits.
Dans une société de demain placée sous le signe de la sobriété, la gourmandise aura-t-elle encore sa place selon vous ?
Oui, je reste persuadé que la gourmandise aura encore sa place. Car rien n’empêche d’être sobre tout en étant gourmand. Au labo par exemple, il y a longtemps qu’on fait attention à notre consommation électrique. Il y a des capteurs partout, qui vont éteindre automatiquement la lumière s’ils détectent qu’une pièce est vide. On récupère également l’eau… On a créé un système de refroidissement pour l’ensemble des machines qui est en circuit fermé depuis dix ans. Ça m’a toujours paru aberrant de prendre de l’eau propre qu’on va refroidir pour ensuite la rejeter automatiquement.
Depuis plus de cinq ans, nous avons également fait des efforts pour retirer tout le plastique jetable de nos packagings et à la production. Pour nous, cette sobriété passe aussi par le fait de travailler des produits locaux et de saison. Une fois qu’on a fait tout ça, la gourmandise me paraît totalement en adéquation avec cette sobriété. Et c’est encore plus vrai si la qualité vient petit à petit remplacer la quantité !
Au-delà de la sobriété, notre société semble également faire un retour progressif au bon sens. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve qu’avec ce retour progressif au bon sens, on va globalement dans la bonne direction. Nos grands-parents connaissaient tous les saisons de consommation des produits. Petit à petit, on a perdu ces habitudes alimentaires et c’est vraiment dommage. À l’école, on ne m’a jamais appris à quelle saison manger quel type de produits. C’est pourtant quelque chose de primordial qui devrait être enseigné dès la primaire. L’alimentation, c’est notre carburant. Comment voulez-vous savoir, si on ne vous l’a pas appris, que la courgette n’est pas un produit qui se mange en décembre ? Je suis effectivement convaincu qu’il faut revenir progressivement aux sources si l’on veut que notre société réussisse sa transition.
Un conseil pour bien déguster les chocolats pendant les fêtes ?
Le secret, c’est la conservation. Quand on achète des chocolats artisanaux, plus vite on les mange, meilleurs ils seront. D’un point de vue organoleptique, le chocolat est un produit très volatile. Donc plus on le laisse vieillir, plus il perd ses arômes et sa subtilité. Il faut le conserver dans un endroit tempéré. L’humidité et le froid sont un peu les ennemis du chocolat. Il faut par conséquent éviter de le conserver au frigo. Sauf bien sûr quand il fait plus de 30°C. Dans ce cas, il faut le placer au frais dans une boîte hermétique.
Une fois qu’on souhaite le déguster, il faut sortir la boîte hermétique du frigo pour la laisser se réchauffer mais sans l’ouvrir, de manière à ce que la condensation se fasse autour de la boîte et non sur le chocolat. Une fois à température, le chocolat pourra alors être dégusté et apprécié à sa juste valeur.
(1) Issue du broyage des fèves de cacao torréfiées, la « masse » de cacao est une pâte qui sert de matière première aux chocolatiers. Les broyeurs ou beurriers utilisent la masse de cacao pour en extraire le beurre de cacao ainsi que la poudre de cacao.