Quels ont été vos formation et parcours professionnel avant d’entreprendre ?
Mes parents avaient des boutiques de vêtements à La Rochelle, ville que j’ai quittée après le bac pour m’installer à Bordeaux. J’ai enchaîné sur une école de commerce (l’Inseec, NDLR) où j’ai effectué mes stages dans l’univers des vêtements et des chaussures. J’ai poursuivi en 5e année sur une alternance en entrepreneuriat chez Lafaurie, une marque de vêtements masculins. Entreprise dans laquelle je suis restée cinq ans avant de rejoindre Asphalte, une autre marque de vêtements haut de gamme pour hommes, précurseur de la vente en précommande.
Pourquoi avez-vous créé Valone ?
Quand j’ai quitté Asphalte, je suis partie en voyage avec mon conjoint Philippe Morvan, un ancien footballeur de Guingamp passionné de trail aujourd’hui devenu mon associé. Comme je le voyais changer de chaussures quatre fois par an et qu’une seule paire valait 180 €, j’ai commencé à travailler le sujet en me disant qu’on devait mettre au point un modèle réparable. Un moyen concret pour réussir à les conserver plus longtemps et donc allonger leur durée de vie. De plus, je trouvais que le trail ne bénéficiait pas du tout de l’image d’un sport de nature alors qu’il l’incarne parfaitement. Je me suis dit qu’il y avait moyen de rendre cette discipline bien plus attirante avec des designs recherchés, plus de couleurs et de style…
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Quelle est la raison d‘être de la marque ?
Offrir aux coureurs un accès à des chaussures légères, solides et durables de manière à ce qu’elles puissent être portées plus longtemps que les modèles traditionnels proposés aujourd’hui sur le marché. Valone a également vocation à promouvoir le fait de mettre les gens en mouvement. L’expérience du coureur est d’ailleurs au centre de notre démarche de design et d’ingénierie.
Quelles sont les particularités de vos chaussures de trail ?
La tige, la partie supérieure de la chaussure, est très solide puisqu’elle est en Dyneema, matériau avec le ratio légèreté/solidité le plus élevé au monde. Pour la semelle, on a opté pour un modèle en EVA (un plastique plus léger et souple que le caoutchouc, NDLR) de la marque Vibram, qui a la particularité d’être réparable. C’est un modèle reconnu pour la qualité d’accroche de ses crampons sur tous types de terrain, sa robustesse et sa stabilité. Il est également 30 % plus léger que les standards du marché.
Pour le reste de la chaussure, on utilise le Cordura, un tissu fin en fils haute ténacité qui offre une grande légèreté et une grande résistance à l’abrasion et à la traction. On a également ajouté des renforts en TPU (polyuréthane thermoplastique, NDLR) tout autour de la chaussure. Tout ça nous permet de proposer une paire de 240 grammes en taille 42, affichant probablement le meilleur ratio performance/densité/longévité du marché.
Pourquoi avoir lancé votre premier modèle, Rave, uniquement en précommande sur votre site ?
D’abord car la précommande permet d’éviter la surproduction même si elle induit un délai d’attente pour chaque client qui devra patienter plusieurs mois avant de recevoir sa paire de chaussures commandée en ligne. Ensuite, car nous n’avions pas le choix : les investissements sont vraiment trop lourds dans le trail. Pour le moment, après deux ans de R&D sur le projet, on a payé qu’en partie les fournisseurs. On leur a demandé des conditions de paiement particulières, qu’ils ont acceptées après avoir découvert notre projet. C’est pour cette raison qu’on a opté pour ce système de précommande. Pour autant, je ne suis pas sûre que dans l’outdoor, ce soit forcément le meilleur canal de distribution. D’ailleurs, ça n’a jamais été fait… Donc on teste et on avisera.
« à l’avenir, Valone tendra le plus possible vers l’utilisation de matériaux naturels. »
Quelle est votre cible ?
On vise en priorité les coureurs de moyennes et longues distances car Rave est un modèle haute performance et que c’est plus facile d’avoir une cible restreinte pour commencer. Mais notre modèle est tout à fait portable pour marcher ou se balader. Il s’adresse de ce fait à une clientèle potentiellement bien plus large.
Quelle distance peut-on parcourir avec vos chaussures avant d’avoir à changer leur semelle ?
On n’a pas fini tous les tests et les résultats diffèrent beaucoup d’un coureur à l’autre. Il faut donc encore peaufiner ces détails. Une chose est sûre, la boîte de nos chaussures contiendra une notice qui précisera « au-delà de X kilomètres, il faut changer les crampons, et l’ensemble du bloc semelle au-delà de XX kilomètres ». Mais une chose est sûre : ce sont les crampons qui s’abîmeront en premier.
Comment avez-vous financé le projet au départ ?
On a investi une partie de nos économies avec mon conjoint et on a ensuite décroché un prêt d’honneur d’Initiative Nantes de 15 000 euros. J’ai également bénéficié d’une garantie France Active féminine, sans caution personnelle sur le prêt bancaire. Pour les prêts traditionnels, ça a été plus compliqué car les banques n’aiment pas trop financer de la trésorerie mais on en a finalement décroché un au Crédit Mutuel. On vient également de solliciter Bpifrance, mais c’est encore en instance.
Sur quels partenaires vous êtes-vous appuyée pour développer ce premier modèle ?
Pour le design, nous avons fait appel à des professionnels très compétents et réputés dans le trail : All Triangles, les designers français de la marque The North Face. Venant du vêtement et de la chaussure, jamais je ne me serais permise de les concevoir seule sans m’appuyer sur des designers spécialisés dans le marché de la course à pied et du trail. Ça a forcément eu un coût, mais ça nous a permis de commettre moins d’erreurs et d’aller plus vite quand on s’est lancé sur un produit technique, difficile à appréhender.

Les chaussures de trail Valone visent les coureurs de moyennes et longues distances. Photo Thomas Aulagner
En quoi peut-on dire que Valone est une marque engagée ?
Avant tout car on propose des chaussures qui valent le coup d’être réparées ! On met en effet en relation des cordonniers réparateurs avec nos clients. On s’appuie notamment sur Galoche et Patin, un cordonnier en ligne. Mais également sur un réseau de cordonniers de ville alimenté par nos clients. C’est ce qui nous permet de proposer dès à présent une solution pour allonger la durée de vie des chaussures de trail.
Valone est également une marque engagée dans le sens où elle prouve que les chaussures de trail sont réparables, alors que les autres grands acteurs du marché ne le proposent pas et n’en parlent pas. Pour avoir un ordre d’idée, le prix d’un changement de semelle coûte environ 60 euros, sachant que notre premier modèle est vendu 195 euros en précommande.
Peut-on dire que Valone propose des chaussures recyclables ?
On ne peut pas employer ce mot car recycler des paires de chaussures de trail demande aujourd’hui encore trop d’énergie et coûte trop cher. C’est pourquoi nous avons dès le départ fait le choix de placer notre responsabilité environnementale sur la durabilité et la réparabilité du produit. D’ailleurs, à l’avenir, on tendra le plus possible vers l’utilisation de matériaux naturels dans nos futures chaussures.
C’est dans ce cadre que nous sommes en contact avec Terre de Lin et Emmanuel Lang, qui sont des filateurs et producteurs de lin. On n’a pas pu le faire dès le début car la mise sur le marché de notre premier modèle aurait pris au moins quatre ans.
Où seront fabriquées vos chaussures ?
Tous nos partenaires se trouvent en Europe. Le design de nos chaussures est réalisé en France et nous les fabriquerons dans notre atelier au Portugal, ce qui est très rare. En effet, il n’y a presque pas aujourd’hui de chaussures de trail fabriquées en Europe.
La tige est montée au Portugal. Les semelles Vibram sont une marque italienne qui fabrique ses produits en Chine. Le tissu léger et résistant, le Cordura, est espagnol et la plupart des autres matériaux, dont les TPU, sont italiens. Tout le reste, c’est portugais. C’est donc majoritairement une fabrication européenne.
Quels sont les prochains temps forts pour Valone ?
La production a été lancée en juillet et les commandes sont envoyées à nos partenaires, qui vont commencer à produire les semelles, tissus et matériaux. À partir d’août, on passe au montage du produit : notre atelier portugais assemblera toutes les pièces. Pour que le client puisse recevoir ses chaussures à partir d’octobre.
Après ce premier modèle, quand prévoyez-vous la sortie d’un deuxième ?
Notre deuxième modèle ne sortira pas avant 2026 car les développements de semelle sont extrêmement longs. Avant cela, on proposera d’autres coloris de notre modèle Rave, car c’est avant tout un produit destiné à durer. Et en parallèle, on compte également proposer d’autres produits spécifiques à l’univers du trail comme des casquettes, des chaussettes, des gilets sans manche, des shorts et dans l’idéal une parka. En conservant bien évidemment dans notre ADN le côté performant, durable et technique de nos produits.