Couverture du journal du 02/04/2025 Le nouveau magazine

Voyager en solo : une quête pour repenser son leadership

Sous la pression constante du monde des affaires, certains dirigeants optent pour le voyage en solitaire comme moyen de prendre du recul. Loin de leur environnement quotidien, ces escapades offrent un espace privilégié pour réévaluer leur style de leadership et peaufiner leurs stratégies. Quels bénéfices concrets tirent-ils de ces introspections en solo et comment ces expériences modifient-elles leur façon de diriger ?

Claire Matillon, la fondatrice de Salmon Voyages, dans les rues de Séoul. SALMON VOYAGES

Il faut voyager pour apprendre, affirmait Mark Twain. Une idée que confirme une étude du Harvard Business Review, révélant que 58 % des chefs d’entreprise estiment qu’une culture du voyage solide est essentielle à la performance de leur entreprise. Dans cette perspective, Benoit Pineau, préparateur mental, souligne l’importance de prendre du temps pour soi. « En tant que salarié, on attend souvent que quelqu’un d’autre nous autorise à “couper”. En tant que chef d’entreprise, il faut s’accorder soi-même cette permission. Cela confère un pouvoir significatif sur sa vie et va bien au-delà des simples vacances. En s’éloignant du quotidien, on peut provoquer un changement identitaire et revenir avec de nouvelles idées»


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Une rencontre avec soi-même

C’est ce qu’a vécu Claire Matillon, dirigeante de l’agence de voyages sur-mesure Salmon Voyages, basée à La Roche-sur-Yon. Jusqu’à récemment, la jeune femme n’avait jamais osé partir seule. « J’ai toujours trouvé quelqu’un pour m’accompagner et cela m’arrangeait », avoue-t-elle.

En 2023, des circonstances personnelles l’amènent à annuler un voyage prévu au Kenya l’année suivante. Face à un besoin urgent de déconnexion, elle décide de partir seule en Corée du Sud, avec pour seule préparation ses billets d’avion et un logement réservé sur Airbnb pour quinze jours. « Une semaine avant le départ, j’ai paniqué. J’ai pleuré dans la salle d’embarquement, oscillant entre excitation et peur de ne pas savoir comment rencontrer des gens », se remémore-t-elle.

Pour surmonter cette appréhension, elle contacte une équipe de rugby locale sur les réseaux sociaux, un sport qu’elle pratique depuis des années. À son arrivée, une rencontre est rapidement organisée et elle découvre que, loin de l’isoler, la solitude l’ouvre aux autres. « J’ai commencé à observer mon environnement avec plus d’acuité et à remarquer d’autres personnes seules », témoigne-t-elle.

Claire Matillon et l’équipe de rugby sud-coréenne, rencontrée sur les réseaux sociaux. SALMON VOYAGES

Étonnée par sa capacité à élargir son réseau, elle repart seule deux mois plus tard pour l’Ouest américain. Ce voyage lui permet de prendre une décision professionnelle radicale : mettre un terme à son activité additionnelle de formatrice, un format qui ne lui convenait plus. Un troisième voyage solo, en Islande, renforce cette prise de conscience. « J’ai réalisé que les rendez-vous conseils en présentiel limitaient ma liberté de voyager et de travailler depuis n’importe où », précise-t-elle. Désormais, elle privilégie le travail en visio.

« Vivre en autarcie en Islande m’a aidée à me recentrer sur mes besoins. Aujourd’hui, je me sens alignée avec mes valeurs et capable de refuser des sollicitations professionnelles qui ne me correspondent pas », conclut l’entrepreneuse. « Voyager seule m’a permis de mieux comprendre mes propres besoins et de retrouver une forme de liberté»

« On ne peut pas pédaler et réfléchir en même temps ! »

Pour Benoit Pineau, vivre à l’ère des réseaux sociaux altère notre rapport à la solitude. « Oser se retrouver seul avec soi-même est un acte de courage. C’est accepter d’abandonner temporairement quelque chose, sans savoir ce que l’on va trouver… Bien sûr, c’est moins confortable de le faire seul que dans un groupe », souligne-t-il. Pour beaucoup, cette solitude peut être angoissante mais elle permet de renouer la communication avec soi-même.

L’expert explique que les routines professionnelles peuvent aider à éviter l’anxiété mais il est bénéfique de faire une pause de temps en temps. « Un chef d’entreprise a toujours l’impression qu’il doit être la tête dans le guidon. On attend de lui qu’il produise, qu’il se projette dans l’avenir. Dans le milieu sportif, que je connais bien, on attache une grande importance aux temps de pause. Les militaires, également, en bénéficient lors de leur retour d’opérations », analyse-t-il.

Benoit Pineau, préparateur mental des sportifs et des dirigeants. BENOIT PINEAU

Pour lui, il est crucial de faire des retours d’expériences réguliers sur ce qui a bien ou mal fonctionné. « Quand je reçois un dirigeant qui manque de clairvoyance, la première étape est de dire stop ! C’est seulement à partir de là que l’on peut réfléchir. Cela ne peut pas se faire dans l’effervescence collective », ajoute-t-il. À cet égard, il cite la théorie de la restauration de l’attention, développée par les psychologues Rachel et Stephen Kaplan, qui suggèrent que l’exposition à des environnements naturels en solo permet au cerveau de récupérer du stress et de la fatigue mentale, favorisant ainsi une pensée plus créative.

L’opportunité du pas de côté

Le cabinet de management de transition Thact va encore plus loin. Depuis un an, l’entreprise teste une offre de voyage individuel « sensé », en partenariat avec la start-up Mont Baluchon, destinée à ses managers en intermission. « Il s’agit de leur offrir un itinéraire sur-mesure de voyage solo, ponctué de rencontres, pour se ressourcer et interroger leurs valeurs. Ces chefs d’équipe, managers ou cadres se connaissent déjà bien », précise Teddy Travert, fondateur de Thact. « L’idée n’est pas tant qu’ils se retrouvent, mais qu’ils se questionnent au-delà – notamment dans leur relation au vivant – afin de nourrir leur leadership. »

Mont Baluchon s’occupe de la logistique, tandis qu’une neuro-coach aide à surmonter les peurs et le positionnement face à l’inconnu. « Cette idée est née après l’intégration d’un collaborateur ayant vécu une expérience de voyage en solitaire en Inde. Cinq mois qui ont durablement changé son rythme de vie et provoqué un réalignement professionnel », explique le dirigeant.

Teddy Travert.

Teddy Travert. DR

Les managers de transition sont souvent à 200 % sur de longues périodes pour redresser des situations complexes. Entre deux missions, Thact veut proposer soit du coaching, soit le voyage solo via Mont Baluchon. « Une troisième option, malheureusement trop fréquente, consiste à chercher une nouvelle mission sans se poser de questions. Encore trop peu de gens saisissent l’opportunité du pas de côté », déplore l’entrepreneur. « En tant qu’entreprise à mission, notre capacité à apporter du service est importante. Le voyage en solo en fait partie et nous espérons le faire gagner en visibilité pour 2025»

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