Couverture du journal du 16/01/2025 Le nouveau magazine

Noël, une parenthèse féerique décisive pour les commerçants

Les acteurs du commerce local traversent une année contrastée, bousculés par les soubresauts politiques qui secouent le pays et pèsent sur leurs prévisions économiques. Les fêtes de fin d'année apportent un peu de répit aux commerçants ligériens et vendéens, fragilisés par cette situation, notamment lorsque ces périodes sont accompagnées d'une dynamique d'animation et d'embellissement des centres-villes.

Malgré les demandes, le marché de Noël de Tiffauges n’a pas vocation à s’étendre davantage. DAVID FUGÈRE

Quand décembre arrive, il règne une ambiance toute particulière aux abords des commerces dans les centres-villes et les bourgs. Si bien que la morosité du contexte politique que traverse le pays tend à s’effacer, balayant dans le même temps le souvenir de l’inflation de Noël dernier sous le sapin. À pied d’œuvre, les vendeurs tentent de gérer les stocks. Un contrôle rigoureux pour ne pas couler une trésorerie déjà incertaine mais assez tolérant pour répondre à la demande des clients.


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Entre résilience et optimisme, comme partout ailleurs, les commerçants de Loire-Atlantique et de Vendée avancent dans le brouillard. En région, l’étude Ankorstore évalue à 428 € la bourse consacrée aux cadeaux de Noël (voir décryptage). Après des baisses consécutives, la hotte du père Noël se stabilise en 2024. Une bonne nouvelle ? Alors que le nombre de liquidations judiciaires en Loire-Atlantique bat des records, renflouer les caisses durant la saison de Noël devient pour certains un enjeu décisif. Un moyen pour les plus fragiles – pas seulement les TPE – d’équilibrer leur activité. Pour Manuella Albert, co-présidente de l’UKA, fédération vendéenne des unions commerciales et artisanales, « Noël profite à tout le monde et peut véritablement changer la donne. Tout dépend du secteur d’activité. Les boutiques de maroquinerie, de bijoux et de décoration s’en sortent très bien durant cette période. » Si les jouets restent l’indémodable paquet au pied du sapin, le geste ancestral d’offrir un présent pousse les consommateurs, année après année, à rivaliser d’ingéniosité pour trouver « le » cadeau original. Des denrées alimentaires, il a donc évolué vers les biens matériels et immatériels. Une brosse à dents en bambou, écoresponsable et personnalisée de surcroît ; voilà qui peut faire toute la différence.

Les commerçants seront présents jusqu’au 31 décembre pour accueillir les Nantais. SARA BERNÈDE – IJ

« Des habitudes d’achat qui diffèrent d’un territoire à l’autre »

Interrogés, les commerçants restent discrets sur la part que représente Noël dans leurs recettes annuelles. Les associations, invoquant le manque de retours chiffrés de leurs adhérents et d’études précises, ne sont pas plus aux faits. On l’estimerait officieusement entre 20 et 40 %. Avec des disparités entre les secteurs d’activité et les territoires.

Plusieurs visages dans un même département, c’est ce qu’offrent par leur diversité la Loire-Atlantique et la Vendée. Aussi, du bocage au bord de mer en passant par la métropole nantaise, tous les commerçants ne sont pas logés à la même enseigne…

« Les habitudes d’achat, qui découlent du niveau de vie des Vendéens, diffèrent d’un territoire à l’autre », constate Vanessa Guilbaud, chargée de développement des commerces au sein de la CCI Vendée. Mais également de son attractivité d’un point de vue touristique. Entre le 19 octobre et le 10 novembre, 1,3 million de personnes auraient fréquenté le village du Vendée Globe d’après l’organisateur. Une influence qui a profité aux commerces de détail. Un avant-goût de Noël pour Les Sables-d’Olonne, ville qui brillera toute cette fin d’année grâce à la couverture médiatique que lui offre cet événement international.

Pourtant, à l’image de la saison estivale 2023, les conditions météorologiques pourraient bien éloigner les clients de la côte pour les amener à flâner en ville. À Nantes, les 250 chalets, 140 exposants, qui s’installent chaque année depuis vingt-cinq ans place Royale et place du Commerce, font de ce marché de Noël le plus grand du Nord-Ouest. Il drainerait des touristes jusqu’à 100 km à la ronde. « On est encore sur un effet post-Covid et maintenant post-JO. À eux seuls, les visiteurs conditionnent cet événement. Les marchés de Noël, sa féerie et son côté traditionnel incarnent la vente physique. Ce que les passants viennent acheter, c’est avant tout un contact humain », estime Thibault Delourme, président de 2A Organisation, agence événementielle spécialiste du commerce éphémère dont le chiffre d’affaires est exponentiel (10 M€ en 2023).

Thibault Delourme baigne dans l’univers de Noël depuis la création, il y a 26 ans, de l’entreprise 2A Organisation. SARA BERNÈDE – IJ

Une forme de commercialisation de Noël plus authentique, associée aux festivités, qui amène les clients à repenser leur mode de consommation. La convivialité des fêtes les pousse à être plus enclins à faire un geste. Ici, l’achat coup de cœur naît d’une conversation chaleureuse avec un exposant. « L’enjeu, c’est la visibilité de ce commerce de rue qui ne pourrait pas exister à l’année », témoigne Thibault Delourme. Il constate qu’il n’est plus possible aujourd’hui pour les commerçants de réaliser leurs recettes annuelles uniquement sur les saisons d’été et d’hiver. Dans les allées entourant la fontaine, on croise aussi des marques emblématiques de la région, le Puy-du-Fou dont la renommée n’est pourtant plus à faire, ou Sortilège, le revendeur de jeux des habitants de l’Ouest. Quel intérêt ont-ils à prendre place ici, à quelques minutes de la boutique nantaise ? « Ça permet de faire du drive-to-store », pointe l’organisateur. Ce que confirme Damien, présent ce jour-là sur le marché : « Les passants savent seulement qu’ils veulent un jeu, mais ce ne sont pas des experts. Ici, nous exposons les jeux abordables, que je peux décrire en quelques mots. » C’est selon lui, un gros coup de pub pour la boutique, où il invite à aller. Une stratégie marketing qui n’est toutefois pas accessible à tous, puisqu’elle demande de se dédoubler. En raison de l’incertitude économique et « la venue des clients se faisant tardive, les commerçants sont frileux à embaucher », souligne Manuella Albert, la représentante de 1 500 adhérents vendéens. Elle explique que le mois de décembre se découpe en deux temps : « du 1er au 15, les acheteurs se mettent dans une phase de recherche (davantage tournée vers Internet ou la seconde main, NDLR). Du 15 au 24, l’achat se fait plus compulsif, ils ont tendance à se lâcher en fin de mois. » À l’approche du jour J, les délais de livraison qui s’allongent profitent aux boutiques physiques.

À Noël, le marketing Human to Human tire son épingle du jeu

Alors que les Français se tournent, pour plus de la moitié d’entre eux, vers Internet pour dénicher leurs cadeaux, le marketing H2H (Human to Human) trouve toujours sa place en parallèle du digital. Un phénomène marqué par l’importance que revêt désormais la valeur ajoutée d’un produit ou d’un service pour les consommateurs, c’est-à-dire la tendance à réaliser autrement leurs dépenses de Noël : des achats plus responsables, moins impulsifs, favorisant le circuit court et le local. Le Département de la Vendée tente d’inscrire ses deux gros marchés de Noël, Tiffauges et Maillezais, dont il est organisateur, dans cette démarche. « Notre charte élimine l’achat-revente et les grosses marques. Nous favorisons les artisans locaux dont un sur cinq vient du territoire. Nous sommes vigilants quant à la qualité des produits et à la diversité des commerçants », expose Guillaume Jean, 1er vice-président du Département de Vendée élu à la commission culture, tourisme, patrimoine et relations internationales. En 2023, 120 000 visiteurs ont été accueillis sur les deux sites pour un coût estimé à « 70 k€ par site ». Compte tenu de leur influence, ces foires prisées dans les sites historiques demandent un stock de marchandises important. Une contrainte à laquelle il faut répondre lors de la sélection. À 30-50 € l’emplacement, la Vendée doit faire un choix entre « 300 candidatures » pour finalement « 55 exposants ». Chaque année, « entre 10 et 15 % » de renouvellement peut avoir lieu, précise l’édile.

Au marché de Noël de Tiffauges ou de Maillezais, les emplacements sont devenus convoités. DAVID FUGÈRE

Néanmoins, à Nantes ou ailleurs, « 60 % du flux vient avant tout pour le marché lui-même et non pour les commerces », note l’organisateur nantais. Un passage qui profite aux commerces de bouche dont le panier moyen, certes minime, est plus facilement reconductible. « Du vin chaud, un chocolat ou un bretzel : les gens consomment sans se rendre compte de leur acte d’achat. » Le président de 2A Organisation évalue le panier moyen des clients en dessous de « 50 € ».

L’offre culturelle propice à l’achat de Noël

Noël, c’est l’affaire de tous. Un enjeu commun qui réunit toutes les parties prenantes autour de cette fête. L’offre culturelle grandissante durant le mois de décembre répond au besoin de valorisation des territoires. Souvent désertés, les centres des villes moyennes connaissent un regain d’activité à l’approche des fêtes de fin d’année. En témoignent les esclandres des habitants contre les mairies en 2022. La flambée des prix de l’énergie ayant contraint certaines à tailler dans le budget de Noël et par conséquent dans l’offre culturelle. Une fausse bonne idée ? « Pour les communes, l’objectif est de créer une expérience de Noël pour participer à la vie locale », explique l’élu vendéen.

La déléguée générale de Plein Centre, Sara Gangloff, ici au marché de Noël de la seconde main à Nantes. SARA GANGLOFF

Mais parfois, cela ne suffit pas. « Noël 2023 a été compliqué pour les commerçants qui se sont fait monter la tête à cause du Nantes bashing », rappelle Sara Gangloff, déléguée générale de l’association de commerçants de Nantes Plein Centre. À la suite des critiques médiatisées dont a souffert la ville lors de la deuxième édition du Voyage en hiver, la municipalité a revu cette année sa copie mêlant art et installations traditionnelles. Plein Centre s’est dit « très écouté » par la ville, pour laquelle il était dans l’intérêt de tous de ne pas « reproduire le même schéma. » Une subvention municipale de 50 k€ a aussi été accordée aux commerçants. Onze collectifs, deux cents commerçants, ont profité de celle-ci pour mettre en lumière leurs vitrines. « Les commerçants sont acteurs de leur ville. Jouer la féerie, c’est s’assurer que le client ne va pas chez le voisin », conclut Sara Gangloff.

Preuve encore qu’un lien fort entre ces parties pourrait transformer la magie de Noël en aubaine économique.

Pays de la Loire : une hotte de Noël de 408 €

Difficile de prédire le montant moyen des dépenses liées aux cadeaux de Noël tant les études nationales divergent. Alors que l’institut CSA Research pour Cofidis prévoit une nouvelle baisse du budget des Français à -9 €, soit une moyenne de 323 €, ses confrères de chez OpininonWay pour Sofinco l’estiment plus important (+46 €), l’évaluant à 391 €. Des conclusions positives que tire également l’agence Havas Market pour laquelle le panier moyen se révèle toutefois plus bas : 261,40 €.

Qu’en est-il des Pays de la Loire ? Les statistiques Yougov pour Ankorstore annoncent une hotte de Noël de 408 €. Moins que la moyenne nationale : 508 €. Malgré un grand écart entre les études, la tendance est donc toujours à la sobriété. Des signaux positifs, dus à un recul des craintes inflationnistes, émergent doucement. Le baromètre de l’Ifop pour Dons solidaires, dont l’échantillon se veut plus représentatif que les autres (4 003 personnes), réalise une photographie contrastée du pouvoir d’achat cadeaux des Français. « Les résultats du baromètre montrent une amélioration sensible […] Pour autant, cette embellie masque une réalité sociale plus complexe […]. Les résultats de cette enquête soulignent le risque de voir s’installer durablement une société à plusieurs vitesses », affirme François Legrand, directeur d’études à l’Ifop.