Quel est votre parcours ?
Laure Merlin : J’ai un parcours typiquement atypique. Je suis bilingue depuis l’âge de 16 ans. J’ai fait une prépa littéraire à la Légion d’honneur, puis des études de philosophie, avant de travailler dans le milieu de l’édition. Je me suis ensuite impliquée dans le milieu des squats d’artistes parisiens, un milieu ultra-innovant, qui a permis de créer des formes d’art aujourd’hui devenues très « mainstream », un milieu fondamentalement alternatif et international. Puis je suis partie en Éthiopie deux ans, avant de vivre dix ans en Aveyron, pendant lesquels je me suis énormément investie dans la pédagogie alternative de mes enfants. J’ai fait beaucoup de recherches sur les différents genres, dont Montessori, j’ai été imbibée de réflexions et de connaissances sur les intelligences multiples. Puis, lorsque je suis arrivée à Nantes en 2015, j’ai été consultante en culture d’entreprise sur la branche entreprise libérée.
Je suis une passionnée des alternatives innovantes, en particulier celles qui ont une dimension de bien commun. Dans mon parcours, j’ai toujours construit des ponts. Dans le milieu underground parisien par exemple, j’avais cette démarche de faire comprendre le point de vue des uns et des autres en dialoguant avec la mairie, le palais de Tokyo… mais aussi en ouvrant la culture au plus grand nombre. Le fait de transmettre l’innovation est quelque chose qui m’anime véritablement.
Quelles sont les origines de la blockchain ?
Laure Merlin : En 1982, un problème mathématique nommé « Le problème des généraux byzantins » a été formulé : des généraux de l’armée byzantine campent autour d’une cité ennemie avec leurs unités et souhaitent l’attaquer. Ils ne peuvent communiquer qu’à l’aide de messagers oraux et doivent établir un plan de bataille commun. Ils savent que s’ils attaquent de manière coordonnée la cité, ils vont la prendre. Mais ils ne se font pas confiance… 26 ans après la modélisation de ce problème, en 2008, un anonyme qui se fait appeler Satoshi Nakamoto a dit sur un forum de cryptographie qu’il l’avait résolu et proposé de créer un système monétaire global, alternatif et non censurable, en pair à pair, sans hiérarchie, sans tiers de confiance, sans besoin d’aucune confiance. C’est comme ça que Bitcoin est né en 2008.
Comment fonctionne ce système ?
Laure Merlin : Dans un système centralisé, il y a des tiers de confiance, une source de vérité, une autorité et toutes les autres personnes se connectent à cette source de vérité unique, qui peut être un système bancaire ou l’Éducation nationale, par exemple. L’idée, c’est qu’on a besoin d’avoir confiance en cette autorité, dans les tiers de confiance (l’Autorité des marchés financiers, la justice, la Cour des comptes, les notaires…). C’est très efficace, mais il y a deux problèmes. D’abord, il faut maintenir la confiance durablement. Ensuite, s’il y a un Troyen habile, ça génère des malversations, des affaires de blanchiment, de corruption, qui apparaissent parfois des années plus tard. Avec la blockchain, c’est complètement différent. Pour Bitcoin, la source de vérité aujourd’hui est répartie sur 10 000 à 12 000 nœuds bitcoin dans le monde entier, dont 40 % qui y accèdent avec le navigateur Tor, qui ne permet pas de savoir où ils sont. Chaque nouvelle série de transactions est enregistrée en parallèle, en répliques, sur ces 10 000 à 12 000 nœuds dans le monde entier et c’est pour ça que le système n’est pas censurable et que Bitcoin est invulnérable aux attaques.
De quelle manière la blockchain peut-elle intéresser les acteurs économiques ?
Laure Merlin : Ce qui est possible avec la technologie blockchain, c’est une décentralisation de beaucoup de choses : du marché de l’art, de la certification des documents (comme les diplômes), du commerce international, de la recherche, ou encore de la supply chain… Carrefour a par exemple appliqué la technologie blockchain sur ses poulets pour en garantir la traçabilité auprès des consommateurs. En fait, les cas d’usage sont énormes. La blockchain, c’est une révolution en marche !
C’est une infrastructure qui favorise une réorganisation des échanges, des communautés et qui permet, grâce à la transparence et à la quasi impossibilité de censurer, un plus grand respect dans les relations. Ça décourage les rapports de pouvoir, donc les abus. C’est donc un sujet politique aussi !
En France, on avait pas mal d’avance au départ sur la technologie blockchain. On avait par exemple l’une des plus anciennes plateformes d’achats de bitcoin avec Paymium. Malheureusement, on a très largement perdu cette avance vis- à-vis de la Chine et des États-Unis…
J’OUVRE TRÈS GRAND LA PORTE, JE FAIS TOMBER LES MURS, JE METS DES PONTS-LEVIS PARTOUT ET JE RÉPÈTE RÉGULIÈREMENT : NE ME CROYEZ PAS, VOYEZ PAR VOUS-MÊME !
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à cette technologie ?
Laure Merlin : J’y suis venue en 2015 par Ethereum, qui est la deuxième plus grosse valorisation en cryptomonnaie. J’avais vu passer Bitcoin, mais ça n’était pas au cœur de mes réflexions à ce moment-là. En revanche, Ethereum a été pour moi un déclic. J’ai été sensible à la démarche de ce jeune homme, Vitalik Buterin, qui pensait qu’on pouvait faire beaucoup plus que des transactions financières, en créant un ordinateur mondial décentralisé, transparent et programmable. À ce moment-là, j’ai vu la révolution !
Quand avez-vous sauté le pas de la création de Play My Tech ?
Laure Merlin : En 2017, j’ai investi financièrement dans les cryptomonnaies et je me suis rapprochée des réseaux. J’ai participé aux débuts d’une start-up dans la blockchain. C’est alors que je me suis rendue compte que c’était compliqué de vraiment comprendre comment cette technologie fonctionne. Alors que j’étais anglophone, que je travaillais à temps complet avec des architectes blockchain, que je pouvais poser toutes les questions du monde et que je savais repérer les bonnes sources d’info, j’ai mis trois mois à vraiment comprendre. Et là, je me suis dit que ce n’était en fait pas si compliqué, mais que c’était juste très mal expliqué par le langage.
Pourquoi ?
Laure Merlin : Pour une raison simple : le langage, c’est linéaire, alors qu’une blockchain, c’est un système en mouvement qui est beaucoup plus proche d’un organisme vivant. Si je fais un cours sur la manière dont fonctionne une cellule vivante, ça va prendre des heures… Si je montre une vidéo bien faite, en un quart d’heure on va comprendre. Le langage est radicalement insuffisant pour expliquer la blockchain. Et comme j’avais ce background de pédagogie alternative, j’ai pensé à le modéliser en Lego avec l’aide d’un architecte blockchain. Puis on a fait un test au moment du lancement de l’incubateur Novapuls, fin 2018. On a eu des retours très positifs avec des personnes qui nous disaient qu’elles avaient vraiment compris. Six mois plus tard, une banque m’a rappelée. Je me suis alors dit qu’il y avait vraiment quelque chose à faire et j’ai réuni tout ce que je connaissais : la pédagogie alternative, les neurosciences, la transformation culturelle des entreprises pour faire en sorte que les personnes évoluent de la manière la plus épanouissante possible pour le groupe, ainsi que ma connaissance de la blockchain.
Quels sont les atouts d’une formation avec des Lego ?
Laure Merlin : Dans la blockchain, on dit beaucoup : « Don’t trust, verify » (Ne faites pas confiance, vérifiez). Quand on parle aux entreprises de la révolution qui est en cours et qui est aussi énorme que le web, les gens disent souvent : « Je ne sais pas, je n’ai pas trop confiance… ». Et justement, je leur réponds : « Surtout, n’ayez pas confiance ! » La blockchain est une porte de sortie de la problématique de la confiance, qui doit se gagner, peut se perdre, etc. Dans les ateliers que je propose, les gens jouent et, en essayant plein de choses, voient par eux-mêmes que le système est inattaquable.
L’APPRENTISSAGE PAR LES LEGO S’INSCRIT DANS LA MÉMOIRE ÉPISODIQUE, CELLE DU JEU, QUI EST LA PREMIÈRE MÉMOIRE QUE LES HUMAINS UTILISENT POUR APPRENDRE. ELLE EST BEAUCOUP PLUS DURABLE ET SOLIDE
Je propose une pédagogie alternative, concrète, bien plus facile d’accès. Quelquefois, les gens pensent que ça va être de la vulgarisation pour leur mettre le pied à l’étrier, alors que ce que je propose, c’est une formation qui va très loin. J’ouvre très grand la porte, je fais tomber les murs, je mets des ponts-levis partout et je répète régulièrement : « Ne me croyez pas, voyez par vous-même ! » Le fait d’être en mouvement, en interaction avec les autres participants, le fait de poser les Lego aussi, a un autre avantage : ça dissout l’ego des participants. Ce qui fait qu’ils n’ont plus peur de poser des questions. Alors que lorsque vous faites une conférence, aussi bonne soit-elle, tout le monde a peur de lever la main à la fin.
Ça joue également sur l’exactitude et la durée des connaissances. L’apprentissage par les Lego s’inscrit dans la mémoire épisodique, celle du jeu, qui est la première mémoire que les humains utilisent pour apprendre. Elle est beaucoup plus durable et solide que la mémoire verbale, où les informations rentrent mais ont aussi tendance à ressortir aussitôt. Ce qui fait que, parfois, on a le sentiment d’avoir compris une notion mais qu’on se retrouve ensuite incapable de la réexpliquer.
À qui vous adressez-vous ?
Laure Merlin : Aussi bien à des gens qui sont techniques que pas du tout, qui connaissent déjà la technologie blockchain ou pas. La pédagogie est un enjeu majeur pour ouvrir le secteur à tous les profils et métiers. Et l’intérêt d’une méthode comme celle-ci, c’est que je peux mettre ensemble des personnes avec des niveaux très différents. Les personnes avancées vont pouvoir progresser dans leur démarche pour dialoguer avec les néophytes. L’essentiel est dans les Lego, les interactions. Ça crée un langage commun et ils peuvent se mettre dans une vraie réflexion nourrie pour savoir à quel moment et sur quels cas d’usage réels ils peuvent se servir de cette technologie. Là encore, c’est comme pour le web : tant que les développeurs restent entre eux, ils créent des produits géniaux pour eux mais ont beaucoup de mal à créer des choses ayant un impact global. Et à partir du moment où de plus en plus de personnes de métiers différents, du marketing, du design, etc., sont impliquées dans la conception, on peut vraiment arriver à servir l’intérêt général.
Par exemple, actuellement je travaille beaucoup avec Orange qui cherche à ne pas louper la marche. Je ne veux convaincre personne d’utiliser Bitcoin ou une blockchain, je facilite simplement la compréhension de cette technologie pour redonner le pouvoir de choisir par soi-même. Je voudrais d’ailleurs open sourcer la méthode car je crois qu’elle fait une grande différence. À l’image de Maria Montessori qui est une inspiration pour moi, je n’ai pas peur que ma méthode soit copiée, au contraire ! Quand on a un apport pédagogique profond, il faut que ça circule.