Couverture du journal du 02/07/2025 Le nouveau magazine

Entre amour de l’art et obligation de résultat… le Voyage à Nantes de Sophie Lévy

En janvier 2025, Sophie Lévy prendra la direction du Voyage à Nantes (VAN) et ouvrira un nouveau chapitre de son parcours professionnel. Habituée à changer de ville et de fonction de manière cyclique, elle choisit cette fois-ci de s’ancrer dans la Venise de l'Ouest. Elle évoque les valeurs de liberté et de solidarité qu’elle cultive au sein de ses équipes, soulignant l’importance d’un collectif harmonieux dans le succès du Musée d’Arts. Une culture de la collaboration qu’elle entend transposer dans son nouveau projet.

Sophie Lévy, directrice du Musée d'Arts de Nantes. BENJAMIN LACHENAL

Vous allez succéder à Jean Blaise en janvier 2025 à la direction du Voyage à Nantes, société publique locale chargée de faire rayonner la métropole par ses actions culturelles. Pourquoi avoir relevé ce nouveau défi ?

Ce n’était pas une idée qui a traversé les décideurs nantais, mais plutôt la mienne. En fait, c’est moi qui ai décidé de postuler. Généralement, je change de ville tous les sept ans, mais cette fois, je n’avais pas envie de partir. J’ai reconstruit une vie ici depuis huit ans, même sans avoir d’attaches particulières avec Nantes. De plus, nous savions tous que Jean Blaise allait prendre sa retraite, ce qui m’a poussée à réfléchir.

J’ai une double formation que j’ai longtemps cachée. J’ai étudié à HEC avant de devenir conservatrice de musée. Pendant une grande partie de ma carrière, cela a été perçu comme un handicap, car dans le milieu culturel, avoir fait des études de commerce est souvent associé à une vision gestionnaire, plutôt qu’artistique. Au début, il y avait une défiance envers ceux qui n’étaient pas des purs produits de l’histoire de l’art ou du monde artistique. Cela a créé un sentiment d’inconfort, mais je me rends compte que cela m’a aussi caractérisée. Je ne me suis jamais sentie tout à fait à ma place, ni ici ni nulle part ailleurs.

Un exemple qui illustre cela est mon expérience de huit ans au sein de Terra Foundation, où j’ai cherché à traduire la culture américaine pour les Français et vice versa. C’est un travail sans fin, car il est souvent plus facile de recourir aux clichés sur l’autre culture que de bâtir un pont authentique entre elles. Cela m’a permis de comprendre que ma vision du monde n’est qu’une petite part de l’ensemble.

 


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Cette dualité, c’est aussi ce qui vous a poussée à cacher longtemps votre formation HEC, n’est-ce pas ?

Oui, tout à fait. Quand j’ai candidaté pour mes premiers postes de conservatrice, j’ai été confrontée à des jurys qui me réprimandaient : « Que faites-vous dans un musée ? Vous devriez travailler à la boutique ou à la Réunion des musées nationaux qui était à l’époque l’institution qui gérait financièrement les musées. J’ai ressenti une défiance claire. Une camarade de HEC, qui est maintenant conservatrice à la Cité de l’architecture, m’a dit qu’elle ne révélait jamais son parcours. Ça montre à quel point on éprouvait cette suspicion illégitime.

J’ai dès lors caché ma formation pendant quinze années. Mais en arrivant comme directrice du LaM (musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) à Villeneuve-d’Ascq, j’ai décidé de m’en libérer. Un musée est, après tout, une petite entreprise bien que sa vocation ne soit certes pas de faire de profits. Mon expérience en gestion a donc du sens dans ce contexte. Lorsque je participe aux rencontres de l’Association Progrès du Management (APM), qui réunit des dirigeants dans le domaine de la formation managériale, je me rends compte que nos préoccupations sont souvent les mêmes, la dimension de solitude, la responsabilité, le risque, le saut dans le vide, la prise de décision. Et du coup, je me sens en empathie avec eux. Bon, ils me trouvent un brin bizarre, un peu zèbre, mais ils m’acceptent quand même.

Henrique Oliveira. Le rêve de Fitzcarraldo, place Graslin, Le Voyage à Nantes 2024. MARTIN ARGYROGLO – LVAN

Donc, pour candidater à la direction du VAN, vous vous appuyez sur cette double formation, École nationale du Patrimoine et HEC ?

Oui. Être directrice, c’est gérer un musée, un lieu inscrit dans son territoire. Les musées sont le reflet de leur territoire, et le Voyage à Nantes, pour reprendre l’expression de Houellebecq, est « juste une extension du domaine de la culture ». À Nantes, le tourisme est avant tout culturel. Les visiteurs s’y rendent pour découvrir les expositions, le parcours artistique. Je suis frappée par l’impact que le VAN a sur la ville, aussi bien symboliquement qu’en termes de visibilité.

Je sais que le poste est perçu comme très important, mais je me rends compte qu’en tant que directrice, tout en intégrant ma vision, je vais embrasser l’héritage de Jean Blaise. Nantes a beaucoup changé grâce au Voyage à Nantes, et cela doit continuer. Je ressens une hésitation dans la cité entre son passé de village et son identité de métropole. La culture peut aider à réconcilier ces deux as…