Quelles sont les grandes lignes du projet Zephir ?
J’ai cofondé en 2020 le projet Zephir avec Antoine Albeau, vingt-six fois champion du monde de planche à voile et actuel détenteur du record du monde de vitesse à 53,27 nœuds (98,65 km/h). Nous avons deux grands objectifs : atteindre la haute performance en termes de vitesse, tout en générant un minimum d’empreinte carbone.
Pour nous, le meilleur marqueur en matière de performance, c’est de réussir à battre l’actuel record du monde de vitesse à la planche à voile et, pourquoi pas, tenter d’aller chercher celui de vitesse à la voile, aujourd’hui établi à 65,45 nœuds, soit 121 km/h. Mais le projet a également une profonde dimension écoresponsable, car on essaye de percer les secrets de la glisse absolue, tout en consommant le moins d’énergie possible. Il y a enfin le côté maniabilité, accessibilité, confort et facilité d’utilisation à prendre en compte.
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Quel constat vous a poussés à vous lancer dans ce défi ?
C’était au départ un objectif sportif, compte tenu de l’incroyable palmarès d’Antoine Albeau. D’un côté, on a un monument de la planche à voile : trente ans d’expérience et le sportif le plus titré de France ! Pour ma part, après avoir été diplômé de l’École centrale de Lyon, j’ai supervisé durant trois décennies des projets industriels complexes dans de nombreux secteurs (aéronautique, nucléaire, automobile, naval…), avant d’aider plusieurs sportifs de l’extrême à battre neuf records du monde de vitesse. Parmi eux, on peut citer le vététiste Éric Barone, qui a atteint 228 km/h sur la piste de kilomètre lancé de Vars (Hautes-Alpes), mais également Edmond Plawczyk, qui a passé la barre des 200 km/h en snowboard (203 km/h précisément, NDLR).
Quand nous nous sommes rencontrés avec Antoine, notre objectif était vraiment de repousser les limites de la glisse à la voile. Et on a très vite choisi de s’orienter vers deux dimensions, performance et durabilité, qui ont un grand sens pour le futur.
Comment travaillez-vous pour atteindre vos objectifs ?
D’une part, on observe le vivant : oiseaux, poissons, et même oursins… On s’appuie sur le biomimétisme pour comprendre les mécanismes des animaux qui vont nous permettre de repousser nos limites. Et d’autre part, on profite des évolutions de la très haute technologie : simulation numérique, data et analyse des données embarquées, fabrication additive (impression 3D), essais en soufflerie, pour développer des prototypes ultra-performants.
Combien de personnes interviennent sur le projet ?
On s’appuie actuellement sur une équipe de près de cent vingt experts internationaux et de soixante-dix entreprises issues du monde de l’ingénierie, de la voile de compétition, de la course automobile, de l’aéronautique… Parmi elles, on peut citer ALTEN, leader mondial en ingénierie, ou la branche BPCE Solutions informatiques (BPCE SI) du groupe BPCE, qui regroupe, entre autres, les Banques Populaires et les Caisses d’Épargne. Ils nous aident notamment sur la data et l’intelligence artificielle (IA), tandis qu’ALTEN intervient plutôt sur la simulation numérique.
Comment arrivez-vous à entraîner des entreprises dans votre sillage ?
Ce qui les motive avant tout, c’est le challenge. Le Zephir Project est une sorte de catalyseur de plein d’énergies : d’universités, de petites et grosses entreprises, d’experts… Ce qui amène vraiment de la nouveauté dans ce projet, c’est que c’est le sport qui challenge l’industriel.
En nous rejoignant, ces industriels sortent de leur zone de confort et montrent leur savoir-faire pour construire un avenir durable. Car aujourd’hui, cette glisse absolue, personne n’en a les clés. C’est pourquoi les entreprises nous rejoignent : elles veulent contribuer à les identifier. Grâce au Zephir Project, on a créé une sorte d’écosystème qui les réunit toutes. Il y a énormément d’innovations possibles, car le projet s’articule autour de quatorze briques technologiques et environnementales différentes : l’IA, l’analyse de données… mais aussi l’empreinte carbone et le recyclage des matériaux.
La nouveauté dans ce projet, c’est que c’est le sport qui challenge l’industriel.
Comment la technologie et l’IA vont-elles vous aider à percer les secrets de la glisse ?
La tech et l’IA permettent de mieux comprendre scientifiquement le vivant. Il ne s’agit pas seulement d’observer un os d’oiseau, puis d’essayer de le reproduire, mais de vraiment comprendre la dynamique de fonctionnement de ces structures vivantes naturelles. C’est parce que l’on s’appuie sur des données et de l’IA que l’on est capable de lire entre les lignes et de découvrir des choses, dont on ne soupçonnait même pas l’existence.
Par exemple, quand on met les algorithmes puissants d’IA de BPCE SI sur les données précises du vent et la dynamique de vol d’Antoine, on arrive à décrypter son comportement très aisément. On se rend ainsi compte que le vivant est presque facilement compréhensible, parce qu’il fait intervenir des équilibres naturels qui sont quasiment prédictibles. À tel point que l’IA nous permet aujourd’hui de prévoir la vitesse d’Antoine avec une à deux secondes d’avance !
Comment financez-vous le projet ?
C’est un projet assez atypique sur le plan du financement. D’un côté, nous avons les entreprises qui apportent leur savoir-faire, des ressources, comme des ingénieurs ou des moyens de calcul. Mais cela peut aussi être du stockage, des prototypes, des capteurs, que l’on va nous offrir et surtout mettre en place… donc vraiment du savoir-faire technique. Et, de l’autre côté, il nous faut les moyens nécessaires pour la logistique, aller faire des essais, fabriquer des prototypes. On cumule donc à la fois l’apport technique avec le sponsoring, pour avoir de la visibilité, et on propose des conférences en entreprise, bien souvent tournées vers la marque employeur.
Au niveau du sponsoring, la somme qu’une entreprise peut mettre dans le projet, c’est 80 k€ maximum. Le ticket d’entrée débute à 10 k€ pour rester accessible à tout type d’entreprises. De cette manière, tout le monde est audible, personne n’a la main et on conserve notre indépendance à 100 %. C’est vraiment l’une des clés du projet et la volonté de l’équipe.
Où en est le projet aujourd’hui ?
Nous avons déjà réussi à identifier des mécanismes de glisse particuliers. On est en train de les associer pour produire un nouvel engin, complètement disruptif, qui va permettre à Antoine d’avoir de la stabilité à très haute vitesse, tout en l’aidant à utiliser toute la puissance qu’il va récupérer dans sa voile, pour la transmettre à sa planche. On est en pleine simulation numérique actuellement et on espère avoir mis sur pied des prototypes pour les tester d’ici l’automne sur des spots de vitesse. Notre objectif est de rester centrés sur l’humain pour offrir à Antoine un matériel très facile d’utilisation. Dans l’idéal, il va voler avec un oiseau dans les mains et naviguer avec un espadon sous les pieds.
Voler avec un oiseau dans les mains et naviguer avec un espadon sous les pieds.
Comment s’articule votre emploi du temps autour du projet ?
On consacre 50 % de notre temps à la réflexion, à la simulation numérique, aux choix stratégiques, donc hors de l’eau. Les 50 % restants vont être plutôt dédiés à l’action, soit en essai sur l’eau pour récupérer de la donnée, soit en soufflerie, où la planche à voile est devenue un véritable laboratoire expérimental. Ou alors on est occupé à fabriquer des prototypes. On est donc un peu en mode SpaceX : tu fais de l’ingénierie, tu vas au maximum de ce que tu peux, tu fais un prototype, tu testes, tu tires de l’information et tu reboucles. Antoine, lui, n’attend qu’une chose : avoir des prototypes sous les pieds.
Une fois les secrets de la glisse percés, quels secteurs vont bénéficier de vos découvertes ?
Le premier, c’est le nautisme de façon générale. Pas forcément la course à la voile légère, comme pour les JO, mais vraiment tout type de navires. Car on est sur de la glisse pure. Les applications sont directes et la planche à voile est le parfait laboratoire. Le deuxième, c’est le secteur éolien, car si l’on arrive à comprendre le déplacement d’air que réalise un oiseau, ce sera une ressource incroyable pour toute la filière.