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Magalie Jost, codirigeante de Nature et Aliments: « Défendre une alimentation saine »

Depuis 110 ans, Nature et Aliments crée des préparations alimentaires en poudre prêtes à l’emploi. Dès 1978, la PME familiale née à Nantes (4,7 M€ de CA en 2022 pour 20 salariés) a opté pour des ingrédients biologiques afin de défendre la qualité nutritionnelle et un plus faible impact sur l’environnement. Un moyen également de s’engager sur la santé et le social pour l’entreprise devenue société à mission en 2021. Rencontre avec Magalie Jost, codirigeante depuis 2011.

Magalie Jost, codirigeante de Nature et Aliments ©B.Lachenal

Magalie Jost, codirigeante de Nature et Aliments ©B.Lachenal

Pouvez-vous revenir sur la création de l’entreprise ?

C’est Eugène Jost, acheteur de matières premières chez LU à Nantes, qui l’a créée il y a 110 ans. Lors d’un déplacement en Angleterre, il a eu l’occasion de goûter les blancs-mangers, des desserts faits à base d’algues. Ça lui a rappelé les gâteaux de sa grand-mère et à son retour, il a décidé de lancer sa propre activité.

Pour gélifier sa préparation, il a introduit l’agar-agar dans son dessert, une algue qu’il avait découverte lors d’un voyage professionnel au Japon. Il a ainsi créé le premier dessert à base de gélifiant en poudre, aromatisé, sans sucres ajoutés, prêt à l’emploi. Le tout conditionné en sachets de cinq grammes, remplis à la cuillère à l’aide d’une balance Roberval, par une soixantaine de femmes. C’est comme ça que sont nés les Entremets Plaisance en 1913. La marque a été déposée en 1919.

 

C’était l’unique activité d’Entremets Plaisance à l’époque ?

Non, elle commercialisait également des produits liés au passé maritime du port de Nantes : du sucre vanillé, de l’extrait de vanille, de la vanille gousse…

 

Quand les enfants ont-ils repris le flambeau ?

Eugène a transmis l’entreprise à son fils Stéphane au début des années 1960. Mais diriger n’était pas le fort de ce dernier. Il a confié tout l’opérationnel à sa sœur Denise et s’est focalisé sur le volet social. L’entreprise est devenue un prétexte pour réinsérer les “Blousons noirs“, ces jeunes des quartiers difficiles, et prendre une dimension philanthropique puisqu’une partie des ventes servait à financer un dispensaire au Cameroun. Puis, dans les années 1970-80, Stéphane a transmis la société à son fils Bruno, qui est mon beau-père.

 

Comment la société a-t-elle vécu l’avènement de la grande distribution ?

Au départ, les Entremets Plaisance n’étaient vendus que chez les petits épiciers. Après l’ouverture du premier hypermarché en 1963, ces derniers ont progressivement disparu. L’entreprise a alors dû s’adapter à cette nouvelle réalité : tout rationnaliser, moderniser son outil de production et faire un beau packaging pour vendre pas cher dans les grandes surfaces.

 

Nature et Aliments affiche un chiffre d'affaires 2022 de 4,7 M€ pour un effectif de 20 personnes. ©DR

Nature et Aliments affiche un chiffre d’affaires 2022 de 4,7 M€ pour un effectif de 20 personnes. ©DR

Pour quelles raisons l’entreprise a-t-elle misé sur le bio dès 1978 ?

La période des Trente Glorieuses voit l’apparition de la société de consommation de masse : produire beaucoup et pas cher. L’agriculture devient intensive et des produits de synthèse (engrais et pesticides) sont utilisés au détriment de la vie du sol. Ce mode de production ne convenait pas à Stéphane et Bruno Jost, qui s’intéressent alors à l’agriculture biologique qui commençait à se développer en Bretagne et dans tout l’Ouest.

À la fin des années 1970, Bruno Jost crée la société Nature et Aliments. Elle abritait dès 1978 Nat-Ali, une marque certifiée d’abord Nature et Progrès puis Agriculture Biologique. Ses produits sont uniquement commercialisés dans les magasins biologiques et encore aujourd’hui : Biocoop, Chlorophylle, La Vie Claire…

En 1989, l’entreprise historique et Nature et Aliments fusionnent pour s’appeler Nature et Aliments.

 

« Nous défendons le fait d’être une entreprise familiale, militante et engagée. C’est ancré dans notre ADN. »

Comment avez-vous été amenée à reprendre les rênes ?

Après ma formation d’ingénieure en technique agricole, j’ai occupé un poste en prévention du risque chimique dans une caisse centrale de mutualité sociale agricole. J’avais en charge les problématiques liées à l’utilisation de produits chimiques par les agriculteurs : pesticides, insecticides, fongicides…

Ayant de solides connaissances sur la partie amont de l’agriculture et le mode de production, mais également un œil aiguisé sur la santé utilisateur et la vie du sol, j’ai été amenée à beaucoup échanger avec mon beau-père. En 2011, il a décidé de partir à la retraite. Ses cinq enfants sont devenus actionnaires mais aucun n’a voulu reprendre le flambeau. Bruno a alors proposé à ses beaux-enfants de prendre la suite.

 

Vous avez accepté ?

Oui, car je ne voulais pas que l’entreprise familiale change de main et de philosophie entrepreneuriale chargée de belles valeurs et de militantisme. Mais à deux conditions : me former au métier de chef d’entreprise, et que Sybile Chapron, qui avait été recrutée en 2006 comme responsable de production, devienne co-dirigeante. Elle a accepté. Mon arrivée s’est très bien passée et on dirige ainsi l’entreprise ensemble depuis 2011.

 

Où en est Nature et Aliments aujourd’hui ?

Elle affiche un chiffre d’affaires 2022 de 4,7 M€ pour un effectif de 20 personnes. Nous produisons environ 5 millions de sachets par an. Les ventes de produits Nat-Ali en magasins biologiques représentent 70 % de notre chiffre d’affaires. Plaisance existe toujours et nous avons une activité à l’export et en sous-traitance. Plaisance est toujours en grande surface, essentiellement chez Système U Ouest, quelques Leclerc et Intermarché locaux. Nos produits phares restent la gamme Bioflans, sur le marché depuis 45 ans, la poudre à lever, l’agar-agar, le sucre vanillé ainsi que les ferments pour yaourts.

L’export représente 6 % de notre CA et nos petits sachets ravissent les papilles des consommateurs de différents pays : Espagne, Belgique, Portugal, Pays-Bas, mais aussi Japon et Australie. Enfin, notre boutique en ligne génère 60 000 € par an, soit 1,2 % de notre CA.

 

Pour quels industriels sous-traitez-vous ?

Par exemple pour la marque de nutrition sportive bio et locale Meltonic, Nature et Découvertes, pour qui on fabrique des chocolats épicés de Noël, ou encore Tipiak, sur un produit sans gluten. La sous-traitance représente 10 % de notre modèle économique.

 

La gamme Bioflans fait partie des produits phares de la marque. ©DR

La gamme Bioflans fait partie des produits phares de la marque. ©DR

 

Comment vous approvisionnez-vous ?

Toutes nos matières premières sont achetées en poudre. Nous avons des approvisionnements très locaux, comme la spiruline qui vient de la métropole nantaise, la poudre de caramel beurre salé et de lait de Bretagne, la farine des Pays de la Loire, l’agar-agar des plages des côtes basques françaises… Les farines de pois chiches, lentilles viennent de France. Enfin, d’autres approvisionnements dépassent l’échelle de l’Hexagone, comme pour certaines poudres de légumes : Allemagne, Hongrie, République tchèque.

Et on s’approvisionne de manière équitable depuis 20 ans via une certification Biopartenaire : en République dominicaine pour le cacao et au Paraguay pour le sucre.

 

Nature et Aliments dédie 20 % de son résultat à sa démarche RSE. Vous pouvez la présenter ?

Dès 2009, le bio a connu une forte progression et on n’arrivait plus à répondre à la demande. Il nous fallait un nouvel outil de production, que l’on a construit à Rezé en 2011. La construction s’est faite selon la démarche HQE (haute qualité environnementale) : chantier vert, chauffage par pompe à chaleur, lumière naturelle favorisée, eau chaude sanitaire solaire. Le fait d’avoir opté pour cette conception nous a coûté 25 % de plus, mais c’était du bon sens. Dans la nouvelle usine, on a créé un couloir de visites et tout le monde nous a dit la même chose : “On ne savait pas que vous faisiez tout ça.” On a alors décidé de formaliser cette démarche en 2013.

À l’époque, on a participé grâce à la Région à un auto-diagnostic RSE. Cela nous a permis de déterminer les actions qu’on voulait déployer sur le plan environnemental, social, économique, territorial. Par exemple passer au tri des déchets ; mieux soutenir les associations ; avoir plus de matières équitables dans nos préparations…

En 2020, on s’est rapprochés de notre syndicat national, le Synabio, qui avait initié la certification Bio entreprise durable (BioED). Un label qui permet aux entreprises de garantir que leur démarche bio est responsable sur l’aspect environnemental, social, économique et territorial. BioED ajoute dans la notion d’entreprise responsable, une exigence sur la santé et la naturalité des produits. À partir de là, on a mis en place un vrai comité RSE au sein de l’entreprise avec cinq référents, un plan d’actions et des indicateurs de progrès.

 

L’entreprise semble également engagée dans la protection de la faune et la flore ?

Oui, nous souhaitons être un site exemplaire. C’est pourquoi nous avons créé dès mars 2021 un refuge conventionné avec la Ligue de protection des oiseaux au sein de notre siège. Ça nous a permis de bénéficier d’un diagnostic sur la faune et la flore. Et déterminer ce qu’on pouvait mettre en place pour faire en sorte qu’elle y reste, voire s’y développe. Un groupe de travail biodiversité avec des salariés volontaires a été créé et on s’applique à mettre en œuvre les préconisations d’aménagements de la LPO. Au bout de cinq ans, un nouveau diagnostic sera effectué pour voir comment la situation a évolué.

 

Quelle est aujourd’hui la raison d’être de l’entreprise ?

Nous défendons le fait d’être une entreprise familiale, militante et engagée. C’est ancré dans notre ADN depuis des générations. C’est la raison pour laquelle nous avons obtenu la qualité de société à mission depuis juillet 2021. Notre raison d’être est de “cultiver créativité et curiosité pour toujours défendre une consommation biologique porteuse d’engagement humaniste et écologique, source d’épanouissement“.

La créativité est une singularité de l’entreprise, qui sort régulièrement des produits qui n’existent pas sur le marché. Par exemple, le potage épinards-spiruline, le potage cinq légumes et psyllium (1) ou encore une préparation pour mousse au chocolat végétale. L’engagement humaniste est très important pour notre conseil d’administration, d’où notre forte politique mécénat, structurée et pilotée par un comité. On soutient des associations de façon permanente et on va au-delà des montants défiscalisables. L’association nantaise Inti Énergies solidaires par exemple, à qui on reverse 1 % de nos ventes de Bioflans pour mener des projets de cuisson solaire depuis plus de 15 ans. Mais aussi Terre de Liens, qui aide les jeunes à s’installer en agriculture bio, ou Générations Futures, qui réalise des études sur les pesticides et leur impact sur la santé.

 

Pourquoi avoir voulu obtenir ce statut de société à mission ?

C’était une décision du conseil d’administration, donc de la famille Jost et des co-dirigeantes. Elle a été prise après 2020, année où l’agroalimentaire a dû massivement continuer à produire. Alors qu’on pensait être à la marge, tout le monde s’est remis à faire son pain, ses yaourts, ses flans… Finalement, nos produits ont été nécessaires pour la population en temps de crise. Nous avons souhaité partager nos bénéfices, avec les salariés mais aussi avec le monde associatif.

On a réalisé de nombreux dons cette année-là, notamment aux Restos du cœur. Il y avait une philanthropie qui n’était pas formalisée au sein de l’entreprise. On a fait appel au cabinet parisien Prophil, qui nous a présenté tout ce qui était faisable : créer une fondation, opter pour un nouveau fonctionnement, aller chercher le statut de société à mission…  C’est cette dernière option qui a été retenue, car c’était une belle façon de pérenniser les valeurs et l’utilité de l’entreprise. Notre mission et nos objectifs sociaux et environnementaux constituent désormais l’ADN de l’entreprise, un cap pour tous dans nos actions quotidiennes.

 

Quelles sont vos ambitions pour l’entreprise ?

Grossir n’est pas une fin en soi. Ce qui nous paraît essentiel, c’est avant tout de maintenir un niveau d’activité suffisant pour fournir du travail à nos équipes et continuer à remplir nos missions. Nous mettons un point d’honneur à rester une société à taille humaine et conserver l’état d’esprit d’une entreprise familiale.

 

Nature et Aliments est installée depuis 2011 à Rezé. Son bâtiment a été construit selon la démarche HQE. ©DR

Le marché bio est en légère perte de vitesse. Quelle stratégie déployez-vous face à cette nouvelle réalité ? 

Le marché bio est effectivement en crise, dans le sens où il y a eu beaucoup trop d’ouvertures de magasins ces dernières années. Le marché est en train de se structurer pour mieux rebondir. Dans ce contexte, on cherche donc à diversifier nos revenus. Par exemple avec une nouvelle gamme dédiée aux randonneurs et ceux amenés à bivouaquer.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous investir dans les instances de représentation du secteur bio comme le Synabio ?

Le Synabio est très important parce que c’est un syndicat national. On y est en lien avec les ministères, essentiellement l’agriculture et la transition écologique. C’est donc un moyen de faire entendre une vision d’une agriculture biologique exigeante, cohérente et durable dont les engagements dépassent les exigences des cahiers des charges de production.

 

Justement, quelle place occupent les Pays de Loire dans le développement national de la filière ?

C’est une région où il y a beaucoup de production bio, d’industriels et de transformateurs historiques dont on fait partie : les Côteaux Nantais (vente de fruits et épicerie bio basée à Vertou), Bodin (premier volailler bio d’Europe basé à Sainte-Hermine en Vendée), Gaborit (yaourt et fromages bio à Maulévrier dans le Maine-et-Loire) et bien d’autres… En termes de nombres d’hectares cultivés en bio, la Loire-Atlantique2 est le deuxième département français après le Gers depuis 2021.

 

« Le bio est le seul modèle agricole qui peut vraiment nous amener sur une transition agricole et alimentaire. »

Vous êtes une fervente défenseure du bio. Que pensez-vous de la conversion de l’ensemble de l’agriculture française conventionnelle en bio ?

C’est une nécessité car le bio est le seul modèle agricole qui peut vraiment nous amener sur une transition agricole et alimentaire, qui répondra aux défis environnementaux et donc sociaux (pollution des eaux, érosion de la biodiversité…). C’est le modèle de demain mais il est long à déployer face à une agrochimie bien ancrée dans les pratiques agricoles conventionnelles.

 

« Je rêve du jour où l’on valorisera une entreprise en fonction de son impact social et environnemental en plus de sa valeur financière. »

 

Comment l’agroalimentaire doit-il évoluer pour limiter son impact sur la planète ?

Je rêve du jour où l’on valorisera une entreprise en fonction de son impact social et environnemental en plus de sa valeur financière. Je suis convaincue que la comptabilité du triple capital, c’est l’avenir pour avoir des entreprises responsables de leurs impacts. Pour cela, il faudrait créer des indicateurs de référence sur le volet social et environnemental identiques quel que soit le secteur d’activité au même titre que sur le plan comptable.

 

Quels ingrédients composeront selon vous le dessert du futur ?

Le dessert du futur sera végétal. Il sera composé d’agar-agar et de farines qui ont un intérêt nutritionnel : de lentilles, de chanvre, de vieilles céréales ou de protéagineux.

 

(1) Le psyllium est une plante herbacée originaire d’Inde et d’Iran utilisée pour les problèmes de constipation et d’intestin.

(2) En 2021, le département de Loire-Atlantique comptait 21,4 % de sa surface agricole en bio ou en conversion.

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