Tandis que les vacanciers plongent de plaisir dans l’eau très fraîche de l’Atlantique, d’autres profitent de la période estivale pour découvrir les entreprises de leur région. Surnommée « tourisme d’entreprise », « tourisme économique » ou encore « tourisme de savoir-faire », cette forme de tourisme bénéficie aux entreprises ligériennes.
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Cet été, impossible d’entrer dans l’antre des cheminées de la centrale de Cordemais. « On est en arrêt de tranche pour la maintenance des chaudières », nous informe le service communication d’EDF. Une croisière en bateau prend le relais. Les visiteurs (3 200 en 2023) profitent du soleil pour découvrir un autre visage, moins austère, qu’offre la centrale à charbon de Cordemais en naviguant sur l’Estuaire. « On la voit de Nantes, de Saint-Nazaire, mais peu de gens savent comment elle fonctionne », présente Pierre, notre guide. Pourtant, employant 505 personnes (salariés et prestataires), le site industriel est largement ancré sur le territoire depuis son arrivée en 1970. « Au-delà de rassurer les habitants, ces visites ont pour mission de les informer. On reste factuel », souligne le service communication. Et pour cause. Deuxième centrale à charbon encore en fonctionnement en France aux côtés de Saint-Avold, en Moselle, avec un projet de biomasse dans les tuyaux depuis dix ans, ces balades deviennent un excellent relais de communication pour le producteur d’électricité, à travers des discours reliés à l’environnement.
En communiquant, les entreprises jouent donc la transparence. L’odeur des cookies mous de La Mie Câline est connue de tous les gourmands. Avec son site de fabrication de 16 000 mètres carrés à Saint-Jean-de-Monts, La Mie Câline (208 M€ de CA) a fait le pari d’ouvrir ses portes. Depuis le début des années 2000, les 2 718 visiteurs (chiffre 2023) qui parcourent chaque année le site – autant en été que sur le reste de la saison – découvrent « comment la mécanique a remplacé les mouvements des mains », explique Sylvia Touboulic Barreteau, directrice adjointe de la filière. « Cela est très intéressant, car nous renseignons les visiteurs sur toutes les étapes de production jusqu’à la surgélation des produits, “réveillés” en magasin. » Ces rendez-vous constituent pour la fille du créateur « l’opportunité de montrer que derrière l’industriel, il y a encore beaucoup de manuel. » Une manière également de « dédiaboliser l’image industrielle » enracinée chez les Français sur plusieurs générations.
Un petit centre de profit…
L’été à La Mie Câline, ce ne sont pas moins de trois créneaux différents sur trois jours qui sont proposés aux visiteurs. « Ça prend un peu de temps », nous confie la chargée de communication. Par souci de transmission et de véracité d’information, La Mie Câline, à l’inverse de la centrale de Cordemais, a fait le choix d’internaliser cette prestation.
Alors bien sûr, cela a un coût. Au tarif variant entre 5 et 2 €, ces portes ouvertes représentent un « petit centre de profit », assume Sylvia Touboulic Barreteau pour le temps passé. Si certaines sociétés ont pris le parti de la gratuité, d’autres proposent des prix loin d’être dérisoires. Compter 21 € pour une visite des chantiers navals de Saint-Nazaire ou 35 € pour une croisière en mer à la découverte des éoliennes offshore. Devenant un véritable terrain de jeux pour les entreprises avec des formules très poussées, parfois éloignées de leur cœur de métier. La fromagerie Beillevaire propose ainsi une sortie au fil de l’eau alliant fromage et nature, au prix de 38 €.
Les visites d’entreprise s’accompagnent également d’une rentabilité plus conséquente pour celles qui suggèrent à la fin du tour un passage en boutique. Dans le podcast du Medef, l’association Entreprise et Découverte revenait sur cette question en avril dernier : « Le passage en boutique est satisfaisant pour l’entreprise. Terre de Sel (la coopérative, basée à Guérande, est la plus visitée de la région d’après une étude réalisée par Entreprise et Découverte en 2022 NDLR) dit clairement que son panier moyen est deux fois plus important après une visite. »
En parallèle, Sterenn Gueguen, animatrice régionale au sein de l’association Visitez Nos Entreprises, à l’initiative des Journées régionales de la visite d’entreprise des Pays de la Loire, qui ont lieu en octobre, affirme de son côté : « L’été offre aux entreprises une deuxième saison, en plus des Journées régionales de la visite d’entreprise des Pays de la Loire. »
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Les employés, porte-paroles des métiers en tension
Francky Coutaud, cogérant de Petiot (1,3 M€ de CA), à Bazoges-en-Paillers, ne présente pas ces portes ouvertes comme une réelle stratégie d’entreprise. Il avoue, contrairement à d’autres sociétés, « n’avoir pas d’objectif particulier ». Fabricant de billards et baby-foot, la visite de l’entreprise a quelque chose d’insolite de par le produit en lui-même. « Notre domaine d’activité, c’est un peu la visite d’une usine du Père Noël », plaisante le patron. Petiot accueille une centaine de personnes par an ; une goutte d’eau dans l’océan du tourisme économique donc. Pourtant, il espère tout de même susciter des vocations. « Les gens sont souvent d’ici et viennent en famille. Les visites peuvent apporter des contacts à de futurs recrutements », se souhaite-t-il.
Dans un contexte où les salariés employables et les entreprises dans le besoin ne se comprennent pas toujours, les portes ouvertes d’entreprise sont perçues comme un levier supplémentaire pour recruter. Elles deviennent un lieu de séduction entre l’employeur et les plus jeunes. Avec pour idée de dénicher l’apprenti ou le CDI de demain. « On attire facilement les jeunes via des apprentissages ou des stages de découverte », confie le codirigeant de Petiot. Chez La Mie Câline, en août 2024, quinze CDI sont recherchés. Alors, pour la directrice adjointe, « tous les moyens comptent. »
Tourneur-fraiseur, chaudronnier, préparateur, conducteur de ligne… Les sociétés de recrutement affichent ces annonces à la pelle. La venue des scolaires ou du grand public se présente comme un moment privilégié durant lequel les employés racontent leur quotidien. Un moyen également, selon le service communication de la centrale de Cordemais, de « démystifier les métiers d’usine » et de mettre fin aux idées préconçues ; notamment quant aux professions genrées.
Les Pays de la Loire sur le podium pour le tourisme d’entreprise
À l’écart parfois des circuits touristiques traditionnels, ces visites offrent à la population une attraction culturelle proche. Les chiffres le prouvent, visiter des usines, redécouvrir des métiers ancestraux et en apprendre plus sur sa région plaît. D’après l’association Visitez Nos Entreprises, 500 000 visiteurs sont au rendez-vous chaque année. L’été dernier, 64 % d’entre elles indiquaient « enregistrer une fréquentation meilleure qu’en 2022. » L’attractivité au beau fixe, les Pays de la Loire sont au palmarès des régions qui affichent le plus de visites en France. Durant les vacances d’été, l’agenda est plus difficile à tenir. Sur les quatre-vingt-dix entreprises adhérentes de l’association, « douze entreprises de Loire-Atlantique sur vingt-cinq ouvrent leurs portes. Ce sont sept sur quatorze en Vendée », nous fait savoir l’animatrice régionale.
Une tendance qui continue à prospérer. Ainsi, le 19 juillet, après un an de travaux, la distillerie Vrignaud, vendéenne et bicentenaire, a décidé à son tour d’étendre son activité aux visites sur réservation (hors boutique).
Néanmoins, aux nombreux avantages que confère ce tourisme économique, s’associent aussi des inconvénients. Fermeture de l’usine ou de lignes, aménagement du site pour des raisons d’hygiène et de sécurité, mise en place de signalétique… Malgré les encouragements des acteurs de l’emploi, certains restent hésitants. Spécialisé dans le thé bio en vrac, le fabricant La Route des Comptoirs (7 M€ de CA), au Landreau, ne souhaite pas aller au-delà des trois jours d’ouvertures annuelles liés aux Journées régionales. « Cela nous demande en amont beaucoup d’organisation quant à la logistique d’entreprise et donc à la production. Il faut équiper les gens, préparer un parcours, cela mobilise vite trois employés. Sachant que les groupes ne peuvent pas excéder quinze personnes si l’on veut passer facilement entre les machines », détaille Violaine Ducro, responsable de la communication.
Ce qui explique pourquoi certaines usines se dotent d’ateliers vitrés. « On a construit le bâtiment pour permettre l’ouverture de nos portes au public », revendique la directrice adjointe de La Mie Câline. Au milieu d’une forte odeur de boulangerie, les visiteurs défilent ainsi, en retraçant l’histoire de la marque.
L’arrière-saison en ligne de mire avec les Journées régionales de la visite d’entreprise des Pays de la Loire
Le bilan de la saison estivale 2024 sera rendu public début septembre. L’occasion de vérifier si la météo de juillet, peu favorable à la baignade, aura eu des répercussions positives sur le tourisme de savoir-faire. Et l’été ne s’arrête pas à la rentrée des classes : place maintenant à l’arrière-saison avec les vacanciers de plus de 60 ans et les couples sans enfants. Elle sera suivie par les Journées régionales de la visite d’entreprise des Pays de la Loire, le dernier week-end d’octobre, du jeudi 24 au samedi 26. « En 2023, 265 entreprises s’étaient inscrites au programme. En 2024, ce sont 282 entreprises qui sont attendues », éclaire Visitez Nos Entreprises. À noter que sur la région, le Maine-et-Loire arrive en tête des départements qui ouvrent le plus d’entreprises durant l’événement. Soit, l’année dernière, 135 sociétés contre 58 en Vendée et 39 en Loire-Atlantique.