Chaque année, je suis surpris de devoir utiliser des grilles d’analyse qui notent le « nez » du vin à quasi même valeur que la « bouche ». Il ne faut pas être dupe, les notes délivrées ainsi sont plus favorables aux vins.
Si l’on prend le référentiel du Wine Spectator, la revue (américaine) la plus lue au monde, une note en dessous de 85/100 est une mauvaise note. Or, on est déjà à 85, l’équivalent d’un 17/20 !
En matière de dégustation, deux référentiels sont en concurrence. L’un s’appuie sur la dimension biochimique du vin et son corollaire, la chimie organique, quand l’autre s’appuie sur la dimension minérale du vin.
L’œnologie contemporaine n’offre aucune possibilité d’intervention sur les minéraux naturels du vin. « Ce n’était donc pas très intéressant pour ces scientifiques modernes », ironise Jacky Rigaux, le célèbre érudit du vin, qui ajoute : « En revanche, comme les composés organiques naturels et artificiels ont une odeur, on comprend que l’analyse sensorielle (qui découle de la dimension biochimique) ait privilégié l’olfaction et la quête effrénée d’identification des arômes. » Et comme la critique internationale a majoritairement mis en avant ce type de vins technologiques, elle a bien sûr tendance à les privilégier au détriment des vins à grande intensité minérale, les vins de terroirs.
Or, le nez est incapable de distinguer les arômes naturels des arômes artificiels.
À ce jeu surtout, le danger serait une concentration autour de cépages uniquement « aromatiques » comme le chardonnay, le sauvignon ou le riesling. Une concentration déjà largement en cours, au détriment de cépages fins en bouche mais discrets au nez.
C’est dans les vins blancs, d’ailleurs, que l’on ressent le plus souvent le recours à des levures aromatiques, « boostant » les notes de fleurs blanches, de zeste d’agrumes et de fruits blancs, standardisant la production mondiale.
Qu’en est-il à table ? Nous avons pour habitude de déguster et jauger les saveurs de notre plat, la qualité des ingrédients, leur équilibre, les alliances culinaires. Il nous vient rarement à l’esprit de lever nos assiettes pour humer les plats servis. Notre palais fait l’essentiel !
Le vin est un aliment et c’est donc en bouche qu’il conviendrait principalement de l’analyser et de le juger.
Notre langue détecte en premier lieu la « sucrosité » d’un vin. Cette sucrosité sera naturellement évidente à la dégustation d’un vin liquoreux. Pour autant on peut aussi la ressentir sur des vins secs, délivrant les années solaires, une sensation « arrondissante » plus importante.
La sensation d’alcool contrebalancée par l’acidité
L’autre élément de « l’attaque » d’un vin est le critère d’acidité que nous ressentons principalement en milieu de bouche, sur les côtés de la langue.
L’acidité d’un vin est un élément fondamental de son équilibre et permet, entre autres, de contrebalancer une partie de la sensation d’alcool.
Un vin à 14,5 % est moins « lourd » en bouche, équilibré par à une belle acidité, qu’un même vin à 13,5 %, dépourvu d’acidité.
De surcroît un vin sans équilibre acide aura une espérance de vie largement raccourcie.
Si cette acidité est surtout perceptible dans un vin jeune, elle ne doit pas non plus « emporter » la bouche. Là où un « titillement » acide de nos muqueuses sera bienvenu pour un vin, le ressenti égal à un jus de citron sera exagéré !
La minéralité structurelle d’un vin participe à son ossature et se ressent uniquement en bouche.
Je ne peux évoquer l’acidité sans évoquer la minéralité d’un vin. Il est amusant de constater combien ce terme est devenu ultra-valorisé aujourd’hui par le consommateur.
On a en fait tendance à faire la confusion entre deux choses en dégustation : la minéralité structurelle d’un vin et sa minéralité aromatique.
La minéralité aromatique n’existe pas car la minéralité n’a pas d’arôme. Par exemple, le sel n’a aucune odeur !
Il existe bien des arômes minéraux mais qui n’ont rien à voir avec la minéralité d’un vin. Ce sont ceux que l’on retrouve sous les descriptifs de craie, silex, pierre à fusil, note pétrolée, etc. On parle bien là de « nez » ! Comme il est assez rare que je suce craie ou silex, il me serait difficile de vous en décrire leur goût !
« On repère plus facilement cette catégorie d’arômes dans les vins blancs car l’acidité à tendance à les renforcer. Les tannins du vin rouge ont tendance à les masquer. Les arômes fruités des vins rouges très présents, ont aussi tendance à diminuer notre détection des arômes minéraux, ce qui ne signifie pas que les vins blancs aient plus de minéralité que les vins rouges. » (Blog Oenojulie.wordpress.com)
La minéralité structurelle d’un vin participe à son ossature et se ressent uniquement en bouche. Elle fait partie intégrante des amers présents dans le vin. Ces « beaux » amers, expression minérale, oscillent entre amertume et salinité. On perçoit d’autant mieux cette minéralité que l’on perçoit une belle acidité dans le vin (c’est pourquoi il y a très souvent confusion « opportune » entre les deux termes). Si l’acidité est vectrice de fraîcheur, la minéralité l’est aussi.
Qualité et quantité des tannins
En « cœur de bouche », l’expression des tannins est l’autre élément d’importance. Elle concerne principalement les vins rouges. Il existe bien des vins blancs dits de « macération pelliculaire », où les jus sont au contact avec les peaux et véhiculent ces notes tanniques mais ils sont très peu nombreux en France.
Il convient de distinguer la qualité et la quantité de ces tannins.
La quantité de tannins est en partie liée au raisin utilisé. Certains cépages comme le cabernet sauvignon délivrent naturellement une forte structure tannique, quand son cousin le cabernet franc, aussi présent à Bordeaux mais encore plus dans le Val de Loire en est, par son ADN, moins pourvu.
Entendons-nous, rien ne dit qu’un cépage plus pauvre en tannins est moins qualitatif !
Le vigneron peut aussi jouer sur l’extraction de cette matière tannique lors de la vinification. En prolongeant les macérations, en extrayant plus de jus contenu dans le marc (où se concentrent fortement les tannins), il obtiendra une masse tannique plus intense.
Idéalement, le vigneron n’extraira que ce que le raisin est capable de délivrer en fonction de la qualité du millésime. Une extraction trop poussée peut « fatiguer » le vin et livrer des vins asséchants en bouche. Nous l’avons constaté à rebours avec le millésime 2000. Ce millésime, archétype du modèle de la sur-extraction, en vogue à l’époque, aura délivré des vins trop souvent « décharnés » prématurément.
La qualité des tannins est un critère de jugement essentiel du vin rouge. Les possibilités offertes au vigneron pour « travailler » et obtenir des tannins agréables en bouche sont trop nombreuses pour que je vous les énumère. Mais par essence, la qualité d’expression des tannins est d’abord intrinsèquement liée à la qualité des raisins vendangés.
J’aime évoquer leur qualité en utilisant un vocabulaire lié à l’étoffe. Quelles sensations vous laissent en bouche les tannins de ce vin ? Sont-ils soyeux, veloutés ou au contraire rêches ou collants ?
Bien sûr, un vin jeune, promis à la garde, présentera souvent un profil plus tannique.
Pour autant, je suis de ceux qui pensent qu’à chaque stade de sa vie, un vin devrait toujours nous séduire. J’ai rarement vu un vin vous « arrachant » la bouche dans sa jeunesse, se transformer après 10 ans en un vin assagi et agréable en bouche.
L’alcool ne doit pas brûler le palais
On jugera aussi en bouche la quantité d’alcool. Là encore, tous les cépages ne sont pas égaux entre eux. Le grenache noir par exemple, majoritaire dans l’assemblage des vins du sud de la Vallée du Rhône, a une tendance à délivrer facilement de l’alcool, et une certaine sucrosité sur le bout de la langue. A contrario, un autre cépage sudiste comme le cinsault offrira moins ce côté capiteux.
Une fois de plus, l’un n’est pas meilleur que l’autre, c’est juste une histoire d’ADN !
Quel que soit le cépage utilisé, cette expression d’alcool ne devra pas vous brûler le palais. Il est assez facile de repérer un excès, une brûlure, par exemple ressentie à la dégustation d’une mauvaise eau-de-vie.
La nature étant bien faite, la bouche est reliée à notre cerveau par le biais d’une cavité présente dans notre palais. On appelle cela la rétro-olfaction. Par échauffement du liquide au sein de notre cavité buccale, les arômes du vin vont s’élever et remonter jusqu’au bulbe olfactif.
Ce bulbe olfactif possède une mémoire et une capacité d’analyse nettement supérieures à notre nez. La clé USB est au nez, ce que le data center est à votre bulbe.
C’est pour cette raison que je décris plus volontiers l’aromatique d’un vin au moment de la bouche, qu’au nez.
Reste la finale ou plutôt, la Persistance Aromatique Intense (PAI). Elle mesure combien de temps les arômes, uniquement ceux liés au raisin, « impriment » votre bouche, une fois le liquide absorbé. L’unité s’exprime en caudalies, une caudalie égalant une seconde.
À partir de cinq ou six caudalies, un vin sera dit de qualité. Cette observation est cependant sujette à l’empreinte de votre palais, à la fois par les aliments ingurgités et d’autre part par l’élevage en barriques. Le boisé « sucre » les vins, leur fait gagner en longueur, or les arômes liés au bois ne sont pas censés entrer dans la mesure de la PAI. Une séparation épineuse à effectuer, croyez-moi !
Le « nez » est important là où la consommation du vin se fait hors repas. Il suffit de regarder une série américaine pour observer que la dégustation du vin se fait souvent sans accompagnement culinaire, donc n’imprimant pas le palais. Mais en France, pays où la place du vin se concentre au moment des repas, avec une valorisation des accords mets vins, la dégustation en bouche se devrait d’être l’étape primordiale de la mesure qualitative d’un vin. Au palais, grâce et finesse devraient signer un idéal d’équilibre entre l’ensemble des critères décrits ci-dessus.